Cameroun : ce que contient le dossier d’instruction contre Edgar Alain Mebe Ngo’o

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Cameroun : ce que contient le dossier d’instruction contre Edgar Alain Mebe Ngo’o
Cameroun : ce que contient le dossier d’instruction contre Edgar Alain Mebe Ngo’o

Africa-PressCameroun. Rétro-commissions, enveloppes, voitures de luxe, immeubles… Jeune Afrique vous dévoile les détails du volumineux dossier de l’ancien ministre, renvoyé le 26 août devant le tribunal criminel spécial pour détournements de fonds publics.

Le juge d’instruction Jean Betea a ouvert la voie à un procès des époux Mebe Ngo’o, emprisonnés depuis mars 2019 à la prison de Kondengui. Le 26 août, il a rédigé l’ordonnance de renvoi d’Edgar Alain Mebe Ngo’o et de Bernadette Mebe Ngo’o – ainsi que de leurs co-accusés Ghislain Victor Mboutou Ellé, Victor Emmanuel Menye et Maxime Léonard Mbangue – devant le tribunal criminel spécial de Yaoundé.

Selon ce document, que Jeune Afrique a pu consulter, l’ancien ministre de la Défense y est accusé du détournement de plus de 20 milliards de F CFA (près de 30,5 millions d’euros), de violation du code des marchés publics (dont le préjudice pour l’État est estimé à 196,8 milliards de F CFA), de corruption, de prise illégale d’intérêt et de blanchiment.

Son épouse, Bernadette, est quant à elle accusée de complicité de détournement de fonds, pour une somme d’environ 5 milliards de F CFA, ainsi que de complicité de corruption et de blanchiment. La charge de délit d’initié, initialement évoquée contre Edgar Alain Mebe Ngo’o, n’a en revanche pas été retenue.

Mebe Ngo’o était soupçonné d’avoir utilisé des informations confidentielles afin de favoriser l’entreprise française d’équipement militaire MagForce International et de « générer des rétro-commissions » en sa faveur. Mais ces faits se seraient déroulés entre 2010 et 2015, et la loi camerounaise sur le délit d’initié n’est entrée en vigueur qu’en 2016.

Selon nos informations, Edgar Alain Mebe Ngo’o, qui a nié la quasi-totalité des faits qui lui sont reprochés, a demandé la nullité de la procédure en contestant notamment la validité du procès-verbal de perquisition. Selon lui, celui-ci n’est pas conforme car la perquisition a été effectuée en l’absence de ses conseils – seul un de ses fils et lui-même étaient présents.

L’ancien ministre a ajouté que les officiers de police judiciaire s’étaient « livrés, avec une malice certaine, à des commentaires tendancieux » durant la fouille, et qu’aucune pause ne lui avait été accordée tandis que les policiers ont été présents sur place près de huit heures.

Mebe Ngo’o estime par ailleurs que la procédure devrait être annulée pour violation du secret de l’information judiciaire et irrégularité des procès-verbaux d’interrogatoires et de confrontation.

Dans son document de 74 pages, le juge d’instruction détaille par le menu « l’affaire Mebe Ngo’o ». « Les époux se sont faits ouvrir plusieurs comptes dans différents établissements de crédit, lesquels ont enregistré de nombreux mouvements de fonds sans lien avec les revenus de leurs activités respectives », écrit-il notamment dans son ordonnance de renvoi.

« Une partie de ces sommes proviendrait des rétro-commissions versées par Mag Force International », dirigée à l’époque des faits par Robert Franchitti. L’accusation se base notamment sur le témoignage d’un ancien employé du ministère de la Défense, lequel détaille des détournements présumés lors des fêtes nationales du 20 mai.

Selon nos sources, ce témoignage explique que, sur la dizaine de milliards de francs CFA alloués à l’organisation, la moitié était affectée à l’équipement des troupes et en partie versée à MFI, laquelle reversait 10% à Mebe Ngo’o. L’autre moitié était débloquée en espèces pour des prestations délivrées notamment par la société Limousines Prestige Services, dont « Bernadette Mebe Ngo’o est la promotrice ».

L’ordonnance évoque encore les « cadeaux offerts » à la famille Mebe Ngo’o, dont une enveloppe de 500 000 euros, la couverture de frais médicaux (représentant 5 000 euros en 2013), deux salons en cuir en 2014, ou encore quelques frais vestimentaires payés chez le couturier Pape Ibrahima N’Diaye, dit Monsieur Pape, à Paris.

Selon nos informations, Edgar Alain Mebe Ngo’o a nié devant les enquêteurs avoir reçu des rétro-commissions mais a confirmé avoir reçu une enveloppe de 5 000 euros et les deux salons en cuir. Il a également assuré que Robert Franchitti ne lui avait rendu qu’un seul service : le Français lui louait un appartement à Neuilly-sur-Seine, où il logeait son fils.

L’ordonnance de renvoi détaille également une autre accusation liée à un contrat signé en 2013 entre le ministère camerounais de la Défense et la société chinoise Poly Technologies pour 300 millions d’euros d’équipements militaires (hélicoptères et patrouilleurs notamment). « Les responsables de Poly Technologies Incorporation ont offert d’énormes libéralités et cadeaux », explique le document.

Mebe Ngo’o affirme avoir été mandaté par la présidence, mais le juge rétorque qu’aucune preuve ne l’indique et que l’accusé aurait profité de sa position pour initier plusieurs avenants « non autorisés » par la présidence.

53 immeubles et 39 véhicules

Selon nos informations, Edgar Alain Mebe Ngo’o s’est refusé, devant les enquêteurs, à expliquer l’origine de ses biens. Son épouse a quant à elle assuré qu’ils avaient été acquis « de manière progressive ». Mais ces « dénégations ne sont pas pertinentes », a conclu le juge d’instruction.

Son ordonnance de renvoi liste pour le couple 53 immeubles (18 dans le Mfoundi, 15 dans le Dja-et-Lobo, 9 dans l’Océan, 7 dans le Méfou-et-Afamba, 3 dans la Mvila ainsi qu’1 à Aubervilliers, en France), ainsi que 21 comptes courants – sur lesquels plus de 300 millions de francs CFA ont été gelés.

Elle recense également 39 véhicules et engins lourds (douze Mercedes, quinze Toyota, une Lexus, une fourgonnette Renault, deux Peugeot, deux Nissan, quatre Volkswagen et deux Caterpillar).

« C’est l’importance quantitative et qualitative de ce patrimoine, sans lien étroit avec les revenus de leurs activités respectives », qui a justifié l’enquête, estime le juge.

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