Africa-Press – Cameroun. Contesté par l’aile dure du Social Democratic Front (SDF), qui réclame une stratégie plus offensive vis-à-vis du pouvoir, Joshua Osih se défend et dit être à signer une nouvelle pétition avec les députés. Pour le vice-président du SDF, il est plutôt utile pour son parti de jouer le jeu démocratique pour peser face au chef de l’État. Lire ci-dessous son interview publiée par l’hebdomadaire Jeune Afrique.
Était-il opportun, pour les parlementaires du SDF, de s’associer à cette lettre adressée à leurs homologues américains au sujet du rapatriement des demandeurs d’asile camerounais?
Joshua Osih : Cette lettre a été initiée par l’Assemblée nationale, sous la coordination de l’un de ses vice-présidents [Hilarion Etong]. C’est lui qui a mobilisé les députés qui étaient présents à Yaoundé durant l’intersession et qui les a consultés. Ce document était nécessaire parce que, depuis quatre ans, nous interpelons l’administration américaine sur le fait qu’il y a beaucoup trop de personnes qui, depuis les Etats-Unis, alimentent la guerre dans les régions anglophones du Cameroun, que ce soit par le biais de financements ou via des activités de propagande.
Nous pensions que les députés américains devaient faire tout leur possible pour convaincre l’administration Biden d’empêcher ces individus d’alimenter l’extrême violence dans les régions anglophones. Nous leur avons rappelé que les États-Unis ont le devoir de respecter les textes internationaux qui régissent la lutte contre la criminalité transfrontalière et dont ils sont signataires. Ces instruments doivent aider à faire en sorte que la guerre s’arrête. En tant que parlementaire représentant la nation camerounaise, il va de soi que je soutiens cette approche.
Le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC, de Maurice Kamto) voit dans ce courrier une « trahison du peuple ». Au sein du SDF, Jean-Michel Nintcheu a estimé que votre démarche était motivée par des « intérêts personnels, égoïstes et égocentriques au détriment des populations ». Que leur répondez-vous ?
On n’utilise pas un instrument de diplomatie parlementaire pour régler des problèmes au sein d’un parti. Des individus mal intentionnés ont voulu faire croire que la signature de députés du SDF sur un document approuvé par des députés du RDPC était une trahison. Ça n’est pas le cas.
Ce courrier défend la République. Le Parlement défend la République. Le SDF défend la République. Moi, j’appartiens à ce SDF-là. Ceux qui veulent faire croire le contraire, ceux qui assimilent le régime de Paul Biya à la patrie, se trompent d’adversaire.
Compte tenu de la polémique, ne regrettez-vous pas d’avoir signé ce courrier ?
Si vous me le redonniez demain, je le signerai à nouveau. Ceux qui jouent avec la vie des gens en alimentant cette guerre à des fins politiques doivent être stoppés. C’est dangereux et nauséabond.
La lettre que vous avez signée ne mentionne pas les conditions de détention de ces demandeurs d’asile, qui sont jugées très préoccupantes par plusieurs ONG…
Nous ne sommes pas une caisse de résonance des ONG, mais les représentants légitimes et légaux du peuple camerounais. Et c’est à ce titre que nous souhaitons que les élus américains poussent l’administration Biden à se rendre compte que les États-Unis abritent des gens qui alimentent la guerre.
Une frange du SDF milite pour un retour à une opposition plus frontale au président Paul Biya. Qu’en pensez-vous ?
On ne peut pas être plus frontal qu’on ne l’est aujourd’hui. Les nostalgiques de l’élection de 1992 [que le SDF prétend avoir remporté avec Fru Ndi comme candidat] doivent bien comprendre que la plupart de ceux qui avaient voté à l’époque ont désormais passé l’âge de la retraite. Et que les électeurs d’aujourd’hui n’étaient même pas nés au début des années 1990.
Un parti politique doit se situer dans son temps. Nous avons une ligne idéologique et politique, qui a été définie lors d’un congrès, et nous devons nous y tenir. Cela ne nous avance à rien d’essayer de faire croire aux gens que c’est la radicalisation de notre mouvement qui va améliorer le Cameroun. Veulent-ils que l’on sorte des institutions ? Ce n’est pas l’option retenue par le SDF. Nous devons être en capacité de travailler sur le terrain.
Nous devons présenter des candidats à tous les scrutins, ou en tout cas à chaque fois que cela est possible. Si nous n’avons pas participé aux élections régionales, c’est parce qu’elles ont été convoquées avant la fin du processus des municipales. Mais c’est le seul scrutin auquel nous n’avons pas pris part. Il nous faut avancer et prendre part au jeu politique pour apporter le changement, pour pouvoir un jour diriger ce pays et corriger les soixante dernières années. Les Camerounais doivent avoir le pays qu’ils méritent.
Et diriez-vous que cela passe par une collaboration avec le RDPC ?
En aucun cas. Le SDF ne collabore pas avec le régime de Paul Biya : nous ne sommes pas dans le gouvernement, nous ne sommes que dans les institutions, au même titre que le RDPC.
Quand nous avons des conseillers municipaux dans une mairie qui est gérée par le RDPC, nous leur demandons de travailler pour les populations. C’est ce que nous faisons depuis 1996 et cela nous a permis d’obtenir beaucoup d’avancées. C’est ce que l’on attend de nos militants et de nos cadres : qu’ils soient sur le front de la bataille politique et qu’ils répondent aux attentes des populations. Il faut que l’on arrête avec ces guerres de positionnement.
Je suis favorable à ce que notre parti se prépare à gouverner. Nous devons démontrer aux Camerounais et aux Camerounaises que, demain, lorsque nous arriverons au pouvoir, nous serons aptes. Cessons de faire croire à nos concitoyens qu’il faut tout détruire pour reconstruire.
Souhaitez-vous succéder à John Fru Ndi à la tête du parti ?
Nous avons encore deux ans avant le prochain congrès électif du SDF. Il y a beaucoup de travail à faire d’ici là. Ceux qui veulent nous emmener dans ces querelles se trompent d’époque et d’organisation. Dieu seul sait si nous serons encore là dans deux ans pour prétendre à quoi que ce soit.
Les Camerounais nous attendent ailleurs que dans les guerres de chiffonniers. Ce n’est pas en s’affrontant que l’on sera plus forts. Ceux qui le pensent ont tort.
Source: Jeune Afrique