Nelly Fualdes – avec Emeline Wuilbercq
Africa-Press – Cameroun. Début décembre, l’Éthiopien Henok Teferra Shawl, ancien ambassadeur d’Éthiopie en France, ex-patron d’Asky et ancien haut cadre d’Ethiopian Airlines, a rejoint le constructeur américain Boeing en qualité de directeur général pour l’Afrique.
Quinze ans après Anbessie Afework Yitbarek, ex-directeur technique d’Ethiopian Airlines désormais vice-président des ventes d’avions de ligne de Boeing, un autre haut cadre d’Ethiopian rejoint le constructeur américain.
1 – Navette
Entre l’aérien et la diplomatie, son cœur balance. Tout au long de sa carrière, Henok Teferra Shawl n’a cessé de passer de l’un à l’autre. Côté face, il fut premier secrétaire du ministère éthiopien des Affaires étrangères de 2003 à 2010 et, plus tard, ambassadeur d’Éthiopie pour la France, l’Espagne, le Portugal, le Vatican et Monaco. Côté pile, il a dirigé le département stratégie et affaires publiques d’Ethiopian Airlines, puis celui de la stratégie, de la communication et des alliances, avant d’être envoyé à Lomé pour diriger Asky. Poste qu’il a occupé de 2015 à 2017 en vertu du contrat de management liant la compagnie ouest-africaine à son actionnaire et partenaire stratégique éthiopien.
2 – Rencontre décisive
En réalité, son chemin aurait pu se cantonner à la diplomatie, que justifient ses diplômes et ses premiers pas au ministère éthiopien des Affaires étrangères. Mais, en 2010, alors qu’il assure la traduction lors d’une réunion de négociation de services aériens entre la RDC et l’Éthiopie, il fait la rencontre de Girma Wake, alors patron d’Ethiopian Airlines, qui lui propose un poste. Dans un échange avec Jeune Afrique, il y a quelques années, il expliquait avoir hésité puis accepté le défi, « convaincu par la vision panafricaniste » de l’entreprise.
3 – Parfaitement francophone
Formé en France, d’abord en droit international à l’Université de Nice puis en droit économique international à La Sorbonne, Henok n’a pas attendu son passage à l’ambassade de France pour apprendre le français, qu’il maîtrise à la perfection et parle sans accent. Il a appris la langue de Molière au lycée franco-éthiopien Guébré-Mariam d’Addis-Abeba, fondé sous l’empereur francophone et francophile Haïlé Sélassié à la fin des années 1940. Cet établissement autrefois considéré comme une fabrique d’élites a également compté dans ses rangs une élève qui occupe désormais la fonction – très honorifique – de présidente de l’Éthiopie, Sahle-Work Zewde.
Henok Teferra Shawl parle également couramment l’amharique – l’une des langues administratives de l’Éthiopie – et l’anglais tandis que son CV affiche des « compétences professionnelles » en allemand. Une langue qu’il a apprise très jeune lorsque son père diplomate était en poste en Allemagne, et qu’il maîtriserait bien davantage que ce qu’en dit son curriculum vitae.
4 – Féru de lecture
Lecteur éclectique, Henok Teferra Shawl est passionné d’histoire et de littérature, mais peut aussi dévorer des ouvrages plus scientifiques, sur l’aviation par exemple. On le dit incollable sur les grands dirigeants panafricains du continent, dont il connaîtrait l’histoire, la politique et l’économie sur le bout des doigts. Plus jeune, il aimait à réciter des vers de poésie. Il était d’ailleurs très proche de l’ancien directeur du patrimoine de l’Unesco et spécialiste d’Arthur Rimbaud, Beseat Kiflé Selassié, aujourd’hui disparu.
5 – Mobile money
Juste avant de renouer avec l’aérien, l’ancien ambassadeur a fait une brève incursion dans un troisième secteur, celui des télécommunications. Pendant six mois, de mai à novembre 2023, il a accompagné en qualité de chef des affaires extérieures et de la réglementation l’opérateur Safaricom qui lançait alors son tout nouveau service de mobile money, M-Pesa, en Éthiopie. Arrivé dans le pays en 2022 du fait de la privatisation – très – progressive du secteur, l’opérateur revendique 7 millions d’utilisateurs et 1,2 million de clients pour M-Pesa.
