Célestin Tawamba : « Nous souhaitons conclure un nouveau pacte avec l’État »

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Célestin Tawamba : « Nous souhaitons conclure un nouveau pacte avec l’État »
Célestin Tawamba : « Nous souhaitons conclure un nouveau pacte avec l’État »

Africa-PressCameroun. Seul candidat à sa succession à la présidence du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam), le patron des patrons veut réinventer le financement de l’organisation et sa relation avec des pouvoirs publics qui, selon lui, n’ont pas pris la mesure de la crise.

À 54 ans, Célestin Tawamba est assuré d’être réélu le 16 décembre à la tête du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam), faute de candidature concurrente.

Businessman aguerri à la tête de Cadyst Invest, un conglomérat diversifié actif dans l’agroalimentaire et l’industrie pharmaceutique, le dirigeant connu pour son franc-parler, avait succédé à feu André Fotso en 2017 à la tête du principal syndicat patronal du pays. Rencontre.

Comment se porte financièrement le Gicam ?

Célestin Tawamba :

Nous avons hérité d’une organisation plombée par les dettes. Les délais de paiement de nos prestataires étaient de plusieurs mois ou années. Nous les avons réduits et l’organisation se porte mieux. Nos ressources doivent dorénavant être pérennes. Nombre de membres ne sont pas toujours à jour de leurs cotisations.

Nous allons nous réinventer dans le financement du groupement. En Côte d’Ivoire par exemple, une taxe à l’importation, prélevée par les douanes, permet à l’État de reverser 5 milliards de F CFA annuels au syndicat patronal, en plus des cotisations. C’est une piste à explorer.

Comment réagissez-vous à l’absence de concurrence pour l’élection du 16 décembre ?

Je n’ai pas à en rougir. J’ai fait ce que j’avais promis en ramenant le mandat de cinq à trois ans avec effet rétroactif et en élargissant la possibilité de candidatures en dehors des membres du conseil d’administration.

Votre premier mandat a été marqué par cette lettre comminatoire adressée au président Paul Biya, le 16 janvier dernier, pour vous plaindre de l’attitude du directeur général des impôts. Réclamiez-vous la tête de Modeste Mopa Fatoing ?

Je ne veux la tête de personne. Le patronat souhaite un changement de politique fiscale. Mais si la personne qui administre l’impôt ne sait plus le faire, il faut bien qu’on la change.

En outre, la condescendance n’est pas la bonne attitude pour générer de la confiance. Un directeur des impôts doit aller vers ceux qui lui procurent ces ressources fiscales. Je ne me souviens pas qu’en presque dix années à ce poste, le directeur général ait visité une entreprise.

La fiscalité ne saurait être punitive. C’est la première préoccupation soulevée par nos adhérents.

Pourquoi s’attaquer au directeur des impôts et ménager son supérieur qu’est le ministre des Finances ?

Je ne ménage personne. Lors de sa venue dans nos locaux, l’année dernière, j’ai dit au ministre des Finances, en présence des responsables des administrations fiscales que sa bonne foi a été trahie quelque part dans la mise en œuvre de sa politique.

Votre proposition de réforme fiscale de 2018 n’a pas été totalement rejetée…

Ils ont fait du shopping dans nos propositions. Ils ont tenu compte de celles relatives à l’élargissement de l’assiette, mais ont ignoré celles visant à sortir de la fiscalisation du chiffre d’affaires.

Certes facile à collecter, celle-ci pousse les entreprises dans l’informel, détruit leur trésorerie et les oblige à aller vers certains dispositifs qui sont des refuges fiscaux, comme la loi de 2013 sur l’incitation à l’investissement.

Que peut faire votre équipe durant le prochain mandat qu’elle n’a réalisé durant le premier à ce sujet ?

Je ne dévoilerai pas ma stratégie ici, et me contenterai de remarquer qu’il est aberrant que des fonctionnaires soient aujourd’hui plus fortunés que des créateurs de richesses, parce que ces derniers sont victimes de tracasseries de toutes sortes. Nous sommes dos au mur et cela ne peut continuer…

Partagez-vous l’optimisme du gouvernement camerounais, qui table sur un taux de croissance de 3,3 % en 2021, après -2,6 % cette année ?

Je n’ai pas les éléments d’appréciation sur lesquels l’État se fonde pour arrêter ce taux. On peut néanmoins estimer que si le cours du baril continue d’augmenter, si suffisamment de ressources sont dégagées pour financer certaines infrastructures, si la CAN se tient et, surtout, s’il y a un tassement de la pandémie, l’économie repartira.

