Africa-Press – CentrAfricaine. Le 9 mai 2025, Touadéra brille par son absence à Moscou. Que cache ce désaveu russe pour la Centrafrique, pionnière de l’influence de Poutine en Afrique?
Le vendredi dernier, Moscou a accueilli une trentaine de chefs d’État et de gouvernement pour célébrer le 80e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie, un événement marqué par une imposante parade militaire sur la Place Rouge. Parmi les dirigeants africains présents, on comptait Ibrahim Traoré du Burkina Faso, Denis Sassou-Nguesso du Congo, Abdel Fattah al-Sissi de l’Égypte, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo de la Guinée équatoriale, Taye Atske Selassie de l’Éthiopie, Umaro Sissoco Embaló de la Guinée-Bissau et Emmerson Mnangagwa du Zimbabwe. Ces leaders ont été chaleureusement reçus par le président russe Vladimir Poutine, qui a organisé un dîner officiel la veille pour honorer ses invités. Pourtant, un nom manquait à l’appel: Faustin-Archange Touadéra alias Baba Kongoboro, président de la République centrafricaine, un allié de longue date de la Russie en Afrique. Cette non-invitation pose des questions sur l’avenir des relations entre Bangui et Moscou, dans un contexte où la Centrafrique a joué un rôle clé dans l’expansion de l’influence russe sur le continent.
Un partenariat historique avec la Russie
La Centrafrique est souvent vue comme le point de départ de la stratégie russe en Afrique subsaharienne. Depuis 2018, sous l’impulsion de Touadéra, le pays a accueilli un grand nombre de mercenaires du groupe Wagner, aujourd’hui intégré aux structures officielles russes après la mort de son fondateur, Evgueni Prigojine. Ce soutien sécuritaire a permis au régime de Touadéra de contrer les offensives rebelles, notamment lors de la crise électorale de 2020-2021. En échange, Moscou a obtenu un accès privilégié aux ressources minières du pays, comme l’or et les diamants, renforçant une relation stratégique. La Centrafrique a servi de base pour étendre l’influence russe vers d’autres nations, comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger, où des juntes militaires ont sollicité l’appui de Moscou face à soi-disant l’instabilité régionale.
Touadéra s’est souvent présenté comme un fervent défenseur de cette alliance, qualifiant Poutine de « frère » dans ses discours et multipliant les gestes de solidarité, y compris des messages de condoléances après des attentats en Russie. Sa visite officielle à Moscou en janvier 2025, où il a discuté avec Poutine de la nouvelle colonisation russe déguisée en coopération militaire, minière et politique, semblait confirmer la solidité de ce partenariat. Pourtant, quatre mois plus tard, son absence aux célébrations du 9 mai intrigue et alimente les spéculations.
Une absence aux allures de désaveu
L’absence de Touadéra à Moscou contraste avec la présence de dirigeants de pays africains moins engagés historiquement avec la Russie, comme l’Éthiopie ou la Guinée-Bissau. Cette situation est d’autant plus frappante que la Centrafrique, pionnière dans l’accueil des forces russes, aurait pu être mise en avant comme un exemple du succès de la politique africaine de Moscou. Plusieurs hypothèses émergent pour expliquer cette non-invitation.
D’abord, il est possible que la Russie considère la Centrafrique comme un territoire déjà acquis, ne nécessitant plus de gestes diplomatiques majeurs. Contrairement à des pays comme le Congo ou l’Éthiopie, où Moscou cherche encore à renforcer ses liens, Bangui est perçue comme un partenaire stable, voire dépendant. Cette logique pourrait également s’appliquer au Mali, dont le président de transition, Assimi Goïta, n’a pas non plus été signalé parmi les invités. Pour la Russie, ces nations seraient déjà sous son influence, rendant leur présence à Moscou moins stratégique face à des partenaires encore à convaincre.
