Affaire Jubillar: Fiabilité du Bornage Téléphonique

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Affaire Jubillar: Fiabilité du Bornage Téléphonique
Affaire Jubillar: Fiabilité du Bornage Téléphonique

Africa-Press – Cameroun. Quand les antennes-relais et téléphonie mobile s’invitent un temps au procès Jubillar… Les avocats de l’accusé ont souligné que le téléphone mobile de Donat-Jean M., amant de la victime, a « borné » près du domicile du couple alors qu’il a expliqué ne pas se situer à proximité le soir de la disparition de Delphine Jubillar. Le gendarme en charge de la téléphonie, Gilles L., a finalement reconnu une erreur dans la saisie des données et a innocenté Donat-Jean M. Mais la question se pose néanmoins: le bornage téléphonique est-il totalement fiable?

Pour répondre à cette question, il faut revenir sur l’architecture globale d’un réseau de téléphonie mobile. Celle-ci est dite « cellulaire ». En fait, le territoire français se trouve découpé en une multitude de cellules. Chaque cellule dispose d’un émetteur en son centre dont les antennes sont visibles. Ce sont ces panneaux plats, le plus souvent regroupés par trois sur des mâts ou sur le toit des immeubles. Ces antennes relai, baptisées BTS, pour Base de Transmission au Sol, ne disposent que d’une capacité limitée d’acheminement des appels. Afin d’éviter leur saturation, les opérateurs ne leur offrent qu’une couverture radio relativement modeste, généralement de deux à trois kilomètres de rayon. De même, la puissance d’émission d’un téléphone mobile est faible (2 watts au maximum) et ne lui confère qu’une portée réduite.

Pablo Escobar, arrêté grâce à son téléphone portable, pourtant en veille

Reste que ce morcellement du territoire pose un problème pour acheminer les appels téléphoniques. Afin que la communication puisse s’établir, il est indispensable que le système informatique de gestion des appels sache en permanence sur quelle cellule se trouve son destinataire. C’est pour cette raison que les téléphones mobiles conversent en permanence avec le réseau de l’opérateur pour s’identifier au sein de chaque cellule sans même que leur possesseur s’en aperçoive. Cette identification se fait par un numéro d’identification porté par la carte SIM de l’utilisateur. Une sorte de « plaque d’immatriculation » numérique, qui lui est propre. Par ailleurs, comme toujours dès qu’il est question d’informatique, l’intégralité de ce dialogue numérique est accessible. Il est, entre autres, possible de lister l’ensemble des identifiants numériques des téléphones s’étant connectés à la BTS ainsi que l’heure des connexions et déconnexions.

L’accès à ces listes est une source d’information précieuse pour les forces de l’ordre. Elles sont utilisées, par exemple, pour localiser, ou suivre, tout individu équipé d’un téléphone mobile. Une pratique qui ne date pas d’hier puisqu’elle avait permis l’arrestation de Pablo Escobar, célèbre trafiquant de cocaïne, le 2 décembre 1993. Son téléphone mobile, pourtant en veille, avait trahi ses déplacements. Sur le plan juridique, ces preuves de bornages sont de plus en plus souvent présentées comme témoignage de la présence d’une personne dans un lieu donné. Mais de telles données sont-elles réellement fiables?

De prime abord, il semble totalement impossible que la portée d’un téléphone mobile, dont la puissance maximale de l’émetteur n’est que de deux watts, atteigne une distance de plus d’une soixantaine de kilomètres. N’importe quel électronicien sera donc prêt à confirmer avec aplomb que si le téléphone de Donat-Jean M. avait effectivement borné sur la cellule proche du domicile des Jubillar, c’est qu’il s’y trouvait…

Le phénomène de « ducting atmosphérique »

Il y a pourtant des anomalies techniques qui pourraient l’expliquer. En effet, le comportement des ondes radio, surtout sur les plages de fréquences comprises entre 1 et 5 GHz, plages de fréquences sur lesquelles travaillent justement les téléphones mobiles, peut être assez fortement affecté par des phénomènes météorologiques particuliers. L’Agence Nationale des Fréquences (ANFR) a publié sur ce sujet un long rapport de 47 pages sous la référence ANFR(15)01 et intitulé: « Rapport ANFR sur les phénomènes de propagation anormale: propagation par conduit et réflexion/réfraction sur les couches élevées de l’atmosphère ». Bien d’autres publications traitent du même sujet et arrivent aux mêmes conclusions, notamment ces études de American Meteorological Society et de l’université d’Harvard.

Si, dans la grande majorité des cas, des conditions atmosphériques dégradées, comme pluie, brouillard ou neige, tendent à réduire la portée des ondes radio, un cas attire l’attention. Il s’agit du phénomène dit de « ducting atmosphérique ». Contrairement aux autres phénomènes atmosphériques, il améliore considérablement la propagation des ondes radio sur de longues distances et accroît donc très fortement la portée des émetteurs. Dans les faits, le ducting atmosphérique apparaît lorsque des masses d’air de température différentes, l’une froide et sèche au niveau du sol, l’autre chaude et humide en altitude, viennent se superposer sans se mélanger.

(Cliquez dessus pour agrandir l’image).

Crédits: Sciences et Avenir d’après Recnet.com

L’hypothèse du « bornage fantôme »

Ce phénomène est relativement fréquent en mer où, d’une part, aucun obstacle ne vient s’opposer à l’étalement des masses d’air et, d’autre part, il peut y avoir un fort écart de température entre la surface de la mer et l’air ambiant. Dans ce cas, la surface de contact entre les deux masses d’air se comporte comme un miroir pour les ondes radio (voir schéma). Néanmoins, s’il est plus rare, ce phénomène peut également se former sur terre pour peu que les conditions météo soient favorables. Or la disparition de Delphine Jubillar est survenue peu avant Noël, qui plus est en début de nuit. Il est donc probable que le sol était froid, tout comme l’air à son contact. Pour peu qu’une masse d’air plus chaud ait été présente en altitude, il est plausible qu’un ducting atmosphérique se soit produit. Des expérimentations menées notamment par l’ANFR ont prouvé que dans de telles conditions l’émission d’une BTS pouvait être captée à plus d’une centaine de kilomètres. Une distance supérieure à celle séparant à vol d’oiseau la BTS de Cagnac-les-Mines et Montauban.

Un « bornage fantôme » restait donc une éventualité… avec tout de même une surprenante conjonction d’évènements tant pour ce qui est de la localisation de ces deux points que pour les conditions météorologiques. Durant le trajet en voiture effectué par Donat-Jean M., les BTS logées à proximité de son déplacement auraient dû détecter successivement la présence de son téléphone mobile. De même, il est rare qu’un téléphone ne soit capté que par une unique BTS. Généralement, les cellules adjacentes détectent également sa présence, même si elles ne sont pas exploitées pour acheminer les communications.

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