Africa-Press – Cameroun. Entre profusion de rumeurs et inflation de démentis, le président de la République, Paul Biya, a regagné Yaoundé, repris son travail au Palais de l’Unité et fermé une longue, intrigante et détestable parenthèse de débats sans concession sur un pouvoir qu’il exerce depuis le 06 novembre 1982.
Dans l’environnement de la célébration de ses 42 ans de magistrature suprême, beaucoup, dans le pays et au-delà, feignent de découvrir cet homme d’État hors du commun, qui a pourtant montré tant de constance et de cohérence dans un style tout à fait propre à lui.
Ce texte invite à une lecture actualisée de trois invariables de ce «code Biya» qu’on a peut-être tort de considérer au premier degré: l’absence, la distance et le silence.
Entrons par une lapalissade: 42 ans de bail au pouvoir est une gageure. Le chef de l’État luimême ramasse ce record de longévité en une de ces formules dont il a le secret: «ne dure pas au pouvoir qui veut, mais dure qui peut».
Comme plusieurs autres du même registre, qui font grand écho dans l’histoire politique camerounaise, la pépite linguistique intervient le 03 juillet 2015 au Palais de l’Unité à Yaoundé, lors d’une conférence de presse conjointe tenue avec François Hollande, le Président francais de cette époque.
Car depuis, notons-le au passage, la France a connu deux autres Présidents (Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron), et jusqu’à cinq (Jacques Chirac et François Mitterrand complétant la liste) dans l’intervalle qui correspond à la somme des mandats successifs de Paul Biya.
Sur le champ et de tous horizons, les observateurs, chercheurs, commentateurs et autres influençeurs se perdent en conjectures à propos de l’énigme la plus tenace du Cameroun.
En attendant que les historiens, avec le recul, découvrent la grille d’explication la plus juste, osons une hypothèse qui reposerait simplement sur une gestion à bas bruit.
Présence discrète, pouvoir secret
Plaignons la presse qui s’est encore fourvoyée autour de la sempiternelle interrogation dont elle barre inlassablement ses premières pages depuis toujours: Où est donc passé Paul Biya? Des semaines durant, elle y a laissé ses plumes de fiabilité et de crédibilité.
À la décharge de ceux qui font profession de donner l’information – Dieu sait combien et qui ils sont aujourd’hui – admettons que le sujet est insaisissable.
Les sorties du chef de l’Etat, officielles ou privées, comme d’ailleurs ses retours, sa participation ou non à des sommets internationaux, ses actes majeurs et hauts faits de gestion, tout est conduit dans le plus grand secret, invariablement entouré d’un impénétrable mystère.
Ce mystère dont le Général De Gaulle disait qu’il est l’essence même du pouvoir. S’agissant de Paul Biya, cette approche des affaires publiques semble avoir été moulée dans des ateliers spéciaux.
Bien sûr, on pense à ses passages successifs aux séminaires catholiques d’Akono et d’Edéa ; puis aux études supérieures, de science politique notamment.
On pense aussi à la vingtaine d’années de structuration à l’ombre de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo qui se définissait lui-même comme «un homme discret, certains diront secret».
Mais est-ce suffisant pour comprendre la présence volontairement discrète de Paul Biya? Oui, si l’on considère son apparente absence comme un levier de gestion de son pouvoir.
Arrêtons-nous à d’autres signes distinctifs de ce Cameroun, sur la scène diplomatique par exemple: démarche feutrée, parole mesurée, non-ingérence, non-alignement, positions en retrait, autant d’options qui, en réalité, traduisent l’attachement chatouilleux du Président à la sacralité de la souveraineté du Cameroun.
À l’aune des résultats, force est de reconnaître que le pays ne fait pas piètre figure. Bien au contraire, on convoquerait volontiers deux illustrations pour en donner la preuve.
D’abord l’affaire Bakassi, qui englobe la rétrocession au Cameroun de la péninsule éponyme et le règlement définitif de la frontière terrestre(1680 Km) et maritime avec le Nigéria.
L’heureux aboutissement de ce dossier brûlant est, soulignons-le en gras, l’une des victoires diplomatico-judiciaires les plus retentissantes de l’histoire du Cameroun.
Elle aura consacré une démarche pertinente et persévérante, jamais exubérante, mais toujours patiente. Le tout, grâce à une habileté manœuvrière admirable dont l’auteur de ces lignes est un modeste et néanmoins attentif témoin.
Ensuite, il y a la plus actuelle accession de l’ancien Premier ministre Philemon Yang à la présidence de la 79ème Assemblée générale des Nations unies.
Qu’un compatriote, discrétionnairement choisi par le Président Biya trône ainsi à la tribune du plus grand cénacle diplomatique mondial, démontre aux sceptiques qu’on peut être performant et avoir le triomphe modeste.
Dans une autre perspective, il faut relever, de la part du président de la République, une primauté marquée pour la maîtrise des affaires intérieures, ce pays étant, de manière incomparable, réputé pour être aussi hétérogène que complexe.
Donc, il ne faut surtout pas confondre absence et indolence. «Paul Biya, c’est comme le vent. On ne le voit pas, mais on le sent», explique un aparatchick qui pratique le Président depuis 50 ans.
Le fait est tellement prégnant dans l’écosystème dirigeant que, par une espèce de réflexe pavlovien, tous les responsables publics croient toujours devoir en référer à la «haute hiérarchie», y compris dans leurs déclarations et actes les plus ordinaires.
