Africa-Press – Cameroun. Jeune Afrique révèle les exigences du gouvernement camerounais pour encadrer l’expansion du géant américain de l’internet par satellite
Alors que Starlink poursuit son expansion fulgurante sur le continent africain, le Cameroun adopte une approche prudente et exigeante face aux ambitions du géant américain. Dans une enquête exclusive publiée ce dimanche, Jeune Afrique lève le voile sur les coulisses des négociations entre Yaoundé et l’entreprise d’Elon Musk, révélant les conditions strictes imposées par les autorités camerounaises pour préserver la souveraineté numérique du pays.
Une infrastructure locale obligatoire: la condition sine qua non
La révélation majeure de l’enquête de Jeune Afrique concerne l’exigence gouvernementale d’une station maîtresse sur le sol camerounais. Selon les sources du magazine panafricain, le gouvernement envisage d’imposer à Starlink la construction d’une infrastructure physique en territoire camerounais qui deviendrait le nœud par lequel transiterait tout le trafic de l’opérateur satellitaire.
« Elle pourrait de ce fait être localisée comme n’importe quel téléphone portable et favoriserait un meilleur contrôle », confie un haut fonctionnaire du secteur des télécommunications à Jeune Afrique. Cette exigence traduit la volonté de Yaoundé de maintenir un droit de regard sur les flux internet transitant par Starlink, une préoccupation majeure dans un contexte où la sécurité nationale est une priorité.
Le modèle « direct-to-device »: un risque sécuritaire inacceptable
L’enquête de Jeune Afrique met en lumière les inquiétudes sécuritaires qui freinent l’entrée du modèle « direct-to-device » de Starlink sur le marché camerounais. Cette technologie, qui permet une liaison directe entre les satellites et les terminaux mobiles (téléphones, ordinateurs portables ou tablettes) sans passer par des infrastructures terrestres, soulève des interrogations majeures à Yaoundé.
« Plus que tout, Yaoundé redoute le risque sécuritaire que suscite le modèle proposé par Starlink », révèle Jeune Afrique, citant les préoccupations d’un responsable gouvernemental qui tranche sans ambiguïté: « L’État doit être en situation d’avoir un droit de regard sur l’internet. » Cette position reflète la crainte d’une perte de contrôle sur les communications numériques, particulièrement sensible dans un contexte politique tendu.
Le magazine explique que ce modèle, qui contourne les infrastructures télécom traditionnelles, priverait les autorités camerounaises de leur capacité de surveillance et de régulation des flux de données, une situation jugée inacceptable pour la sécurité nationale.
Face à ces préoccupations, Jeune Afrique révèle que le gouvernement camerounais a élaboré une feuille de route précise pour l’arrivée de Starlink. Dans un premier temps, le fournisseur d’internet par satellite devrait se limiter à proposer ses services uniquement aux opérateurs télécoms existants, aux entreprises et aux administrations publiques.
Selon les informations exclusives du magazine, cette approche progressive vise à permettre à l’Agence de régulation des télécommunications (ART) d’évaluer l’impact réel de Starlink sur le marché avant d’autoriser une commercialisation plus large. « Cette piste devrait accélérer la signature d’une convention de concession que le régulateur a la charge d’élaborer », précise Jeune Afrique.
Le déploiement du modèle « direct-to-device » grand public n’interviendrait que dans un second temps, après l’installation effective de la station maîtresse exigée par les autorités. Une condition non négociable qui pourrait retarder de plusieurs années l’accès des Camerounais ordinaires à cette technologie révolutionnaire.
La protection de l’écosystème télécom local au cœur des préoccupations
L’enquête de Jeune Afrique révèle également les motivations économiques derrière cette prudence gouvernementale. « L’on ne peut négliger les importants investissements réalisés par les opérateurs déjà installés, ainsi que les pertes de revenus et d’emplois qu’une telle introduction peut entraîner », confie un haut fonctionnaire du secteur des télécommunications au magazine.
Cette déclaration met en lumière la volonté de Yaoundé de protéger les opérateurs historiques comme MTN et Orange, qui ont investi des milliards de francs CFA dans le déploiement d’infrastructures terrestres. Jeune Afrique rapporte que l’ART a été mandatée pour mener une étude approfondie sur « l’impact éventuel » de l’arrivée de Starlink, avec pour objectif « d’anticiper au maximum les éventuelles distorsions de concurrence qu’un tel service pourrait provoquer ».
Paradoxalement, Jeune Afrique révèle que malgré l’interdiction officielle décrétée en avril 2024, Starlink opère déjà de manière informelle dans les grandes villes camerounaises. « Des acteurs locaux, opérant en franchise, continuent d’importer et d’installer le dispositif dans les quartiers, tout en permettant à leur clientèle de régler leurs factures en devises, en fonction des pays de rattachement où le fournisseur opère déjà », dévoile le magazine.
Cette situation crée un paradoxe troublant: alors que le gouvernement négocie âprement les conditions d’entrée officielle de Starlink, des milliers de Camerounais accèdent déjà aux services du fournisseur américain par des canaux parallèles. Jeune Afrique cite en exemple la saisie, le 12 décembre, de dix modems Starlink par les douanes camerounaises à une vingtaine de kilomètres de Yaoundé, « le dernier épisode d’une longue série ».
L’enquête de Jeune Afrique retrace également la chronologie des négociations entre Starlink et les autorités camerounaises. Le magazine révèle qu’une délégation de la compagnie a rencontré le 26 juin 2024 la ministre des Postes et Télécommunications, Minette Libom Likeng. Suite à cette rencontre, Starlink a déposé un dossier que Jeune Afrique qualifie de « partiel », suggérant que l’entreprise n’a pas encore fourni toutes les garanties exigées par Yaoundé.
Depuis lors, les discussions semblent au point mort, l’ART poursuivant ses études d’impact pendant que le gouvernement affine son cahier des charges. Cette lenteur administrative contraste avec la rapidité d’expansion de Starlink dans d’autres pays africains, où l’opérateur est déjà actif dans une vingtaine de nations.
Les révélations de Jeune Afrique placent le Cameroun en position d’exception sur le continent. Alors que le 16 décembre, Starlink annonçait un partenariat avec Airtel Africa pour déployer sa solution « Starlink Direct-to-Cell » dans 14 pays africains (Tchad, RDC, Madagascar, Nigeria, Zambie, Ouganda…), touchant potentiellement 174 millions d’utilisateurs dès 2026, le Cameroun maintient sa ligne de prudence.
Cette posture interroge: s’agit-il d’une défense légitime de la souveraineté numérique ou d’un frein à l’innovation qui privera les Camerounais d’un accès à internet haut débit dans les zones non couvertes? Jeune Afrique laisse cette question ouverte, mais les révélations du magazine montrent clairement que Yaoundé ne compte pas céder facilement aux pressions d’Elon Musk.
Pour l’heure, les négociations se poursuivent dans la discrétion, pendant que le marché noir de Starlink prospère dans l’ombre. Une situation qui ne pourra durer indéfiniment et qui obligera tôt ou tard le gouvernement camerounais à trancher définitivement sur l’avenir de Starlink dans le pays.





