Africa-Press – Cameroun. L’origine de la pomme de terre, l’une des cultures les plus importantes au monde, a longtemps intrigué les scientifiques. Une équipe internationale, dirigée par l’Institut de génomique agricole de Shenzhen (Chine), a étudié l’ADN de pommes de terre cultivées et d’autres espèces de pommes de terre sauvages et de plants de tomates. Leurs résultats sont parus dans la revue Cell le 31 juillet 2025.
Pour reconstruire l’arbre de parenté du tubercule préféré des Français, l’équipe a analysé 450 génomes de pommes de terre cultivées provenant de 57 espèces différentes de Petota (sous-genre comprenant les pommes de terre cultivées actuelles). En utilisant plusieurs comparaisons de séquences, les scientifiques ont estimé que les Petota provenaient environ à 60% d’Etuberosum et à 40% de la tomate.
Au cours de l’évolution, il arrive parfois que de nouvelles espèces apparaissent (phénomène appelé « spéciation ») à la suite d’une hybridation entre deux espèces distinctes. C’est ce qui serait arrivé à la pomme de terre actuelle (Solanum tuberosum).
Faisons un voyage dans le temps et traversons le Pacifique. Dans leur étude, les biologistes affirment que la pomme de terre est issue d’un croisement naturel, il y a plus de 9 millions d’années, entre des lignées de tomates (Solanum lycopersicum), originaire de la côte est du Pérou, de l’Equateur et de la Colombie, et des lignées de Solanum etuberosum, des pommes de terre sauvages originaires du Chili.
L’hybridation nécessaire à l’apparition des tubercules
Mais il restait encore une énigme: les tubercules. En effet, bien que les pommes de terre ressemblent beaucoup à Etuberosum (la taille, les fleurs….), ces dernières n’ont pas de tubercule. Et la tomate non plus !
Les pommes de terre sauvage (Solanum etuberosum, à gauche) ont des tiges plus rigides et des racines plus épaisses que les pommes de terre domestiquées (Solanum tuberosum,, à droite), et surtout, elles n’ont pas de tubercule. Elles appartiennent toutes deux au genre Solanum de la famille des Solanaceae (où l’on retrouve aussi les piments, poivrons, aubergines…). Crédits: Yuxin Jia and Pei Wang
Les tubercules de la pomme de terre sont des structures souterraines où sont stockés les nutriments de la plante pour survivre à la saison froide. C’est la partie que l’on consomme dans notre alimentation. Elle est composée environ de 77% d’eau, 17 % d’amidon, 2% de vitamines et minéraux, 2% de protéines, 2 % de fibres.
Alors d’où viennent les tubercules? Les chercheurs ont déterminé que c’est grâce à l’hybridation entre les deux espèces que la “tuberculisation » peut avoir lieu aujourd’hui. La tomate et Etuberosum ont toutes deux contribué au processus.
La tomate a apporté le gène SP6A, qui indique à la plante quand produire des tubercules. Et son action est complétée par Etuberosum avec son gène IT1 qui contribue au contrôle de la croissance des tiges souterraines qui forment les tubercules. Sans ces deux gènes, la patate serait incapable de produire des tubercules.
Comment les botanistes ont-ils su quel gène provient de quelle espèce? C’est parce qu’ils ont observé que SP6A n’est exprimé dans aucun des tissus des espèces d’Etuberosum ; pareillement, la protéine IT1 de la tomate est très différente de la pomme de terre. Or, cette dernière est très similaire à la protéine IT1 d’Etuberosum. Cela corrobore l’idée que le gène IT1 vient d’Etuberosum et que SP6A vient de la tomate.
Tubercules et survie en altitude
Pour les chercheurs, l’hybridation aboutissant à la naissance de la patate a coïncidé avec le soulèvement rapide des Andes (chaîne montagneuse en Amérique du Sud), un événement qui a fait émerger de nouveaux environnements écologiques. En possédant des tubercules permettant de stocker les nutriments sous terre, les premières pommes de terre ont pu rapidement survivre aux conditions climatiques difficiles des montagnes. Elles ont donc probablement davantage pu se reproduire et se perpétuer (principe de la sélection naturelle). Sans oublier que les tubercules apportent un deuxième avantage pour coloniser un espace: ils permettent également aux plants de pommes de terre de se reproduire sans graines ni pollinisation. Ils produisent de nouvelles plantes par simple germination à partir des bourgeons du tubercule (ce que l’on peut observer dans notre cuisine, en laissant nos patates à la lumière).
“La présence de tubercules a donné aux pommes de terre un énorme avantage dans les environnements difficiles, ce qui a permis ensuite une explosion de nouvelles espèces et contribue à la riche diversité des pommes de terre que nous voyons et mangeons aujourd’hui”, a déclaré Sanwen Huang, chercheur de l’Académie chinoise des sciences agricoles ayant participé à l’étude.
Au-delà de nous en apprendre davantage sur l’origine de la tomate, cette étude apporte de nouveaux horizons intéressants pour la biologie de l’évolution. Jusqu’à présent, les mutations aléatoires étaient de loin la principale source d’apparition de nouvelles espèces. Sandra Knapp, botaniste du musée d’histoire naturelle de Grande-Bretagne, a déclaré à l’AFP: « nous convenons aujourd’hui que le rôle de l’hybridation a été sous-estimé ». De quoi faire germer de nouvelles hypothèses dans la tête des biologistes !
Saviez-vous que la pomate existe réellement?
En 1978, une autre hybridation étonnante de la tomate et de la pomme de terre a eu lieu, mais cette fois-ci, elle n’avait rien de naturel. Cet hybride a été créé pour la première fois par le botaniste allemand Georg Melchers à l’institut Max-Planck de biologie de Tübingen (Allemagne). Sur un même plant, les racines portent des tubercules et les parties aériennes des petites tomates cerise. 2 en 1 !
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Cameroun, suivez Africa-Press