S’il lui arrive d’être physiquement absent de la médiasphère de longues semaines durant, le chef de l’État est bel et bien omniprésent dans tous les esprits.
Il y a là, par ces temps de surexposition de ses homologues à travers le monde, une vraie curiosité médiatique, politique, voire ontologique. . . Œil d’aigle du pouvoir..
. La distance est la deuxième hypothèse d’explication de la longévité présidentielle. Paul Biya connaît bien ses compatriotes et leur propension à se faire valoir.
Il n’est pas loin de penser que sans cette distance, nombre d’entre eux s’en iraient répandre autour d’eux de vraies fausses confidences sur le mode: «l’autre jour, le Président m’a dit..
» ; cela, convenons-en, aurait pour effet de dévaloriser la parole présidentielle et d’en démystifier l’illustre auteur.
On notera aussi que les mêmes compatriotes, et pas des moindres, ont souvent montré en maintes occasions qu’ils sont plus portés à défendre leurs intérêts familiaux, tribaux et régionaux que des causes réellement nationales.
Perception exagérée? Toujours est-il qu’en voulant manifestement habiter au mieux sa fonction centrale, le président de la République s’élève au-dessus de la mêlée afin d’assumer pleinement les charges de son haut magistère.
Ainsi, la distance qu’il cultive dans ses interactions avec le monde, tout le monde, lui offre une vision de longue portée. Elle devient en même temps un élément à la fois d’autorité et de sécurité.
De lucidité aussi bien, pour autant que la trop grande proximité produit une familiarité susceptible de brouiller le regard et de fausser le jugement.
Tel l’aigle vigilant ou le sphynx silencieux, les deux se rejoignant dans une seule et même figure qu’il incarne magistralement, Paul Biya en impose et, de toute évidence, en termes de durée, cela lui réussit..
. Présence silencieuse, pouvoir durable Terminons par la troisième corde de cet arc présidentiel: le silence. Aujourd’hui, la majorité de ses pairs passent le plus clair de leur temps à communiquer plus qu’ils n’agissent.
À vue de nez, les quotas de cette répartition sont de l’ordre de 80/20, la «com’«se taillant clairement la part belle. Paul Biya, lui, se situe dans une logique inverse d’exposition à minima. Son choix est celui du silence ou, plus justement, celui de l’économie de la parole.
Car, il sait par ailleurs exhorter son gouvernement à dire et expliquer ce qui est réalisé:»il ne suffit pas de savoir faire, il faut encore le faire savoir», a prescrit le chef de l’État à ses ministres dans une lettre circulaire toujours d’actualité.
Le silence est donc un positionnement personnel, stratégique dont le recours s’active à géométrie variable. Ce n’est pas parce que les caméras, objectifs, micros et leurs perches se tendent à lui à l’envi que Paul Biya s’en saisit.
Il veut, en toutes circonstances, rester juge de l’opportunité, du temps et du timing. En définitive, pour comprendre ce rapport à la communication, il faut approfondir le regard, franchir la frontière des apparences, conventions et préjugés.
Prenons par exemple la thèse de l’universitaire/journaliste François-Marc Modzom justement intitulée «les silences présidentiels de Paul Biya» (publiée aux éditions Connaissances et Savoirs).
Voici le résumé qu’en fait, à ma demande, l’auteur lui-même: «La recherche part de l’idée répandue selon laquelle le président du Cameroun communique peu, sinon qu’il s’enferme dans le silence, même dans les situations d’urgences communicationnelles.
Le paradoxe (apparent) c’est que, Paul Biya est considéré comme un bon sujet communicant: doté d’un beau physique, d’une évidente télégénie, d’une élocution facile, d’un sens élevé de la formule et de l’humour, il sait, en cas de besoin, plaire au public, mais ne le recherche nullement(..) Mais, tout aussi paradoxalement, le président de la République du Cameroun est un sujet récurrent dans le champ médiatique, qu’il investit de diverses manières(y compris par les canaux cybernétiques), sans ostentation, mais avec des résultats visiblement efficaces, au vu de ses performances diplomatiques et électorales. En fait, Paul Biya est bel et bien le maître du jeu de son dispositif communicationnel, du reste fort complexe(. . .) Donc, point n’est besoin pour lui de s’épuiser dans un affichage médiatico-communicationnel qu’il peut tout aussi bien obtenir par ses divers relais: Cellule de communication du Cabinet civil de la Présidence, Secrétariat à la communication du Comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), son parti politique, ministère de la Communication dont le titulaire est le bien nommé Porteparole du gouvernement..
. Telle est la communication de Paul Biya: une communication de pouvoir». Au total, l’absence, la distance et le silence ne sont rien d’autre que des leviers à la disposition de ce chef d’État bien atypique.
En authentique sage africain, il s’en sert selon les situations et les circonstances, hors de toute pression et loin de tout empressement. Entre-temps, il privilégie l’écoute de son opinion publique et de son environnement national de préférence.
Il se donne ainsi le temps de se faire sa propre religion sur les humeurs sociales avant d’agir en connaissance de cause. La montre – qu’il consulte à une fréquence compulsive – n’est donc pas un simple outil mais un allié, le plus sûr face aux impatiences qui, au quotidien, lui font bonne escorte. Ainsi, au fil des ans, écrit-il l’anthologie de son mystère et de sa grandeur, c’est-à-dire sa place dans l’Histoire.
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