6 – « Agressé »
Lorsqu’il est nommé ambassadeur d’Éthiopie pour la France, l’Espagne, le Portugal, le Saint-Siège et Monaco, Henok Teferra Shawl représente la vague d’espoir qui a accompagné l’accession d’Abiy Ahmed à la tête du gouvernement. Quelques mois plus tard, en octobre, le jeune Premier ministre recevra même le prix Nobel de la paix 2019, consacrant la réconciliation du pays avec l’Érythrée.
Un an plus tard, tout bascule: un conflit armé éclate en novembre 2020 entre le pouvoir central éthiopien et les autorités du Tigré. Dans sa posture de diplomate, l’ambassadeur en France n’a de cesse de dénoncer « l’agression » du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) et le « silence » de la communauté internationale.
7 – Nouveau bureau
Même si le siège social de Boeing est situé à Arlington, en Virginie, et sa plus grande usine près de Seattle, dans l’État de Washington, Henok Teferra Shawl n’aura pas à déménager aux États-Unis pour la nouvelle étape de sa carrière. Il peut rester à Addis-Abeba, où le constructeur peut compter sur son plus fidèle client africain, Ethiopian Airlines, qui lui a acheté une grande partie de ses gros-porteurs (près de 40 sur 60 appareils) et la totalité de ses appareils moyen-courrier (une trentaine d’avions) et cargo (quinze avions). C’est donc assez logiquement que Boeing a décidé d’ouvrir un bureau en Éthiopie – un projet qui doit se concrétiser au début de 2024.
8 – Commande record
Fondée à la fin de la Seconde Guerre mondiale en coentreprise avec l’américain TWA, la plus importante compagnie africaine est traditionnellement un client fidèle de l’avionneur américain, même si elle a fait depuis 2016 quelques incursions chez Airbus. Rien cependant qui mette en péril la relation privilégiée entre les deux entreprises: le 14 novembre dernier, Mesfin Tasew, directeur général d’Ethiopian Airlines, a signé à Dubaï « le plus important achat de Boeing en Afrique », avec la commande de 11 gros porteurs 787 Dreamliner et 20 monocouloirs de type 737 Max 8.
Une commande dont Henok Teferra Shawl devra gérer le service après-vente en attendant la livraison, alors que Boeing est confronté à des difficultés dans la chaîne d’approvisionnement et connaît des problèmes de production chroniques pour son 737 Max.
9 – Crash
Entre Ethiopian et Boeing, reste tout de même une blessure, celle de l’accident du vol ET302 d’Ethiopian Airlines du 10 mars 2019, qui s’est écrasé quelques minutes après son décollage à Addis-Abeba, provoquant la mort de 157 personnes – 149 passagers et 7 membres du personnel de la compagnie. Le Bureau d’enquête éthiopien sur les accidents aériens (EAIB), qui a mené les investigations, a conclu à la défaillance du logiciel anti-décrochage installé sur le modèle 737 Max.
Cloué au sol pendant dix-huit mois aux États-Unis et plus de trente-six en Éthiopie, le temps de mener à bien des corrections logicielles et de former des pilotes, ce best-seller dévolu au moyen-courrier a repris son envol. À noter qu’Henok Teferra Shawl n’a pas eu à gérer directement ce dossier: en mars 2019, il venait justement de quitter son poste de vice-président de la stratégie et des alliances chez Ethiopian pour rejoindre le 7e arrondissement de Paris, où se trouve l’ambassade d’Éthiopie.
10 – Fier
Si les nouvelles fonctions d’Henok Teferra Shawl ne sont pas incohérentes avec le reste de son parcours, son retour à l’aviation n’était pas une évidence pour certains de ses anciens collaborateurs, convaincus qu’il ferait plutôt carrière dans la diplomatie. Décrit comme « fier » et « peu accessible » par certains quand d’autres se le rappellent « poli » et doté d’une capacité de travail « hors normes », l’ancien dirigeant d’Asky a en tout cas traversé une période de turbulences opérationnelles à la tête de la compagnie ouest-africaine.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Cameroun, suivez Africa-Press