Africa-Press – Cameroun. Investir au Cameroun) – Eagle Eye, véhicule d’investissements immatriculé à Singapour et appartenant au groupe Arise IIP du milliardaire indien Gagan Gupta, veut racheter à l’Etat du Cameroun 70% des actifs de la Compagnie camerounaise de l’Aluminium (Alucam), en difficulté depuis 10 ans. L’information est révélée par une correspondance du Secrétaire général de la présidence de la République (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh, adressée le 24 septembre 2025 au ministre des Finances, Louis Paul Motazé.
« D’ordre de Monsieur le président de la République, j’ai l’honneur de vous communiquer, pour diligences nécessaires et urgentes, en liaison avec le Minmidt – ministre des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique, NDLR – l’offre de réhabilitation et d’expansion de la société Alucam, présentée par l’entreprise Eagle Eye Asset…», écrit le SGPR.
Selon le document, l’offre formulée par l’investisseur indien comprend « les éléments suivants: rachat de 70% des parts dans le capital ; investissements de 475 millions USD – soit 271,3 milliards de FCFA au cours actuel du dollar américain – aux fins de stabilisation de la situation opérationnelle et financière ; mise en service d’une fonderie supplémentaire d’une capacité de 100 000 TPA ; construction d’une ligne de transport d’électricité du barrage de Nachtigal – 420 MW – à Edéa ; production d’aluminium par Alucam, dans le cadre de la création d’une chaîne de valeur de l’exploitation de la bauxite de Minim Martap ».
Risque d’éviction de l’Etat dans une filière stratégique
Dans sa lettre, le plus proche collaborateur du chef de l’Etat souligne qu’ « au regard de la dégradation actuelle de la société Alucam et de l’intérêt de la proposition faite par Eagle Eye Asset », le ministre des Finances doit « engager en urgence avec ladite entreprise, les discussions nécessaires à la concrétisation du partenariat envisagé et de soumettre les propositions y afférentes à la très haute sanction du chef de l’Etat ».
Selon les termes de la correspondance du SGPR au ministre des Finances, l’Etat du Cameroun voit plutôt d’un bon œil l’intérêt que porte Eagle Eye à la société Alucam. En effet, depuis 10 ans, le gouvernement camerounais recherche en vain un nouveau partenaire stratégique pour cette entreprise, après le retrait du groupe canadien Rio Tinto, qui a rétrocédé ses actifs dans Alucam à l’Etat du Cameroun en 2015.
Depuis cet épisode, Alucam ne cesse d’accumuler les pertes. Officiellement, les derniers résultats nets de cette entreprise ressortent à -23,7 milliards de FCFA en 2024, -23,6 milliards de FCFA en 2023, -8 milliards de FCFA en 2022, + 447,9 millions de FCFA en 2021, -14 milliards de FCFA en 2020, et -23 milliards de FCFA en 2019.
Cependant, en dépit de l’espoir du redressement d’Alucam qu’elle semble déjà entretenir auprès des autorités, l’offre d’Eagle Eye suscite en même temps quelques inquiétudes. D’abord sur le volume du capital sollicité. Selon des sources proches du dossier, la cession de 70% du capital d’Alucam à Eagle Eye est, sur le moyen et le long terme, porteuse d’un risque d’éviction de l’Etat et de perte de contrôle sur ce fleuron de l’industrie, situé en amont de la chaîne de valeur de l’aluminium au Cameroun.
L’hypothèse d’une restructuration avant la cession des actifs
En effet, au regard de la configuration actuelle du capital de cette entreprise – Etat du Cameroun: 79,68%, Agence française de développement (AFD): 5,05% et Société nationale d’investissement (SNI): 14,32% – en cédant jusqu’à 70% à Eagle Eye, la partie camerounaise ne contrôlerait plus que 24% du tour de table d’Alucam, induisant une perte d’influence sur le pilotage de l’entreprise. Pour les sources redoutant un tel scénario, l’idéal pour l’Etat du Cameroun serait de ne pas céder plus de 51% pour continuer à avoir la mainmise sur une filière industrielle stratégique, voire de rester dans la configuration du capital avant le retrait de Rio Tinto, dans laquelle l’Etat et le partenaire stratégique détenaient des parts égales: 46,67% chacun, 5,6% pour l’AFD et 1,1% pour le personnel.
