Africa-Press – Cameroun. Une poignée de main et des sourires pour des retrouvailles remarquées. Le 14 septembre dernier, Modeste Mopa Fatoing, le directeur général des impôts, était reçu au siège du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam) à Douala, où il a tenu une concertation avec les membres du syndicat patronal que dirige l’homme d’affaires Célestin Tawamba.
Mopa n’avait plus remis les pieds au Gicam depuis un dîner-débat organisé en 2017, quelques mois avant l’élection de Tawamba à la tête de l’instance. Depuis lors, de vives tensions ont opposé les deux hommes, au sujet notamment d’une proposition de réforme du système fiscal faite par le Gicam et qui, selon ce dernier, a été bloquée par la direction générale des impôts.
1 597 milliards de francs CFA
Une époque qui semble aujourd’hui révolue pour les deux personnalités, qui ont multiplié les signes de rapprochement au cours des trois jours qu’ont duré la visite de Mopa Fatoing à Douala. La première étape d’une « opération de dégel » entamée quelques semaines auparavant, à laquelle les deux parties ont été quasi obligées de se soumettre.
En effet, si Mopa Fatoing est arrivé à Douala nanti d’un résultat record de 1 597 milliards de francs CFA (plus de 2,4 milliards d’euros) de recettes fiscales collectées au premier semestre 2022 (soit 23 % de plus qu’en 2021 sur la même période), il portait également dans ses bagages les stigmates de l’épineux contentieux fiscal qui l’oppose à l’influent homme d’affaire Jean-Pierre Amougou Belinga.
Et même si, le 2 septembre dernier, Paul Biya lui a donné raison dans sa démarche de recouvrement, l’arrestation et l’incarcération de certains collaborateurs soupçonnés de corruption dans ce dossier n’a pas manqué de laisser des traces.
Table rase du passé
Le directeur général des impôts cherche-t-il à réduire la liste de ses ennemis ? Empêtré malgré lui dans la guerre de clans que se livrent les caciques du pouvoir dans la perspective de l’après-Biya, Mopa sait qu’il faut réduire les fronts de combat.
C’est d’ailleurs pour cela qu’il est à l’initiative de la rencontre avec le patronat. La demande est arrivée sur la table de Célestin Tawamba dès le 30 août, soit deux semaines avant l’événement. Une précaution prise pour éviter de reproduire la bévue de février 2021. En effet, à cette date, des membres parmi les plus importants du Gicam, invités à rencontrer le DGI alors en visite dans leur ville, avaient tardivement reçu leurs invitations – les cartons étant partis de Yaoundé 48 heures avant la venue de Mopa –, et avaient décidé de ne pas s’y rendre en signe de protestation.
De son côté, Célestin Tawamba pourra tirer profit de cet apaisement. Le président du Gicam, par ailleurs président du Groupement des industries meunières du Cameroun (GIMC) et président de l’Union des patronats d’Afrique centrale (Unipace), n’avait également pas d’autres choix que de répondre favorablement à la main tendue par son ancien adversaire.
Changer de cap ?
Engagé depuis sa réélection, en 2020, dans une bataille pour la modification du régime fiscal des entreprises, Célestin Tawamba a dû faire face à des critiques en interne, notamment en raison de ses méthodes jugées brutales dans une institution habituée à un lobbying discret.
Ce fut le cas en avril 2021, lorsqu’une frange du comité des Sages emmenée par l’ancien président du Gicam, André Siaka, l’avait tancé après que l’institution a refusé de recevoir le ministre délégué à la Justice, Jean de Dieu Momo, en lieu et place du Garde des sceaux, Laurent Esso, empêché. Même si Tawamba avait reçu le soutien d’une large majorité des membres du syndicat patronal, ses détracteurs avaient dénoncé les tensions récurrentes avec les pouvoirs publics, avant d’inviter l’exécutif du patronat à changer de cap.
LE LEITMOTIV DU MANDAT DE TAWAMBA : LUTTER POUR UN RENOUVEAU FISCAL
Malgré les critiques, Célestin Tawamba ne semble pas pour autant avoir abandonné le leitmotiv de son mandat : lutter pour un renouveau fiscal. À cet égard, lors de sa rencontre avec son ex-rival à la mi-septembre, il n’a pas manqué de dénoncer une nouvelle fois le manque de confiance entre les entreprises et le fisc. Il a toutefois plaidé pour une réforme fiscale qui intégrerait notamment un « rapide retour à l’imposition des entreprises, basée non pas sur le chiffre d’affaires, mais sur le bénéfice réalisé ». Et d’assurer « l’implication du patronat en amont de la préparation de la Circulaire de cadrage budgétaire du président de la République.
Pour la première fois, Mopa Fatoing a reconnu que « certaines incompréhensions ont pu apparaitre » entre les deux institutions. « Comment pourrait-il en être autrement, tant nos attentes peuvent se révéler contradictoires, condamnés que nous sommes à cheminer main dans la main », a-t-il affirmé au cours de la rencontre. Répondant à son interlocuteur, Mopa Fatoing a précisé qu’aussi « pertinente seront [les propositions du Gicam], elles ne seront pas toujours intégralement reprises dans les projets définitifs ». Il a ajouté que « ceci ne devrait pas être interprété comme un désaveu du Gicam, ni comme une insuffisance d’écoute à son endroit ». Et d’annoncer : « Celles des propositions qui n’appellent pas une modification de la législation fiscale en vigueur et dont la pertinence est avérée feront l’objet d’une application immédiate aux moyens de mesures administratives. »
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