Cameroun : un pays gouverné ‘sur hautes instructions’

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Cameroun : un pays gouverné ‘sur hautes instructions’
Cameroun : un pays gouverné ‘sur hautes instructions’

Africa-PressCameroun. D’ordre de monsieur le président de la République ». « Sur très hautes directives du chef de l’Etat ». « Sur très hautes instructions de monsieur le président de la République ». En l’absence des conseils de ministres, instance de prédilection où le président de la République donne directement ses instructions aux membres du gouvernement, le secrétaire général de la présidence de la République (SG/PR) devient la principale passerelle des directives présidentielles. Du coup, ces formules fleurissent dans la relation entre la présidence de la République et le gouvernement. En principe, et à la lumière de l’instruction générale du 27 novembre 1992 relative à l’organisation du travail gouvernemental, et notamment la liaison entre la présidence de la République etle gouvernement, le SG/PR est dans son rôle institutionnel. « Le rôle principal du secrétaire général dans ce domaine consiste à soumettre au chef de l’Etat les demandes d’instructions provenant du gouvernement d’une part, de recueillir les directives présidentielles et de les transmettre au chef du gouvernement via son secrétaire général, ou en cas d’extrême urgence au ministre concerné avec copie au secrétaire général des services du Premier ministre pour l’information du chef du gouvernement », prévoient les textes.

Au nom du patron

Comment donc s’assurer que les instructions répercutées par le SG/PR au gouvernement émanent effectivement du président de la République ? Au sein de l’opinion, et même du gouvernement, beaucoup attribuent l’initiative de cette démarche au principal collaborateur du président de la République. Sous leur prisme, Ferdinand Ngoh Ngoh agirait ainsi au nom mais à l’insu de son patron. Ses tenants sont d’autant plus enclins à valider cette hypothèse qu’ils se laissent convaincre que Paul Biya, usé par l’âge (88 ans) et son interminable magistère (39 ans), n’a plus l’énergie nécessaire pour assumer pleinement sa charge. Aussi, rechignent-ils quelques fois à mettre en œuvre les instructions présidentielles transmises par le SG/PR. « Dans un cas, un ministre a répondu au chef du gouvernement en accusant réception des instructions présidentielles qu’il lui avait transmises. Ensuite, il a énuméré les difficultés juridiques et pratiques que soulevait l’exécution desdites instructions, notamment le fait que celles-ci remettaient en fait en cause une décision de justice. La lettre était empreinte de courtoisie et bien argumentée. Et la position du ministre sur ce dossier n’a plus fait l’objet de nouvelles instructions de la part de la présidence », témoigne Jean-Marie Atangana Mebara. Dans son livre ‘’Le secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités’’, l’ancien SG/PR, qui croupit en prison depuis 2008, bat ainsi en brèche l’idée que ce mode de gouvernance est l’apanage de l’actuel occupant du poste. Par-là même, il administre aussi la preuve que cette pratique n’est pas nouvelle sous le Renouveau.

Défiance du SG/PR

Autant dire que la défiance du SG/PR par certains membres du gouvernement se nourrit aussi de leur doute sur la véritable source des instructions. Récemment, le ministre des Sports et de l’Education physique, Narcisse Mouelle Kombi, a attendu que le SG/PR revienne à la charge et avec un ton plus injonctif pour consentir à se conformer aux instructions présidentielle notamment en mettant les stades à la disposition de la Fecafoot. Et cet exemple est loin d’être unique. En son temps, JeanMarie Atangana Mebara se souvient du cas de trois ministres qui ont refusé, en dépit des relances insistant sur l’importance que Paul Biya leur accordait, d’exécuter les instructions présidentielles transmises par ses soins. « Dans un cas, un ministre m’a répondu qu’il se conformerait aux instructions que lui donnerait son chef hiérarchique, le Premier ministre. Dans un autre cas, le ministre a préféré envoyer au chef de l’Etat des notes confidentielles pour dénoncer les instructions du ‘’secrétaire général’’. Dans le dernier cas, le ministre a usé de dilatoire ». Et les trois membres du gouvernement ont payé cash leur irrévérence.« L’un a provoqué un remaniement dans les semaines qui suivaient les instructions non exécutées, les deux autres ont attendu la formation d’un nouveau gouvernement, quelques mois plus tard, pour sortir de l’équipe », écrit Jean-Marie Atangana Mebara.

Système hyper-centralisé

Ce dernier rappelle à toutes fins utiles qu’à l’occasion des audiences que Paul Biya accorde quasi-quotidiennement au SG/PR, il lui donne ses directives etinstructions oralement, face à face ou au téléphone en dehors des audiences. « A quelques occasions, il transmet ces instructions par le biais de son aide de camp, qui les communique par téléphone au secrétaire général », insiste-t-il. Du coup, en cas d’oubli du Président, il devient quasiment impossible au SG/PR de se dédouaner en apportant la preuve que les instructions qu’il répercute émanent bel et bien du président de la République. Surtout que, susurre une source haut placée dans l’appareil de l’Etat, il est extrêmement rare de voir des instructions écrites du président de la République. Mais, à en croire JeanMarie Atangana Mebara, il serait suicidaire pour un SG/PR de prendre des initiatives à l’insu du président de la République et pour son compte. Péremptoire, il assène : « Mais imaginez-vous un secrétaire général se prévalant d’instructions prétendument présidentielles alors qu’elles ne viennent pas du chef de l’Etat ? Imaginez-vous un tel secrétaire général rester une semaine ou un mois de plus à son poste, après une telle forfaiture ? » Un autre ancien SG/PR confie, avec quelque nuance :« Le Cameroun est régi par un système hyper-centralisé, tout part et converge vers le président de la République. Bien sûr, le secrétaire général de la présidence de la République peut influer sur les instructions présidentielles en les suggérant dans ses multiples notes. Mais c’est le oui présidentiel qui les met en branle ».

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