Africa-Press – Cameroun. Ötzi, « l’Homme des glaces du Tyrol », est sans doute l’homme préhistorique le plus célèbre dont on sait qu’il portait des tatouages. Mais il existe bien d’autres momies qui en gardent également la trace, et ce, sur tous les continents. En Sibérie, des fouilles menées au cours des 19e et 20e siècles ont mis au jour des chambres funéraires contenant des individus inhumés au début de l’âge du fer (entre le 9e et le 2e siècle avant notre ère). Relevant de la culture Pazyryk, ces anciens habitants des monts Altaï ont particulièrement retenu l’attention en raison de la magnificence de leurs sépultures, mais aussi à cause de leurs tatouages.
Une équipe internationale de chercheurs les soumet pour la première fois à un examen scientifique, révélant le 31 juillet 2025 dans la revue Antiquity avec quels outils et selon quelle technique ils ont été réalisés. Leur analyse met en lumière le savoir-faire précoce des tatoueurs du monde scythe.
Le tatouage était sans doute très répandu pendant la Préhistoire
Dans nos sociétés contemporaines, le tatouage connaît depuis quelques années un certain engouement, sans signifier beaucoup plus (sauf pour certains groupes, mafieux en particulier) qu’une simple ornementation inscrite sous la peau. Mais il n’en était pas de même autrefois, où il jouait très certainement le rôle de marqueur culturel, social, ou spirituel. Comme l’ont révélé Ötzi et d’autres momies préservées dans des conditions favorables à la conservation de la peau, on peut supposer qu’il était très répandu pendant la Préhistoire, même si les preuves directes restent rares.
Des tatouages qui étaient passés inaperçus
Ces individus momifiés étaient aussi bien des hommes que des femmes, indique à Sciences et Avenir l’archéologue Aaron Deter-Wolf, co-auteur de l’étude: « À l’échelle mondiale, des tatouages préservés ont été identifiés sur les restes de centaines d’individus provenant d’au moins 60 sites archéologiques. Les restes de femmes tatouées sont présents sur au moins 43 d’entre eux. »
Sur les sept momies datant de l’âge du fer retrouvées dans les monts Altaï, trois sont des femmes. L’une d’entre elles a été retenue pour cette étude « en raison de la disponibilité des données numériques en 3D enregistrées par nos collègues du musée de l’Ermitage » en 2003, poursuit Aaron Deter-Wolf. Ce choix fortuit s’est révélé judicieux, car les tatouages qu’elle arborait sur les avant-bras et sur les mains n’avaient pas été remarqués lors de son excavation en 1940. Leur sophistication était donc jusqu’à présent passée inaperçue.
La culture de Pazyryk se rattache au monde scythe
Âgée d’une cinquantaine d’années, la femme étudiée était enterrée aux côtés d’un homme d’environ 55 ans dans la tombe 5 du site de Pazyryk, en Sibérie méridionale. Cette tombe fait partie d’un ensemble de kourganes (chambres funéraires souterraines tapissées de bois et enfouies sous des tumulus) enfermés dans le pergélisol, ce qui a permis la conservation de restes organiques d’une valeur exceptionnelle: « des artefacts en bois, en cuir, en feutre et en textile et des corps humains momifiés », énumèrent les chercheurs dans la revue Antiquity.
La culture Pazyryk se rattache au monde scythe, ce terme désignant la multitude de populations pastorales vivant dans la steppe eurasienne (depuis le nord de la Chine jusqu’à l’Europe orientale) au début de l’âge du fer.
Les atouts de la photographie infrarouge
Plusieurs technologies sont envisageables pour révéler et observer les tatouages préhistoriques, mais l’imagerie infrarouge possède d’indéniables atouts: « Les tatouages conservés dans les archives archéologiques sont parfois visibles à l’œil nu, mais avec le temps, des processus tels que la dessiccation et l’altération naturelle peuvent assombrir la peau conservée au point de rendre les tatouages invisibles, nous explique Aaron Deter-Wolf. Il existe un certain nombre de techniques numériques qui permettent de mettre en lumière les tatouages en voie d’effacement ou invisibles, notamment le plugin DStretch et la fluorescence stimulée par laser. Cependant, l’imagerie dans le proche infrarouge est utilisée depuis les années 1970 pour documenter des tatouages anciens et préservés, et l’application numérique moderne de cette approche reste la meilleure technique en raison de sa disponibilité immédiate et de son caractère entièrement non destructif. »
Les tatouages ont été réalisés selon la technique de perforation à la main
L’analyse des photographies infrarouges permet aux chercheurs de déterminer que les dessins – deux scènes de combat entre animaux sur les avant-bras, un oiseau, une croix, un motif en forme de poisson et un ornement floral sur les mains – ont été réalisés avec deux outils différents en utilisant la technique de la perforation à la main (hand poking). « Le tatouage par perforation consiste à percer la peau à l’aide d’un instrument pointu qui introduit le pigment dans l’épiderme », rappellent les chercheurs, qui s’appuient sur une base de données expérimentales constituée lors de travaux antérieurs.
