“Cyborgs, robots et androïdes remettent en cause les frontières de l’humanité“

7
“Cyborgs, robots et androïdes remettent en cause les frontières de l'humanité“
“Cyborgs, robots et androïdes remettent en cause les frontières de l'humanité“

Africa-Press – Cameroun. ENTRETIEN. Les figures hybrides telles que les cyborgs, androïdes, et autres réplicants nourrissent l’imaginaire de la science-fiction. Vincent Bontems, philosophe des sciences et technique au CEA, participait aux récentes Utopiales 2024 de Nantes où l’a rencontré Sciences et Avenir. Dans un entretien, il retrace l’évolution du concept de cyborg, de ses origines militaristes aux relectures féministes de Donna Haraway, et interroge les frontières floues entre l’humain et la machine, questionnant ce qui définit l’humanité. Une exploration qui va jusqu’aux problématiques contemporaines du transhumanisme et des réflexions philosophiques autour de la « vallée de l’étrange ».

Sciences et Avenir: Cyborg, androïde, réplicant, robot, ce n’est pas la même chose ?

Vincent Bontems: Pas du tout. Dans l’univers de la science-fiction, ce sont des entités très différentes.

Commençons par le cyborg, qui est un mélange d’humain et de machine. Le terme est la contraction de cybernétique et organisme. Au départ, le cyborg est une réflexion sur la manière dont nous allons pouvoir envoyer des humains dans l’espace. Pour ce faire, il sera nécessaire de les rendre plus puissants, de les « augmenter » avec des attributs technologiques afin qu’ils résistent à des environnements hostiles.

Et cet imaginaire militaire demeurera prégnant durant très longtemps. Avant que des auteurs comme Donna Haraway bouleversent ce paradigme et arrachent le mythe du cyborg à ce contexte viriliste. Dans le « Manifeste Cyborg », un essai publié en 1984, elle en fait un symbole du féminisme avec l’idée que les premiers cyborgs, les plus répandus, sont les femmes qui prennent la pilule et artificialisent leurs cycle menstruel.

« Une démocratisation de l’identité cyborg »

Partant de là, il est possible de prendre en compte les gens opérés avec des prothèses et les porteurs de peacemakers. On assiste ainsi à une démocratisation de l’identité cyborg mais également chez Donna Haraway, une déconstruction de ces oppositions qui mettent la femme du côté de la vie, de la nature, de la magie et l’homme du côté de la violence, de la technique, de l’ingénierie.

Tous les cyborgs ne sont-ils que des humains sur lesquels on a greffé des machines ?

Non, il est possible de renverser la proposition. Par exemple, dans le film Robocop de Paul Verhoeven de 1987, le héros n’est pas un homme augmenté mais une machine sur laquelle on a greffé les restes d’un cadavre.

C’est d’ailleurs la première chose qu’on lui explique: Il risque d’avoir des souvenirs rémanents du policier qui est mort, mais il n’est pas ce policier, il appartient à la compagnie qui l’a créé.

Le souvenir de Murphy sous la carcasse de Robocop, dans le film de Paul Verhoeven (1987). Orion Pictures / Collection ChristopheL via AFP

“Ce qui fait humain, c’est ce qui se conduit comme tel.“

Ensuite, on peut imaginer comme le fit Alan Moore dans la BD Swamp Thing (La chose du marais) un mix d’humain et d’autres choses. Là, la créature finit par réaliser qu’elle n’est pas la survie de la personne qui est morte mais une création du marais dans laquelle sont incorporés des éléments humains où ressurgit parfois l’humanité.

Ce qui aboutit à une réflexion existentialiste sur les frontières de l’humanité. Peu importe, le pourcentage d’humain intégré dans la créature. Ce qui fait humain, c’est ce qui se conduit comme tel.

Le cyborg ne peut-il être qu’une chimère monstrueuse ?

Il est possible de voir des côtés très positifs dans l’esthétique cyborg. Les personnes porteuses de prothèses apparentes peuvent désormais les assumer et montrer aux autres comme elles sont belles.

Il existe aujourd’hui un côté humaniste et émancipateur qui n’était pas présent au départ mais qui fait désormais partie de l’identité assumée du cyborg. Ce dernier est un symbole sur lequel on peut essayer de totalement déverrouiller l’imaginaire.

Le cyborg a-t-il besoin de ressembler à un humain comme dans les exemples précédemment cités, où Robocop et la Chose du marais ont finalement des allures humanoïdes ?

On peut légitimement se poser la question. Est-ce qu’un cerveau humain intégré dans une grosse araignée mécanique est encore un cyborg ?

