Africa-Press – Cameroun. Trêve de rumeur, les choses sont désormais officielles. Un mois après que le conseil d’administration de la Société anonyme des brasseries du Cameroun (SABC) a accepté la démission d’Emmanuel de Tailly, le 13 avril à Paris, la nouvelle a été rendue publique. Le Français sera remplacé par son compatriote Stéphane Descazeaud, qui prendra les rênes du leader du secteur brassicole dès le 1er juillet.
Cette décision vient mettre un terme à un feuilleton de plus d’un mois. Selon des indiscrétions, Emmanuel de Tailly aurait présenté sa démission à Pierre Castel, dont le groupe contrôle 90 % du tour de table, à la fin du mois de février, qui l’aurait refusée. Ce qui n’a pas entamé sa détermination. Une décision prise sur « un coup de tête » pour marquer son agacement face à certaines négligences en matière de sécurité. Ayant fait de la qualité-hygiène-sécurité-sûreté-environnement (QHSSE) l’un de ses chevaux de bataille, le patron français n’a pas supporté les deux accidents survenus en six mois et qui ont provoqué cinq décès, l’incendie à l’usine de Koumassi (Douala) et la collision impliquant un camion de l’entreprise dans un quartier de Yaoundé.
Profonde restructuration
« Cette démission devait sonner comme un électrochoc pour ses collaborateurs. Ce n’est malheureusement pas le cas », glisse une source interne. Emmanuel de Tailly pourra quitter le navire SABC, le 30 juin, après avoir pris connaissance des conclusions de l’audit de sécurité en cours, décidé ce même 13 avril. Une tâche qui n’efface pas cinq années de gouvernance au bilan éloquent. Quand il prend les rênes de SABC en janvier 2017 qui, outre la production de bière et de boissons gazeuses, regroupe des filiales spécialisées dans l’eau (SEMC), l’emballage (Socaver) et l’agro-industrie (CFC), Emmanuel De Tailly trouve un groupe qui vient d’essuyer deux années de pertes. Ses parts de marché s’érodent et l’entreprise accuse un déficit de trésorerie de 45 milliards de F Cfa.
Emmanuel de Tailly se donne alors trois ans pour restructurer profondément SABC. La rentabilité doit passer de 4 à 20 % du chiffre d’affaires. Les parts de marché de la bière, des boissons gazeuses et de l’eau visent des seuils respectifs de 80 %, 85 % et 75 %. Une nouvelle gouvernance se met également en place. Un comité de direction s’occupe de la stratégie du groupe, tandis qu’un autre suit de près les performances d’exploitation. Structurellement déficitaire, la filiale équato-guinéenne est rétrocédée à la franchise gabonaise.
Les comptes de l’entreprise se redressent. Le chiffre d’affaires du groupe local, qui représente 5 000 emplois directs pour dix usines, bondit de 106,4 % en cinq ans, pour se situer à 691 milliards de F Cfa en 2021. Dès 2021, les actionnaires recommencent à empocher des dividendes. Le virage agro-industriel engagé à l’échelle du groupe connaît une accélération avec l’entrée en activité en novembre de la Compagnie fermière camerounaise (CFC). La sortie du titre SABC de la cote de l’Euronext s’effectue sans accrocs.
Redressement fiscal
Ces résultats ont été obtenus dans un environnement contraignant. La crise anglophone a impacté 10 % de ses revenus. La pandémie liée au Covid-19 a déstabilisé la chaîne d’approvisionnement et la dévaluation du naira, en 2019, a provoqué une perte de compétitivité à l’égard des boissons nigérianes. Des facteurs auxquels s’ajoute le « choc fiscal ». Les mesures prises ces dernières années impactent le chiffre d’affaires à hauteur de 55 % et il a fallu absorber le redressement fiscal de 40 milliards de F Cfa.
Ce passionné d’Afrique qui a séjourné au Tchad, au Togo, au Mali, en RDC et à Madagascar, ne s’est pas fait que des amis durant son second séjour au Cameroun. Modeste Mopa Fatoing, le directeur général des impôts, a essayé d’obtenir sa tête lors du traitement du redressement fiscal. Ses prises de position – chose inhabituelle pour un patron étranger – sur la dette intérieure, la fiscalité et la promotion des chantiers nationaux ont donné de l’urticaire à plus d’un responsable à Yaoundé. D’autant plus qu’il a accepté la demande de Célestin Tawamba, le patron des patrons, de coordonner la rédaction du « Livre blanc de l’économie camerounaise », propriété du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam).
Le dirigeant français de 56 ans quitte le groupe Castel auquel il a consacré 18 années de sa vie pour s’engager dans des projets personnels. Il n’est pas exclu qu’il accepte un poste d’administrateur de SABC qui lui aurait été proposé.
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