Témoignages des Combats Romains et Carthaginois

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Témoignages des Combats Romains et Carthaginois
Témoignages des Combats Romains et Carthaginois

Africa-Press – CentrAfricaine. Cela fait déjà une vingtaine d’années que des fouilles ont lieu sur le site de la bataille des Égates, au large de la Sicile, et chaque saison apporte son lot de découvertes, toutes aussi fascinantes que les autres. Au cours du mois d’août 2025, les plongeurs de la Société pour la documentation des sites submergés (Sdss), supervisés par la Surintendance de la mer de la région Sicile, ont ainsi rapporté un magnifique casque de type Montefortino et de nouveaux artefacts essentiels pour comprendre le déroulement de cette bataille navale décisive au cours de laquelle les Romains l’emportèrent sur les Carthaginois en 241 avant notre ère. Mais si ces fouilles sont primordiales, ce n’est pas uniquement parce que c’est le seul site à documenter une bataille navale antique, c’est surtout parce qu’il offre l’occasion de comprendre comment Rome a pu conquérir la Méditerranée aux dépens de Carthage.

Au large de la Sicile, armes, casques et éperons de navires témoignent des combats entre Romains et Carthaginois

Les îles Égates sont un archipel de petites îles montagneuses situées au large de la côte occidentale de la Sicile. C’est là que, selon le récit de l’historien grec Polybe, écrit au 2e siècle avant notre ère, se serait déroulée la bataille qui mit fin à la première guerre punique (264-241 avant notre ère) conduisant les Carthaginois, épuisés par 23 années de guerre, à s’incliner face aux Romains et à leur céder la Sicile. La zone est tout de même vaste et ce n’est qu’au début du 21e siècle que l’archéologue italien Sebastiano Tusa a identifié le site exact des affrontements, au nord-ouest de l’île de Levanzo, où la flotte romaine, commandée par Gaius Lutatius Catulus, a tendu une embuscade aux navires carthaginois sous le commandement d’Hannon.

Les fouilles bénéficient d’une technologie de pointe

Depuis, les recherches vont bon train, bénéficiant de la technologie de pointe apportée par la RPM Nautical Foundation, une organisation américaine affiliée à l’Institut d’archéologie nautique (INA), basée à Malte, qui supervise des fouilles sous-marines en Méditerranée. Grâce à leur bateau équipé d’un sonar multifaisceaux, les chercheurs établissent progressivement une carte topographique du fond sous-marin, ce qui leur permet d’envoyer dans un premier temps un véhicule sous-marin autonome (AUV, pour autonomous underwater vehicle) pour éclairer le fond, là où des anomalies ont été détectées. Un véhicule téléopéré (ROV, pour remotely operated underwater vehicle) est ensuite immergé pour aller photographier les zones jugées intéressantes, avant que les plongeurs de l’association Global Underwater Explorers se rendent sur place pour récupérer à 80 mètres de profondeur les artefacts dispersés sur le fond marin.

Un casque avec ses deux couvre-joues

La campagne de cette année a tout d’abord livré un casque de type Montefortino. Si ce n’est pas le premier à avoir été extrait de l’eau, son excellent état le distingue, d’autant qu’il est muni des deux protège-joues qui le complètent. Selon le conseiller régional chargé du patrimoine culturel et de l’identité siciliennes, Francesco Paolo Scarpinato, c’est « l’un des plus beaux et des plus complets jamais retrouvés », rapporte un communiqué de la Région Sicile.

Romain ou Carthaginois?

Cette forme de casque conique en bronze orné d’un bouton à son sommet était aussi bien portée par les légions romaines entre le 4e et le 1er siècle avant notre ère que par les Carthaginois. Il est donc difficile de savoir dans quel camp combattait le soldat qu’il équipait.

Une trentaine de spécimens ont déjà été retrouvés au cours des campagnes précédentes, mais leurs couvre-joues (ou paragnathides) étaient généralement détachés ou en moins bon état.

Un casque de simple soldat

La campagne de 2023 avait ainsi livré 15 casques Montefortino et 20 protège-joues. Comme l’explique le président de la RPM Nautical Foundation, Jim Goold, dans un webinaire, « les casques sont pour la plupart visibles en surface sur le fond marin, tandis que les protège-joues ont tendance à être complètement enfouis ». L’archéologue explique également que les casques des officiers étaient surmontés d’une sorte de panache ou de décoration, comme le montrent les empiècements à leur sommet. Pour les soldats de rang légèrement inférieur, le casque était seulement orné d’un motif en relief, tel un lion aux pattes de lézard. Le casque tout juste sorti de l’eau ne présentant aucun de ces éléments, on peut en conclure qu’il devait appartenir à un simple soldat.

