Cameroun : Paul Biya, ses remaniements et la machine à rumeurs

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Cameroun : Paul Biya, ses remaniements et la machine à rumeurs
Cameroun : Paul Biya, ses remaniements et la machine à rumeurs

Africa-Press – Cameroun. Premier ministre : Joseph Dion Ngute. Ministre de la Justice : Ferdinand Ngoh Ngoh. Ministre de l’Administration territoriale : Ibrahim Talba Malla. Ministre des Relations extérieures : Samuel Mvondo Ayolo… En ce début de septembre, Yaoundé bruisse une nouvelle fois de rumeurs de remaniement. Une liste « est sur la table de Paul Biya », assurent certains observateurs. La question « n’est pas à l’ordre du jour », rétorquent d’autres. Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, serait « perdant », « en disgrâce ». Mais d’autres affirment qu’il en ressort « gagnant » et « renforcé ».

Dans tous les cas, il reviendra au chef de l’État de trancher. « Dans les prochains jours, nous dit-on. Ou les prochaines semaines. » En attendant, chacun retient son souffle. Une apnée politique que les puissants et les ambitieux ont appris à pratiquer tant bien que mal sous la présidence de Paul Biya, stratège aux quatre décennies de pouvoir. Exemple : dans la liste du « futur gouvernement » circulant actuellement sur les réseaux sociaux, Marie-Claire Nnana hériterait d’un portefeuille du Développement rural. Une étonnante promotion pour l’historique directrice de la publication du quotidien gouvernemental Cameroon Tribune, qui trône à la tête de la Société de presse et d’éditions du Cameroun depuis 2002.

Certes ambitieuse, Marie-Claire Nnana est l’une des plus grandes habituées des rumeurs de remaniement. En mars 2021, on l’envoyait ainsi aux Affaires foncières, tandis qu’en octobre 2020, elle était pressentie à la Communication, avec un poste de porte-parole du gouvernement qui aurait sans doute convenu à cette ancienne étudiante de la prestigieuse École supérieure de journalisme (ESJ) de Lille. « Son nom circule régulièrement, même pour des ministères farfelus pour elle, confie un proche d’Etoudi. Mais, pour le moment, rien ne s’est jamais concrétisé. »

Rumeurs et guerre des clans

Autre habitué des faux mercatos gouvernementaux : Samuel Mvondo Ayolo. Le directeur du cabinet civil de Paul Biya est régulièrement envoyé – comme c’est le cas dans la liste actuelle – du côté des Relations extérieures, parfois renommées « Affaires étrangères ». Ancien ambassadeur au Gabon et en France, le diplomate aurait le profil, et ne manque ni de soutiens ni d’adversaires. « Il est souvent en conflit avec Ferdinand Ngoh Ngoh à la présidence, constate un proche du gouvernement. Résultat, certains mentionnent son nom pour fragiliser le secrétaire général, voire provoquer son départ du palais. »

LES RUMEURS DE REMANIEMENT, C’EST UN PEU LE THERMOMÈTRE DE LA GUERRE DES CLANS AUTOUR DE PAUL BIYA, QUI RESTE SILENCIEUX

Ferdinand Ngoh Ngoh est tout aussi régulièrement donné sur le départ. Selon la rumeur du jour, il remplacerait à la Justice l’un des ministres avec lesquels il s’entend le moins, Laurent Esso, qui disparaîtrait des radars, tout comme son homologue des Finances, Louis-Paul Motaze, autre poids lourd des joutes en cours. « Les rumeurs de remaniement, c’est un peu le thermomètre de la guerre des clans autour de Paul Biya, qui reste silencieux, déplore un analyste politique à Yaoundé. On en est réduit à observer les faux déplacements de Ngoh Ngoh, à la Justice ou à la Défense, de Mvondo Ayolo ou d’Esso, sur la base de fausses informations relayées par leurs soutiens ou leurs détracteurs. »

« Dans le même ordre d’idées, Franck Biya a été régulièrement présenté comme un futur ministre. Cela a été le cas en 2021 et en 2022. Mais la rumeur venait sans doute de ses ennemis politiques », poursuit notre interlocuteur proche du gouvernement. En réalité, le fils du président – qui ne figure pas dans le « remaniement » dont chacun parle en ce moment – se trouve depuis plus de dix ans au centre des attentions, le tout-Yaoundé s’interrogeant sur une prétendue succession dynastique voulue par le chef de l’État.

