Cameroun : chief Moja Moja, l’enfant terrible de Buea, est-il devenu incontrôlable ?

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Cameroun : chief Moja Moja, l’enfant terrible de Buea, est-il devenu incontrôlable ?
Cameroun : chief Moja Moja, l’enfant terrible de Buea, est-il devenu incontrôlable ?

Africa-Press – Cameroun. Il est répertorié dans les registres officiels comme chef du village Bwassa, une bourgade située dans la banlieue Buea (région du Sud-Ouest), et comme soldat du bataillon d’intervention rapide (BIR). Mais si John Ewome Ekobo, dit chief Moja Moja, s’est fait connaître sur le front anglophone, c’est moins pour ses multiples casquettes que pour la singularité – et la brutalité – de son combat contre les séparatistes.

Qu’il revête ses habits de chef traditionnel ou un treillis militaire, Moja Moja se dit doté d’une mission : celle de faire disparaître toute velléité indépendantiste dans le département du Fako, auquel appartient sa ville natale de Buea, et ce peu importe la manière. Propagandiste invétéré de l’État unitaire, le quadragénaire est en effet soupçonné d’une longue liste de dérives, perpétrées sous couvert de la lutte contre les séparatistes.

Silence de la hiérarchie

Las du silence de sa hiérarchie au sein de l’armée, un collectif d’avocats s’est constitué et a déposé, le 12 juillet dernier, une plainte au tribunal militaire de Yaoundé pour « abus de fonction », « torture », « arrestation », « séquestration » et « menaces sous conditions » contre des civils. Le 22 août, le même collectif a annoncé que les forces de défense camerounaises avaient décidé d’ouvrir une enquête et demandé aux plaignants de leur fournir des informations supplémentaires pour étayer leurs accusations.

JE SUIS EN BROUSSE POUR CAPTURER TOUS CES MALFAITEURS, C’EST TOUT CE QUI ME PRÉOCCUPE

Les autorités se seraient-elles résolues à lâcher l’enfant terrible de Buea, qui n’avait jamais été inquiété jusque-là malgré plusieurs dénonciations ? Joint par Jeune Afrique, l’intéressé dit « poursuivre sereinement son travail dans les collines et forêts du [Sud-Ouest]. Je suis en brousse pour capturer tous ces malfaiteurs, c’est tout ce qui me préoccupe. » Mais comment ce soldat jadis inconnu du grand public en est-il venu à incarner l’impunité qui règne sur le front anglophone ?

John Ewome Ekobo est issu d’une longue lignée de militaires camerounais originaires de Buea. Son grand père, chief Lindo l’Ewome, collabora avec les armées allemandes et britanniques et son père, chief Ewome Njie John – dit chief Stone – était un sous-officier de l’armée camerounaise jusqu’en 1992, date à laquelle il quitta les forces de défense pour poursuivre une carrière d’instructeur pour le Cameroon Opportunities Industrialisation Center (COIC), à Buea. C’est au décès de ce dernier, en 2008, que Moja Moja récupère la couronne royale.

LES SÉPARATISTES VOIENT DANS LES CHEFS TRADITIONNELS LES « COMPLICES DE LA FORCE D’OCCUPATION FRANCOPHONE »

Lorsque la crise anglophone éclate en 2017, les chefs traditionnels sont appelés en renfort par l’administration camerounaises, qui espère faire retomber la tension dans les régions anglophones, mais sans succès. Les séparatistes voient en eux les « complices de la force d’occupation francophone » et lorsque la crise se transforme en conflit, les chefs comptent parmi les premières victimes du vent de violence qui s’abat sur leurs territoires.

Sorties tonitruantes

Ainsi en juillet 2018, sept chefs traditionnels du Sud-Ouest sont kidnappés par les groupes armés, puis libérés. La pression s’accentue encore l’année d’après. Plusieurs sont assassinés. À Dibanda, Liwu la-Malale ou Essoh-Attah, les victimes s’accumulent. Le 25 septembre 2019, les séparatistes mènent une incursion à Bwassa et incendient plusieurs maisons, dont celle de chief Moja Moja. Mais alors que la plupart de ses collègues ont déserté leurs cours royales pour se réfugier dans les grandes villes, jugées plus sûres, Moja Moja rejoint le combat.

Il commence par apporter son aide aux soldats déployés sur le terrain, et le voilà bientôt donner de la voix. Dans des sorties tonitruantes, il condamne l’attentisme des chefs traditionnels du Fako : « Je combat les [Ambazoniens] seul. Tout ce qui intéresse les chefs à Buea, c’est d’obtenir l’argent de l’administration. Ils ne veulent pas travailler. Ils ne veulent pas se battre contre les séparatistes. »

Ces sorties ne manquent pas de faire leur effet. L’individu se fait remarquer et reçoit le soutien de l’administration. « La ville de Buea venait de perdre son maire, Patrick Ekema, qui était habitué à donner la riposte aux diatribes verbales des séparatistes », résume le responsable d’une organisation humanitaire basée à Buea. « Moja Moja a facilement repris le flambeau avec la bénédiction des autorités. »

DE PASSAGE À BUEA EN DÉCEMBRE 2020, LE PREMIER MINISTRE JOSEPH DION NGUTE LUI ADRESSE SES ENCOURAGEMENTS TOUT EN LUI DEMANDANT DE CALMER SA FOUGUE

Fin 2020, alors que la guerre fait rage, Moja Moja enregistre une nouvelle vidéo dans laquelle il tient des propos virulents contre les ressortissants du Nord-Ouest vivant dans la région voisine du Sud-Ouest, réveillant le spectre de divisions historiques. Les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent un discours de haine, il n’en a cure. De passage à Buea en décembre 2020, le Premier ministre Joseph Dion Ngute lui adresse ses encouragements tout en lui demandant de calmer sa fougue. C’est sans effet.

Torture et séquestration

Arme au poing, drapeau sur le collet, le militaire, qu’accompagnent généralement deux ou trois soldats, se met en scène dans des forêts où des villages désertés et tance ses adversaires. « Je suis Moja Moja ! Si vous êtes forts, venez ici combattre, cessez de vous en prendre aux innocents civils ! » Dans une autre vidéo, on le voit questionner des individus qui, sous la torture, admettent appartenir à un groupe séparatiste. En octobre 2021, il est filmé en train de molester une femme enceinte qu’il a séquestrée et qu’il accuse d’être liée au leader ambazonien No Pity : « Si tu ne te présentes pas, nous allons rester avec ta femme », le menace-t-il.

Moja Moja est-il devenu incontrôlable ? « Les griefs contre ce monsieur sont innombrables », affirme Me Tamfu, l’un des avocats du collectif ayant porté plainte auprès du tribunal militaire. « Nous demandons à l’État des preuves de vie de toutes les victimes arrêtées et torturées par le chef Moja Moja dans son palais et de donner aux victimes des moyens de demander justice », indique pour sa part le Centre des droits de l’homme pour la démocratie en Afrique, auteur d’un rapport au vitriol rendu public en juin dernier.

Régulièrement accusée de bavures par les ONG, l’armée camerounaise n’avait jusque-là jamais paru porter une attention aux plaintes contre les actions de Moja Moja. Mais l’ouverture d’une enquête est un signal fort, qui pourrait signifier la fin de l’impunité. Reste à savoir si la hiérarchie militaire est prête à se passer de l’un de ses plus importants propagandistes.

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