Ensuite, des tensions discrètes pourraient exister entre Touadéra et le Kremlin. Malgré son alignement avec Moscou, Touadéra a multiplié les initiatives pour diversifier ses alliances. En 2024, il a relancé les relations avec la France, obtenant une aide budgétaire de 10 millions d’euros et signant un accord avec la société militaire privée américaine Bancroft, vue comme une tentative de réduire l’influence de Wagner. Ces démarches, encouragées par son allié rwandais Paul Kagame, ont irrité les paramilitaires russes, qui restent omniprésents dans le pays. Moscou pourrait avoir interprété ces ouvertures vers l’Occident comme un manque de fidélité, décidant d’exclure Touadéra d’un événement hautement symbolique.
Enfin, des considérations pratiques ne sont pas à exclure. À l’approche des élections présidentielles de décembre 2025, Touadéra pourrait avoir choisi de rester à Bangui pour consolider son pouvoir face à une opposition grandissante, qui appelle à un boycott électoral. Une consigne russe de ne pas quitter le pays, comme évoqué, pourrait également refléter une volonté de maintenir la stabilité dans un État clé pour les intérêts de Moscou. Toutefois, l’absence d’une délégation centrafricaine, même symbolique, rend cette explication moins convaincante.
Un signal inquiétant pour la Centrafrique
Quel que soit le motif, l’absence de Touadéra à Moscou envoie un message troublant. Pour un président qui a fait de la Russie son principal appui stratégique, cette exclusion publique pourrait affaiblir sa stature, tant sur la scène internationale que domestique. En Centrafrique, où l’opposition dénonce régulièrement la « soumission » de Touadéra à Moscou, cette non-invitation risque d’alimenter les critiques sur sa gestion des relations extérieures. Martin Ziguélé, leader du Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain, a déjà appelé à un dialogue national pour « assainir le climat institutionnel » avant les élections, une demande que Touadéra a jusqu’ici ignorée.
Sur le plan régional, l’absence de la Centrafrique aux côtés d’autres nations africaines pro-russes pourrait marginaliser Bangui dans les dynamiques diplomatiques du continent. Alors que des pays comme le Burkina Faso ou la Guinée équatoriale sont courtisés par Poutine, la Centrafrique risque de perdre son statut de partenaire privilégié, reléguée au rang de simple « base » pour les opérations russes en Afrique. Cette perception est d’autant plus préoccupante que la Russie, confrontée à des revers en Syrie et à des défis économiques, pourrait recentrer ses efforts sur des alliés plus dynamiques ou stratégiques.
Une relation à sens unique?
L’attitude de Touadéra envers Poutine, caractérisée par une déférence publique, contraste avec le pragmatisme froid du Kremlin. Là où Touadéra multiplie les déclarations chaleureuses, Poutine maintient une distance calculée, traitant la Centrafrique comme un levier géopolitique plutôt qu’un partenaire d’égal à égal. Cette asymétrie, soulignée par l’absence de réciprocité dans les gestes diplomatiques, reflète une réalité plus large: pour Moscou, la Centrafrique est avant tout un outil dans sa stratégie africaine, interchangeable une fois ses objectifs atteints.
Cette dynamique pousse à s’interroger sur l’avenir de Touadéra et de son pays. En misant massivement sur la Russie, le président centrafricain s’est aliéné une partie de ses partenaires occidentaux, tout en s’exposant aux caprices d’un allié russe dont les priorités évoluent. À l’approche d’une élection, cette marginalisation pourrait compliquer sa campagne, alors que les défis sécuritaires, économiques et politiques restent immenses dans l’un des États les plus fragiles du continent.
Rappelons que l’absence de Faustin-Archange Touadéra alias Baba Kongoboro à Moscou le 9 mai 2025 n’est pas un simple oubli diplomatique. Elle dévoile les limites d’une alliance déséquilibrée, où la loyauté de Bangui ne garantit pas la reconnaissance de Moscou. Pour Touadéra, ce camouflet pourrait marquer un tournant, l’obligeant à repenser sa stratégie géopolitique dans un monde où les alliances, même les plus solides en apparence, restent soumises aux intérêts changeants des grandes puissances….
Source: corbeaunews
Pour plus d’informations et d’analyses sur la CentrAfricaine, suivez Africa-Press