Ensuite, des sources autorisées craignent qu’au regard de la situation financière et opérationnelle très peu reluisante d’Alucam, l’entreprise soit finalement cédée « au franc symbolique », c’est à dire à un montant insignifiant. D’ailleurs, dans l’offre révélée par le SGPR, il n’est pas fait mention du montant du ticket d’entrée proposé par Eagle Eye pour intégrer le capital d’Alucam. « L’idéal est d’abord de restructurer cette entreprise pour mieux la vendre ensuite. C’est le scénario le plus indiqué après la signature récente d’un contrat commercial avec la société Proalu, qui garantit à Alucam des achats d’aluminium d’un montant de 48 milliards de FCFA chaque année, avec des possibilités d’avances de trésorerie de 10 milliards de FCFA », soutient un fin connaisseur du dossier.
Selon un rapport d’audit d’Alucam publié en novembre 2024 par la Chambre des Comptes de la Cour suprême, la restructuration de cette entreprise nécessite une recapitalisation à hauteur de 43 milliards de FCFA. Cet apport de fonds permettra à l’entreprise, précise la Chambre des Comptes, de « remettre à niveau son outil de production de fonderie et de revenir à une production annuelle d’aluminium primaire de l’ordre de 110 000 à 120 000 tonnes ».
Arise IIP: un investisseur tentaculaire
Le rachat des parts majoritaires d’Alucam par Eagle Eye permettra de renforcer l’empreinte du groupe indien Arise IIP sur l’économie camerounaise. En effet, depuis 2021, le conglomérat du milliardaire indien Gagan Gupta a pris le contrôle de la société minière australienne Canyon Resources. Camalco, la filiale camerounaise de cette junior-minière, se prépare à lancer l’exploitation du gisement de bauxite de Minim Martap, dans la partie septentrionale du Cameroun.
Afin de garantir le transport du minerai par voie ferrée jusqu’au port de Douala, Canyon Resources a récemment annoncé le rachat à 1,4 milliard de FCFA, de 9,1% des actifs de Camrail, le transporteur ferroviaire national. De bonnes sources, l’opérateur minier négocie actuellement l’augmentation de ses parts dans Camrail à 40%.
Parallèlement, Arise IIP et Eagle Eye, son véhicule d’investissement, ont initié depuis fin 2024 des négociations avec le gouvernement camerounais, en vue du rachat de 85% des actifs de la Cotonnière industrielle du Cameroun (Cicam). Mais, de bonnes sources, la partie camerounaise ne serait disposée à conclure le deal que si elle conserve au moins 30% du capital de cette unité industrielle en difficulté. Autrefois fleuron de l’industrie du textile en Afrique centrale, la Cicam est aujourd’hui plombée par le vieillissement des équipements et la concurrence du textile chinois et d’Afrique de l’Ouest.
Partenaire du projet d’extension du port de Douala
Le 11 septembre 2025, Arise IIP et la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), le fonds de pension du Cameroun, ont signé trois conventions de partenariat en vue de la réalisation de projets d’envergure: construction d’une usine de transformation du coton, d’une plateforme logistique dédiée au stockage de conteneurs, et l’aménagement d’un site de 100 à 220 hectares pour l’implantation des usines. L’accord entre la CNPS et Arise IIP est lui-même le fruit d’un partenariat signé en septembre 2024 entre l’investisseur indien et le port autonome de Douala (PAD).
Ce partenariat porte sur l’aménagement d’une zone industrielle sur 517 hectares dans la localité de Missolé – sur les berges du fleuve Dibamba – dans le cadre de l’extension du port de Douala. Coût de l’investissement: 230 milliards de FCFA. Arise IIP a officiellement lancé les travaux en juillet 2025, devenant progressivement un investisseur tentaculaire au Cameroun.
Brice R. Mbodiam
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