Une énergie renouvelable inédite voit le jour en France

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Une énergie renouvelable inédite voit le jour en France
Une énergie renouvelable inédite voit le jour en France

Africa-Press – Cameroun. C’est en pleine Camargue, à Port-Saint-Louis-du-Rhône, que sera mise en fonction en cette fin 2024 la première centrale osmotique de France. Un projet unique au monde. Il aura fallu moins de dix ans à l’entreprise Sweetch Energy, en collaboration avec la Compagnie nationale du Rhône et EDF Hydro, pour mettre au point ce premier modèle de centrale reposant sur le principe de la diffusion ionique nano-osmotique. Traduit du jargon électrochimique, cela donne une centrale qui peut produire de l’électricité grâce à la rencontre entre l’eau du fleuve et de la mer.

Cette station pilote de seulement quelques centaines de mètres carrés, construite sur l’écluse de Barcarin dans le delta du Rhône, pourra générer à elle seule près de 4 térawattheures (TWh) par an. « Soit de quoi fournir de l’électricité propre et permanente pour près de 2 millions d’habitants, l’équivalent de l’agglomération de Marseille et ses environs », annonce Nicolas Heuzé, cofondateur et directeur général de la start-up. À titre de comparaison, un réacteur du parc nucléaire français a produit entre 5 et 6 TWh sur l’année 2023. Avec près de 40 millions d’euros apportés au projet depuis 2017 pour l’ensemble des recherches et des expérimentations, c’est un investissement sans précédent dans l’histoire industrielle de l’énergie osmotique.

Pour le directeur général de Sweetch Energy, un nouvel horizon s’ouvre sur le marché des énergies renouvelables: « Si nous investissons les quelque 10.000 plus gros deltas du globe, qui représentent un gisement annuel de 30.000 TWh, l’énergie osmotique peut fournir près de 15 % de l’électricité de la planète d’ici à 2050 !  » Et de façon entièrement décarbonée, sans transformation d’un combustible. L’énergie osmotique résulte du simple mélange entre l’eau douce et l’eau salée au cœur des deltas et estuaires. Elle est permanente et ne nécessite aucune forme de stockage.

Six ans d’expérimentations

« L’osmose est une diffusion de molécules entre deux milieux de salinités différentes, rappelle Lydéric Bocquet, physicien au CNRS et spécialiste de mécanique des fluides. De cette rencontre peut résulter une très grande source d’énergie. Ici, elle provient du mélange des ions (atomes chargés positivement ou négativement) du sel contenu dans l’eau de la mer, le sodium (Na+ ) et le chlorure (Cl-) avec l’eau très peu salée du fleuve se jetant dans la mer. On parle d’entropie de mélange.  » Le procédé paraît si simple qu’on se demande pourquoi il ne s’est pas imposé depuis sa mise au point, dans les années 1950.

« Il y a deux raisons à cela, explique Lydéric Bocquet. La première, c’est la concurrence avec le gaz, le charbon, le pétrole, etc., alors qu’il n’y avait pas encore l’urgence écologique ; quant à nous, en France, nous avions tout misé sur le nucléaire. La deuxième, c’est le coût.  » En effet, le premier modèle de centrale osmotique construit en 2009 par les Norvégiens de Statkraft affichait un coût de production du mégawattheure à environ 1000 euros – contre environ 60 à 70 euros pour le nucléaire. Elle ferma ses portes au bout d’à peine quatre ans. Pour baisser la facture, il fallait repenser la technologie.

C’est dans les laboratoires de Sweetch Energy à Rennes, qui font également office de micro-usine, qu’a été conçue une méthode permettant de générer directement de l’électricité à partir des interactions entre les molécules de sel et d’eau, sans passer par une turbine comme dans la solution norvégienne. Le point de départ fut un article de Lydéric Bocquet publié dans la revue Nature en 2013: « Nous avons injecté de l’eau plus ou moins salée dans des nanotubes en nitrure de bore, se rappelle-t-il. Nous avons découvert que, selon la composition chimique du nanotube, le mélange d’eau et de sel produisait un ‘courant ionique’ considérable. L’intensité de ce courant résulte des interactions entre les ions du mélange d’eau salée et le nitrure de bore.  »

Ces découvertes permirent d’envisager de nouvelles voies pour extraire l’énergie osmotique au sein des deltas, là où les flux de cations (les ions sodium Na+ chargés positivement) et d’anions (les ions chlorure Cl-chargés négativement) du sel de mer rencontrent les molécules d’eau douce. Un tout nouvel univers électrique qu’il a fallu appréhender, explique Bruno Mottet, cofondateur et directeur scientifique de Sweetch Energy: « Tout l’enjeu était de savoir comment dégager suffisamment de charges positives d’un côté et de charges négatives de l’autre afin d’obtenir une différence de potentiel, comme pour une simple pile. Et donc être capable de produire de l’électricité.  »

