Africa-Press – Cameroun. Investir au Cameroun) – Pour les observateurs qui consultent régulièrement le site de l’Association bananière du Cameroun (Assobacam), un signal est devenu difficile à ignorer: depuis trois mois, les données d’exportation de Boh Plantations Limited (BPL) ont disparu des tableaux mensuels. L’interprofession n’a pas communiqué d’explication officielle. En coulisses, cette absence reflète une recomposition discrète de la filière bananière camerounaise.
Selon des informations exclusives d’Investir au Cameroun, cette situation découle d’une cession d’actifs agricoles finalisée le 22 octobre 2025, au terme de discussions engagées depuis plusieurs mois. L’opération acte la sortie opérationnelle de Boh Plantations du segment industriel de la banane et accélére, dans le même temps, une nouvelle phase de concentration du secteur.
Dans le détail, les actifs agricoles de BPL — à l’exclusion des actions et du fonds de commerce — ont été repris par deux opérateurs déjà bien implantés. La Plantation du Haut Penja (PHP), leader du marché, a acquis la plantation de Mbonjo, dans la région du Littoral. La Compagnie des bananes de Mondoni (CDBM), filiale montante du groupe Compagnie fruitière, a pour sa part repris le site de Missaka, dans le Sud-Ouest. Les montants de la transaction n’ont pas été communiqués. « PHP et CDBM ont racheté les actifs de BPL et non les actions ni encore le fonds de commerce. BPL existe toujours », confie une source au fait du dossier.
Sur le plan juridique, Boh Plantations Limited continue donc d’exister, mais se retrouve désormais dépourvue d’actifs de production bananière. Selon des indiscrétions, la décision serait liée au choix stratégique de son promoteur, Njong Eric Njong, qui aurait opté pour un recentrage sur ses métiers historiques, notamment les travaux publics, réduisant son engagement direct dans la production bananière industrielle.
Sur le volet social, l’opération a été présentée comme sans rupture brutale. À la date de conclusion de l’accord, les 554 employés de BPL ont été repris par PHP et CDBM. Les autres travailleurs, selon les mêmes informations, ont vu leurs droits intégralement acquittés par Boh Plantations Limited, employeur à la date de la cession.
Contacté, le promoteur n’a pas démenti l’information, tout en indiquant qu’il s’agissait plutôt de négociations actuellement en cours.
Seize ans d’un projet agricole ambitieux mais contraignant
Fondée en 2009 par l’homme d’affaires Njong Eric Njong, Boh Plantations Limited portait un projet agricole principalement implanté à Missaka, avec une surface agricole utile estimée à près de 700 hectares, répartie sur plusieurs sites. L’entreprise affichait des objectifs élevés de production et d’emplois: des rendements estimés à 45 tonnes par hectare dès 2014, des projections d’investissements de l’ordre de 5 milliards de FCFA à moyen terme, et la création attendue de 1 000 emplois directs et 500 indirects.
Dans l’exécution, BPL s’est heurtée à des contraintes structurelles lourdes: sols partiellement marécageux, proximité du fleuve Moungo, besoins élevés en drainage et en infrastructures. Des paramètres qui pèsent sur les coûts, les délais et la régularité de la production, dans une filière très dépendante de la performance logistique.
Un marché désormais structuré autour de trois pôles
Au-delà du cas BPL, la cession de ses actifs redessine l’architecture du marché bananier camerounais. La production autrefois assurée par Boh Plantations serait désormais réallouée entre PHP et la CDBM, renforçant mécaniquement leur poids industriel et logistique. La filière s’organise désormais autour de trois opérateurs: PHP, la Cameroon Development Corporation (CDC) et la CDBM.
Dans cette nouvelle configuration, PHP consolide sa position dominante, tandis que la CDBM accélère sa montée en puissance, deux ans seulement après son entrée sur le marché en juin 2023. Les données d’exportation illustrent cette recomposition: en septembre 2025 — mois à partir duquel BPL disparaît des statistiques de l’Assobacam — PHP signe sa meilleure performance annuelle avec 15 438 tonnes exportées, pendant que la CDBM atteint 2 925 tonnes, un record pour ce producteur.
Mais dès octobre, la dynamique se replie: les exportations de PHP reculent à 14 172 tonnes et celles de la CDBM à 2 475 tonnes. En novembre, la tendance se confirme avec 12 705 tonnes pour PHP et 2 534 tonnes pour la CDBM. Ce ralentissement progressif, après le pic de septembre, pourrait traduire à la fois les contraintes structurelles du secteur et une phase d’ajustement opérationnel, consécutive à l’absorption des volumes de BPL par les deux repreneurs. Le mouvement s’inscrit, en outre, dans un contexte défavorable: selon l’Assobacam, les exportations totales de bananes ont chuté de 45,5 % en novembre 2025, passant de 27 007 tonnes un an plus tôt à 18 562 tonnes.
Njong Eric Njong, un entrepreneur aux multiples leviers
Derrière Boh Plantations Limited se trouve Njong Eric Njong, homme d’affaires camerounais originaire du Sud-Ouest, décrit comme discret mais influent dans le tissu économique national. Architecte de formation, diplômé de l’université de Lagos, il a bâti depuis les années 1990 un portefeuille d’activités diversifiées, du BTP à l’immobilier, en passant par l’agro-industrie.
À travers son groupe, il contrôle notamment Buns Sarl. Présent également dans la finance, il est président du conseil d’administration de Zénithe Insurance. Le retrait opérationnel de BPL de la filière banane apparaît ainsi comme une réorganisation stratégique d’actifs au sein de cet ensemble entrepreneurial.
Amina Malloum