Des armes recouvertes de concrétions marines

D’autres artefacts ont été sortis de l’eau au cours de cette campagne, mais comme ils étaient entièrement recouverts de concrétions marines, les archéologues les ont aussitôt soumis à des examens par densitométrie pour les identifier. Il s’agit d’une trentaine d’objets métalliques, des armes plus précisément: épées, lances et javelots, qui confirment un affrontement militaire.

Ce n’est qu’en 2019 que la première épée a été découverte sur le site ; elle mesurait environ 70 cm de long et sa lame était large de 5 cm. Jusque-là les plongeurs avaient surtout rapporté quantité d’amphores et quelques pièces de monnaie, romaines, mais aussi puniques, ce qui est plus rare.

Les éperons échoués indiquent le nombre de bateaux coulés

Mais la preuve la plus éclatante que la bataille des Égates s’est bien déroulée à cet endroit, c’est la présence de nombreux éperons de navires (ou rostres). Les archéologues en ont déjà récupéré 27, « ce qui représente peut-être environ un tiers du nombre total de navires coulés ce jour-là », estime Jim Goold. L’opération d’extraction demande une grande coordination, car ces pièces de bronze pèsent entre 100 et 200 kg.

Situés à la proue des navires, les éperons constituaient alors l’arme principale des batailles navales. Deux tactiques étaient possibles: soit on tentait de couler le navire ennemi en le heurtant de manière à percer le bordé, soit on utilisait le rostre pour bloquer les rames afin que les soldats puissent aborder le navire adverse.

Trois lames tranchantes en bronze

Aujourd’hui, après deux millénaires passés sous l’eau, le bois des navires s’est désintégré, mais il en subsiste encore autour de la structure de bronze des rostres échoués sur le fond marin. Dans le creux de cette structure constituée de trois lames tranchantes, les pieuvres ont accumulé quantité de petits objets, comme les pièces de monnaie qui ont dû s’échapper des vêtements des soldats tombés à l’eau, une aubaine pour les archéologues !

Les rostres ont subi de nombreux chocs

Les rostres de la bataille des Égates ont tous été soigneusement nettoyés afin d’être étudiés. Comme le raconte dans le webinaire l’archéologue sous-marin Stephen DeCasien de l’université A&M du Texas, ils sont tous différents dans leur facture, et ils ont presque tous subi d’importants dommages lors des combats. « L’éperon numéro 7 montre des dommages sur les ailerons, probablement causés par un choc sur une partie molle du navire ennemi. Ses ailerons frontaux sont donc pliés vers le haut et vers le bas, et il présente quelques fissures le long de sa coque. De toute évidence, sa partie arrière est manquante. »

D’autres ont des ailerons ébréchés ou cassés, leurs coques sont tordues ou fissurées. « Cela indique clairement que ces éperons ont été utilisés dans plusieurs frappes avant que leur propre navire ne soit coulé », analyse l’archéologue. L’éperon numéro 11 présente même la preuve d’une réparation: un morceau de bronze a été ajouté pour combler un trou dans son aileron supérieur, « ce qui pourrait signifier que ce rostre a en fait participé à deux batailles navales ».

Les inscriptions permettent de dater les navires

Par ailleurs, les décorations et les inscriptions qui ornent ces armes permettent aux chercheurs de les dater. C’est ce qu’ils viennent de réaliser pour le rostre numéro 25, sorti de l’eau au cours de la saison passée. Il est d’origine romaine puisqu’il porte l’inscription « Ser. Solpicio C.F. Quaestor Probavi(t) », signifiant que le questeur Servius Sulpicius, fils de Gaius (ou Caius), a approuvé la fabrication du navire équipé de cet éperon. Les chercheurs présument que ce Servius Sulpicius pourrait être le fils de Caius Sulpicius, consul de Rome en 243 avant notre ère, ce qui place la construction de cet éperon en pleine première guerre punique, confirmant l’implication du navire dans la bataille des Égates.

Quant aux rostres carthaginois, leurs inscriptions pouvaient aussi mentionner des personnages importants, mais elles invoquaient plutôt le dieu Baal, et maudissaient les Romains. Mais, comme ils en ont fait l’amère expérience au cours de cette bataille navale, ce ne sont pas les inscriptions qui décident de la victoire…

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