Six années d’expérimentations furent nécessaires pour produire un prototype capable de générer de l’électricité. Quant au module prêt à être industrialisé, il ne fut achevé qu’en 2023. Bruno Mottet explique pourquoi le défi était difficile à relever: « Pour avoir deux pôles de charge différente et régénérer la pile, il nous fallait trouver une matière qui laisse d’abord passer les ions positifs d’un côté tout en bloquant les ions négatifs. Elle serait alors traversée d’un fort courant ionique positif. Mais elle devait également être facilement transformée en une autre qui, cette fois-ci, laisserait passer les ions négatifs tout en bloquant les ions positifs. Celle-ci serait alors traversée d’un fort courant ionique négatif. C’était tout à fait concevable, sachant que ces deux types d’ions ne possèdent pas la même taille.  »

Comment fonctionne une centrale osmotique

L’énergie osmotique résulte du mélange entre l’eau douce et l’eau salée au cœur des deltas et estuaires. Dans l’installation industrielle sur le Rhône, chaque module est divisé en compartiments séparés par des membranes et remplis, tour à tour, d’eau douce et d’eau de mer. Avec cette disposition alternée, on obtient d’une membrane à l’autre un courant ionique positif et un courant ionique négatif. En fixant des électrodes aux extrémités de chaque module, les membranes se chargent en électrons générés par les interactions électrochimiques d’un bout à l’autre du module. Le courant ionique devient un courant électrique. On obtient ainsi un gigantesque dispositif de piles en série.

Crédit: Bruno Bourgeois

Un biopolymère utilisé dans l’industrie textile

Les ingénieurs ont alors repris l’idée d’une fine membrane semi-perméable permettant le passage de certains ions, développée pour les premières usines de dessalement dans les années 1970. Elle stoppe les molécules de sel mais laisse passer les molécules d’eau. « Nous nous sommes ensuite inspirés de l’agroalimentaire où l’on utilise des membranes avec des pores de différentes tailles pour laisser passer ou non certaines bactéries et protéines « , poursuit Bruno Mottet.

Réalisées à partir d’un biopolymère issu de végétaux (à gauche), l es membranes semi-perméables (au centre) auront nécessité pour leur mise au point pas moins de 7000 expériences dans les laboratoires de Sweetch Energy, à Rennes. Différents taux de salinité de l’eau sont testés afin de déterminer le plus optimal en vue de produire de l’électricité (à droite). PHOTOS: THIERRY PASQUET / SIGNATURES POUR SCIENCES ET AVENIR

7000 expériences plus tard et après avoir testé six matériaux différents, dont l’oxyde de titane et différents oxydes métalliques, la solution est enfin trouvée: un biopolymère issu des parois végétales. « L’idée nous est venue en étudiant son usage dans le traitement des eaux usées de l’industrie textile. Il absorbait de façon sélective certains colorants et d’autres non. Outre le fait de présenter toutes les qualités requises, il était largement répandu dans la nature, recyclable et très peu coûteux !  »

Dans la centrale du delta du Rhône, seront installés plusieurs centaines de modules osmotiques. À l’intérieur de chacun, des centaines de membranes empilées, soit des milliers de mètres carrés de membranes brevetées Inod (Ionic nano osmotic diffusion). « Grâce aux évolutions rapides de notre technologie et aux effets d’échelle, nous visons un coût de production du mégawattheure entre 50 et 100 euros pour une électricité propre et disponible en continu « , affirme Nicolas Heuzé. De quoi sérieusement concurrencer le nucléaire ou l’éolien (environ 70 euros/MWh). Avec quels impacts sur la nature ?

« Nous ne modifions pas la composition chimique du delta, assure Bruno Mottet. L’eau est intégralement restituée au milieu naturel. Le seul changement serait une baisse de température de quelques dizaines de degrés due à la récupération de l’énergie osmotique. Avec le réchauffement climatique, c’est peut-être un bénéfice supplémentaire ?  » À l’heure actuelle, il n’existe aucun autre projet de ce type dans le monde, sinon de futures collaborations avec la start-up française en Asie et en Amérique du Nord. « Nous sommes évidemment très attentifs à la Chine, mais elle n’en est qu’au stade de la recherche universitaire, nous avons plusieurs années d’avance « , estime Nicolas Heuzé.

L’énergie osmotique, une histoire déjà longue

C’est en 1954 que paraît le premier article scientifique portant sur l’énergie osmotique, signé du Britannique Richard Pattle. Le phénomène d’osmose, par lequel les molécules d’eau sont attirées par les molécules de sel de l’eau de mer, y est décrit comme un potentiel pouvant générer de l’électricité. Au même titre que le débit d’un fleuve ou une chute d’eau convertis en énergie hydraulique. En 1958, les chimistes américains Sydney Loeb et Srinivasa Sourirajan créent la première membrane semi-perméable à l’Université de Californie. Un système de séparation qui, au sein d’un phénomène osmotique, s’avère très efficace pour déminéraliser l’eau de mer. En 1975, Sydney Loeb propose un premier modèle de « centrale électrique osmotique  » dans un article très détaillé. Il avertit cependant sur le coût d’un tel système. Ce n’est qu’en 2009 que la première centrale osmotique à turbine verra le jour en Norvège, confirmant enfin les prévisions de Loeb.

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