Poussons encore plus loin la réflexion avec le transpécisme. Dominique Lestel, professeur à l’école Normale supérieure a ainsi imaginé un concept de zoo-futurisme. Par exemple, implanter une puce, un transistor dans le corps d’une loutre permettrait de prendre ses vacances en étant dans la peau d’une loutre pendant un mois au bord d’une rivière.

« Un hyper-racisme où la différence provient de qui fait partie de cette super-humanité et qui en est exclu »

Avec l’idée que c’est un rêve intensément plus libre, puissant et fantasmatique que tous ces fantasmes petits-bourgeois de création d’un surhomme. Idéaux vaguement fascisants parce qu’ils tournent autour d’un hyper-racisme où la différence ne provient pas de la couleur de la peau mais de qui fait partie de cette super-humanité et qui en est exclu.

Une super-humanité que semblent posséder les réplicants du film Blade Runner de 1982, non ?

Sauf qu’ici ce sont des androïdes, des robots à forme humaine ! Chez eux, il y a la question sur l’identité, soit la quête vers leur créateur et leur révolte face à la finitude de leur existence puisqu’ils ont une durée de vie limitée de 4 ans. Mais il est vrai que la réflexivité dont font preuve ces machines conduit à avoir tendance à leur accorder le statut d’être humain.

Mais, d’un autre côté, et c’est ce qui est indiqué par le test de Voigt-Kampff auquel on les soumet pour déterminer si ce sont des réplicants ou des humains, ils sont incapables d’avoir de l’empathie dans leur relation aux autres.

L’affiche de « Blade Runner », le film de Ridley Scott d’après Philip K. Dick. The Ladd Company / Collection ChristopheL via AFP

D’un autre côté, nous autres humains n’en avons pas beaucoup non plus avec notre roomba, le robot aspirateur…

C’est ça qui est intéressant avec le robot. On peut le voir comme une expérience de critique de l’anthropomorphisme. Dans l’industrie, on n’éprouve pas le besoin de faire en sorte que le robot nous ressemble. Ce serait même contre-productif. Mieux vaut une machine-outil qu’un androïde pour serrer des boulons.

Mais parce que le réplicant est un robot qui nous ressemble, et est dans le même temps parfois très différent, il génère des sentiments alternatifs d’engagement et de distanciation de notre part.

« La vallée de l’étrange est une oscillation de notre type d’engagement dans des rapports non-humains »

C’est ce que Masahiro Mori, un roboticien japonais nomme “La vallée de l’étrange ». Il théorise que plus un robot androïde se rapproche d’un être humain, plus nous éprouvons de l’empathie, mais à un moment nous tombons dans cette vallée où ses imperfections nous paraissent dérangeantes.

Mais, il est possible de remonter de cette vallée. Et ce que Masahiro Mori dit est intéressant. Selon lui, on ne ressort pas de cette vallée par un surcroit de réalisme mais par une spiritualisation. L’exemple qu’il prend est celui d’une statue de Boudha. Si elle est stylisée de façon à paraître surhumaine, elle permet mieux d’entrer en méditation que si c’est un Boudha avec des rides. S’il ressemble à un mannequin en silicone, on chute dans la vallée de l’étrange.

En revanche, si c’est une statue démontrant un sens artistique, une virtuosité technique, on ressort de cette vallée dérangeante. Bien sûr, c’est sa thèse. Il n’y a pas de vérification empirique.

Mais, si l’on suit son raisonnement, la vallée de l’étrange serait comme une oscillation, des variations de notre type d’engagement dans des relations à des non-humains.

Et pas besoin d’aller chercher un répliquant pour cela. Songez aux animaux de rente, élevés pour leur viande par des paysans. Ceux-ci vont parfois donner des noms à certains de leurs animaux parce qu’ils entretiennent avec eux une relation de soin, d’empathie. Seulement, il y a un moment donné où ils peuvent se détacher de cette relation et emmener l’animal à l’abattoir. Cette variation de l’empathie et de la sympathie que nous entretenons avec des êtres vivants non-humains est un modèle que nous sommes amenés à reproduire avec des êtres artificiels.

“Des créatures synthétiques pour recréer artificiellement une nature disparue“

Et bien plus que le film, le roman qui a inspiré Blade Runner, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? écrit par Philip K. Dick en 1966, repose entièrement là-dessus. De surcroit, il brasse d’autres thèmes apparentés. Notamment celui de la souffrance d’une humanité qui a perdu la possibilité de relations transpécistes puisqu’il n’y a plus d’animaux du tout sur Terre. Ce qui conduit à un effondrement spirituel devant cette catastrophe.

Pour y remédier, des créatures synthétiques ont été créées. On en trouve trace dans le film sous la forme d’une chouette et d’un boa. Ils permettent de recréer artificiellement une appartenance avec la nature et de palier à cette situation de solitude existentielle qu’éprouverait alors l’être humain.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Cameroun, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here