Les faveurs d’Etoudi

« La plupart du temps, il n’y a aucune base à ces rumeurs. Tout le monde cherche à y déceler les intentions ou les faveurs du moment de Paul Biya, mais rien ne prouve que le président réfléchisse vraiment à un remaniement, ajoute notre analyste. Au mieux, il sait et il laisse faire pour mieux régner. » Quitte, forcément, à faire des déçus. Pressenti en 2020 aux Transports, Cyrus Ngo’o n’a ainsi pas fait son entrée au gouvernement et a dû ronger son frein au Port autonome de Douala, malgré l’amitié que lui porte Ferdinand Ngoh Ngoh. Le gouverneur du Nord-Ouest, Adolphe Lele Lafrique, n’aura de son côté jamais obtenu le poste de ministre du Travail, qui lui était pourtant promis par certains en 2020.

LE DERNIER VRAI REMANIEMENT DATE DE JANVIER 2019, MAIS YAOUNDÉ RÉUSSIT À PRODUIRE TROIS OU QUATRE FAUX GOUVERNEMENTS PAR AN AU MINIMUM

Quant à Oswald Baboke, le directeur adjoint du cabinet civil qui était envoyé à la Santé voici deux années, il n’a pas non plus été nommé et est aujourd’hui, une nouvelle fois, pressenti. Selon les derniers pronostics en date, il pourrait se voir confier la Fonction publique. « Trop de rumeurs, déplore l’intéressé à Jeune Afrique. C’est du réchauffé. » « Le dernier vrai remaniement date de janvier 2019, mais Yaoundé réussit à produire trois ou quatre faux gouvernements par an au minimum, s’amuse notre source. Même si on ne prenait que les informations dites sûres, on pourrait avoir Samuel Eto’o et Franck Biya comme ministres ! »

L’invisible fumée blanche

Parfois, rarement, le chef de l’État coupe court aux rumeurs et remanie effectivement son équipe, comme en septembre 1996. Paul Biya avait alors choisi de remplacer son Premier ministre Simon Achidi Achu et il avait, comme souvent, fait venir les prétendants à l’hôtel Mont-Fébé, à deux pas d’Etoudi. À l’époque, plusieurs candidats étaient pressentis pour la primature, parmi lesquels Dorothy Njeuma, qui avait le vent en poupe. La rumeur la donnait gagnante, au nom d’un symbole qui aurait fait d’elle la première femme du pays à occuper cette fonction. Mais, cette fois encore, le bruit était trompeur. Paul Biya nomma Peter Mafany Musonge.

Dorothy Njeuma repartira du prestigieux Mont-Fébé sans portefeuille ministériel. Aujourd’hui membre de la Cour suprême, l’universitaire anglophone aura été comptée régulièrement parmi les prétendantes à la primature depuis deux décennies, sans jamais avoir été ministre de plein exercice. « Au moins, en 1996, il y a vraiment eu un remaniement, souffle un observateur politique camerounais. Dans la majorité des cas, on retient son souffle en attendant la fumée blanche qui viendrait d’Etoudi, mais celle-ci ne vient jamais. C’est soi-disant reporté, soumis à arbitrage, retardé… Et finalement il n’y a aucun changement. »

À Yaoundé, l’écran de fumée est en effet bien plus fréquent que la fumée blanche. Cela n’empêche pas les intrigants de prédire aujourd’hui un remaniement au moment des célébrations de novembre prochain, lors desquelles Paul Biya fêtera ses quarante années au pouvoir, ou encore après la Coupe du monde de football, en décembre. Répondant ce 13 septembre à Jeune Afrique, Oswald Baboke affirme sobrement depuis son bureau d’Etoudi : « Un remaniement n’est pas d’actualité. »

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