« Nous pensons que l’outil utilisé pour créer les lignes plus épaisses était composé d’un faisceau de pointes, probablement étroitement liées entre elles par un fil ou un tendon, et trempées dans le pigment avant d’être enfoncées dans la peau », précise Aaron Deter-Wolf. Mais il est difficile de déterminer plus avant le type d’objet utilisé car il n’en subsiste aucune trace dans le matériel archéologique de l’Altaï. « De nombreuses cultures à travers le monde utilisaient traditionnellement des outils de tatouage fabriqués à partir de matériaux biodégradables, tels que des épines de plantes, poursuit l’archéologue, et c’est peut-être pour cette raison que les outils de tatouage de Pazyryk n’ont jusqu’à présent pas été identifiés dans les collections archéologiques. »
Deux niveaux de technicité différents sur les avant-bras
Grâce à sa précision, l’imagerie infrarouge permet également aux chercheurs de reconstituer le tracé du dessin et de repérer les endroits où les lignes se chevauchent. Ce qui est le plus frappant à leurs yeux, c’est la différence de technicité entre les différents motifs réalisés. « Si les dessins sur les mains sont pour la plupart des motifs simples, le plus élaboré étant un coq sur le pouce gauche, les avant-bras présentent certains des tatouages de Pazyryk les plus complexes identifiés à ce jour », constatent-ils.
Plus encore, les deux scènes de combat présentes sur les avant-bras semblent proches stylistiquement parlant, mais en réalité elles se distinguent très nettement: « une attention plus fine aux détails et un plus grand éventail de techniques visuelles dans le tatouage de l’avant-bras droit par rapport à celui de l’avant-bras gauche suggèrent un tatoueur plus expérimenté et plus habile », notent-ils. Sur l’avant-bras droit, ce dernier a comme déroulé le motif autour du bras en partant du poignet, une audace technique qui contraste avec l’art traditionnel scythe et indique « une rupture avec la convention ».
Deux artistes différents?
Sur l’avant-bras gauche, le dessin est non seulement moins développé, mais il est aussi beaucoup plus simple. « D’après la qualité des tatouages connus, nous avions déjà compris que les tatoueurs de Pazyryk étaient des artisans doués, ce qui implique qu’ils apprenaient et amélioraient leur métier au fil du temps, commente Aaron Deter-Wolf. Mais lorsque nous avons commencé nos recherches, nous ne nous attendions pas à trouver une différence de qualité aussi nette entre les tatouages sur chacun des bras de cette femme. Cette différence dans la complexité et la disposition des motifs nous laisse penser que ses bras ont été tatoués soit par différents artistes, soit au cours de la vie d’un même artiste. »
Aucune signification dans le rituel funéraire
Ultime observation: à certains endroits, les tatouages sont traversés par les incisions réalisées lors de la préparation du corps en vue de la momification. Les chercheurs en déduisent qu’ils ne revêtaient donc pas de fonction pour le passage dans l’au-delà: « Le mépris apparent pour la préservation des motifs de tatouage lors de la préparation des sépultures de Pazyryk suggère que la fonction sociale ou spirituelle des marques prenait fin avec la mort de l’individu. Nous émettons donc l’hypothèse que les tatouages du peuple Pazyryk étaient étroitement liés au monde des vivants et avaient une pertinence limitée dans un contexte funéraire. »
Il est nécessaire de dépasser la seule vision artistique des tatouages
Pour inscrire le tatouage dans le cadre de la recherche archéologique scientifique, il est primordial de réaliser ce type d’examen afin de comprendre son mode de réalisation sans s’arrêter au seul motif inscrit à la suie sous la peau. Car jusqu’à présent, les tatouages de la culture Pazyryk n’étaient connus que sous la forme de dessins en deux dimensions restitués en noir et blanc. Cette forme de présentation aboutit à une « perte d’informations » considérable, déplorent les auteurs, car elle « peut simplifier à l’extrême ou déformer les motifs réels des tatouages ». Qui plus est, elle ne prend en compte ni la technique, ni les outils utilisés, ni le degré de complexité du tracé, ni la virtuosité déployée par le tatoueur pour l’inscrire sur un corps en mouvement.
Sans l’infrarouge, on ne saurait pas que cette femme portait un tatouage si sophistiqué qu’un tatoueur d’aujourd’hui aurait du mal à le réaliser même avec des équipements modernes, remarquent les chercheurs. Cette forme de prouesse indique que le tatouage était alors un véritable artisanat, constate le premier auteur de l’étude, Gino Caspari, archéologue à l’Institut Max-Planck de géoanthropologie: « Le tatouage n’est pas seulement une décoration symbolique, c’est aussi un artisanat spécialisé, qui exigeait des compétences techniques, une sensibilité esthétique et une formation en bonne et due forme ou un apprentissage. » Le vrai défi pour les archéologues reste alors de retrouver les outils de cet artisanat.
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