Mais on peut d’ores et déjà regretter que ces 3,3 % soient en dessous du taux nécessaire pour atteindre l’émergence. Nous pensons que l’État n’a pas pris la mesure de la crise pour adopter les mesures de relance qui auraient permis d’atteindre une croissance plus forte.

287 milliards de francs CFA (438 millions d’euros) sont prévus pour l’amortissement de la dette intérieure, et 72 milliards de F CFA pour les remboursements de crédits de TVA. Est-ce une bonne nouvelle pour vous ?

Cette annonce est étrange : les crédits de TVA sont censés dépendre de l’activité des entreprises. Est-ce que ces 72 milliards représentent un plafond ? Et dans ce cas, comment est-il décidé ?

En outre, il faut rappeler que pour l’exercice qui s’achève, les engagements de l’État à l’égard des entreprises locales n’ont pas été honorés : alors 287 milliards sont annoncés, on a frôlé les 2 000 milliards de dette intérieure. Si on prévoit de ne payer qu’à peine 15 % du montant total, cela devient préoccupant. Cela ne permettra pas aux entreprises de sortir de cette mauvaise passe. Nous avons demandé de titriser cette dette pour traiter des volumes plus conséquents.

Que mettez-vous dans la stratégie de relance ambitieuse que vous appelez de vos vœux ?

Il faut massivement investir en donnant de la trésorerie aux entreprises. La BEAC donne la possibilité aux banques de tirer jusqu’à 500 milliards F CFA, tout en interdisant aux banques de modifier les conditions d’octroi du crédit. Les banques ne sont donc pas en mesure d’accorder des crédits relais ou de nouveaux crédits aux entreprises en difficulté.

Résultat, elles n’ont tiré qu’à peine 50 milliards de francs CFA, 10 % des fonds mis à leur disposition. Sur ce plan, l’État aurait dû prendre quelques dispositions.

Il est aussi nécessaire de changer de paradigme dans l’attribution des marchés publics pour qu’une partie revienne aux nationaux ou soit produite localement. On ne peut se contenter de tenir compte de la livraison des marchés sans se poser la question de la provenance des produits.

Que pensez-vous de la nouvelle Stratégie nationale de développement (SND30) du Cameroun ?

Nous avons salué l’avènement de cette nouvelle stratégie, mais déplorons qu’elle soit pensée de façon à faire plaisir à tous les ministères, avec une atomisation des stratégies et des programmes, alors qu’elle était censée reposer sur trois piliers : l’agro-industrie, le numérique et l’énergie.

L’ensemble manque de cohérence. Elle devrait plutôt être opérationnalisée par le secteur privé, habitué à opérer de vrais choix stratégiques.

En outre, dans les quelques 150 personnes qui constituent le comité d’évaluation du SND30 figurent des secrétaires généraux de ministères. C’est incompréhensible que des personnes chargées de l’exécution d’une stratégie prennent également part à son évaluation.

Le Gicam n’a-t-il pas été associé à l’élaboration de cette stratégie ?

Nous avons été consultés, mais pas été associés. Nous avons échangé avec le ministre de l’Économie lors d’une rencontre de quelques heures à Douala. C’est tout. C’est une autre traduction du dialogue-alibi courant au Cameroun.

Pourtant, nous apportons des propositions concrètes dans notre livre blanc. Nous ne sommes pas dans la cogestion, mais nous nous sommes désormais donné un droit d’ingérence dans la conduite des affaires publiques.

Vous suggérez de supprimer le Cameroon Business Forum (CBF), rassemblement annuel entre l’État et le secteur privé. Que proposez-vous à la place ?

Après onze éditions du CBF, nous sommes toujours dans les profondeurs du Doing Business. Il faut en tirer les conséquences : sortir de l’événementiel, revoir sa conception pour rendre le nouveau format plus efficace. Nous souhaitons conclure un nouveau pacte avec l’État, et je dois dire que nous sommes aidés en cela par le volontarisme du Premier ministre, dont l’action est orientée vers le business.

Que recèle le contrat de performance entre l’État et les entreprises que vous proposez ?

Il s’agit d’engagements à prendre de part et d’autre. Par exemple, l’État peut garantir que 30 % des marchés publics reviennent aux entreprises locales. En contrepartie, celles-ci s’engagent à accroitre leur contribution fiscale ou l’emploi dans une proportion préalablement arrêtée.

 

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