Africa-Press – Cameroun. Sous la plume de ceux qui ont exploré dans les pentes de l’esprit et du parcours du président de la République, on découvre une construction théorique où se succèdent admiration et coups de gueule
Commençons par visiter rapidement ce qu’écrit Fanny Pigeaud. «Lorsqu’il est arrivé en 1982 à la tête du Cameroun, pays riche en ressources naturelles et humaines, Paul Biya représentait pour ses concitoyens l’espoir d’une ère nouvelle».
Dans son ouvrage (Au Cameroun de Paul Biya, Karthala, 2011), la journaliste française se charge de s’interroger: «Pourquoi les espoirs de 1982 ont-ils peu à peu laissé place au profond désarroi exprimé en 2008? Comment le pays est-il devenu l’un des plus corrompus du monde? A quoi tient la longévité politique de Paul Biya?» En lisant Eugène Daniel Abega dans Paul Biya, la marche vers les sommets, Parcours d’un homme d’exception déjà dans l’histoire, Edilivre, 2018, la tentation est grande d’étendre ces questions à tout ce qui construit le personnage, à travers la mise en scène d’une apparition, d’une révélation, au fort retentissement émotionnel.
«Ses grandes enjambées au sommet de l’État portent à coup sûr l’empreinte de la sagesse et surtout de la sagacité d’un fauve politique, à sortir son pays des griffes du sous-développement.
L’homme du 6 novembre 1982 est l’homme de la situation. Paul Biya rassure quant à cette marche vers les sommets, ici ou ailleurs, au présent comme au futur. La grande œuvre atemporelle de Paul Biya traverse le temps», écrit Eugène Daniel Abega.
«Panthéonisation» Afin de désigner le «grand homme» et donc de l’ériger en modèle, Michel Roger Emvana propose Paul Biya, les secrets du pouvoir, paru en août 2005 aux éditions Karthala. L’ouvrage est préfacé par le Pr Gervais Mendo Ze.
Ce dernier écrit: «Jaillissant, à la surprise générale, de la succession d’Ahmadou Ahidjo, le président Paul Biya a bravé un parcours de turbulences que peu d’acteurs politiques contemporains peuvent s’autoriser: retournement spectaculaire de la parole de son prédécesseur, deux tentatives de coup d’Etat, une crise économique féroce, la désobéissance civile, la violence de la rue, une opposition insurrectionnelle appelant à la guerre civile armée, les trahisons des fidèles, les annonces de décès, le tir groupé de la presse depuis une quinzaine d’années, les manœuvres des partisans et des adversaires qui parfois deviennent des ennemis.
Depuis 1982, Paul Biya a traversé ces épreuves à la surprise générale, confondant les sceptiques et renaissant, comme l’animal de la légende, chaque jour du néant où certains l’avaient trop vite barricadé».
Mis au service de cette «panthéonisation», le portrait de Paul Biya cesse d’être seulement un divertissement mondain ou un ornement descriptif. Il apparait comme un instrument efficace de savoir, permettant de progresser dans la connaissance de l’homme, de son caractère, de ses mœurs.
Là, on tombe d’abord sur Paul Biya ou l’incarnation de la rigueur: essai biographique sur le deuxième président de la République unie du Cameroun, de Jean Fouman-Akame, Florent- Eily Etoga et Jacques Fame Ndongo (Sopecam, 1983); Sacerdoce politique et stabilité des systèmes: le paradigme Paul Biya, (NENA/ Presses universitaires de Yaoundé, 2016) de Boniface Fontem Nkobena; La pensée politique de Paul Biya (Edi-Action, 2004 ) de Jean François Mebenga; La pensée politique de Paul Biya de Bernard Amougou (2013, Harmattan Cameroun, préfacé par Jacques Fame Ndongo); Les Silences de Paul Biya (2019) de François Marc Modzom; Le phénomène Paul Biya.
Essai de sémiotique arithmétique, publié en 2019 et écrit par le Pr. Jacques Fame Ndongo; L’art oratoire chez Paul Biya à l’ère du multipartisme au Cameroun: Discours, mises en scène argumentatives et relation au pouvoir, (2021) de Clébert Agenor Njimeni Njiotang.
Puis, on se souvient successivement de Paul Biya, la couronne de la politique africaine. De l’initiative à la référence, (2021) de Jean Jacques Ngono Neme; et de Paul Biya, architecte de la révolution agricole incompris de Ndam Aliyou (2024).
L’un après l’autre, ces ouvrages tracent une double ligne: répondre au goût d’un public de plus en plus avide des images révélant l’intimité de Paul Biya. En cultivant l’illusion de proximité, leurs auteurs donnent au chef de l’Etat un bon moyen pour se faire admirer et aimer.
Chez Boniface Fontem Nkobena par exemple, on peut lire des traces de cette pratique qui présente Paul Biya comme l’un des dirigeants africains à avoir réussi à diriger un pays dans la stabilité, dans une Afrique en proie aux tourments et à l’instabilité depuis le vent de changement qui a soufflé dans les années 1960 consacrant la vague des indépendances des pays de ce continent.
L’auteur s’intéresse aux enseignements que la réussite avérée du Président Biya peut prodiguer à d’autres pays, le cas échéant, afin de les sortir des eaux tumultueuses de l’insécurité et de l’instabilité pour les mener vers les rivages plus calmes de la paix et de la stabilité. Chez François Marc Modzom, le «silence» de Paul Biya est analysé à la fois comme posture et signature de pouvoir
Révulsion
Entre temps, cette axiologie de la visibilité commence à révulser certains. En 2014, Dieunedort Essomé publie chez l’Harmattan Côte d’Ivoire, Paul Biya, Le pouvoir en clan.
Selon l’auteur, le Cameroun fait face à la longévité au pouvoir d’un seul clan dirigeant. Le pouvoir est exercé de façon absolue par une seule classe politique qui ne montre aucun signe d’alternance.
Il relate la vie politique au Cameroun, la volonté et la soif du peuple muselé qui aspire à une démocratie vraie et réelle. Les coups bas, les complots, les dénigrements, les intimidations et les assassinats, y compris même dans le clan dirigeant, ne sont pas omis.
On trouve des thèmes identiques dans Paul Biya: Chroniques de la Fin,vn (Éditions du Schabel, 2021). Pour Fridolin Nke, l’auteur, «notre pays vit actuellement des moments terribles. Et le mot n’est pas assez fort, pour traduire les dérives et les horreurs que nous affrontons au quotidien.
Ce n’est pas seulement le tribalisme qui traumatise, mais aussi le pillage, le vol, le goût que certains prennent à piétiner leurs semblables, à les égorger, à répandre la peur, à bafouer la vie.
La guerre de tous contre tous n’est donc pas une hypothèse philosophique: elle est la menace la plus immédiate dont il faut se départir. En ce sens, Paul Biya, le Président de la République, aurait dû prendre des mesures fortes».
Critiqué, malmené, il ne disparaît pas pour autant et fait au contraire preuve d’une extraordinaire capacité de renouvellement, comme le montre encore, aujourd’hui, sa forte présence dans les médias et sur les réseaux sociaux où continuent de s’inventer de nouvelles formes de son image.
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