Faim Dans L’Océan Détermine Avenir Des Requins

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Faim Dans L'Océan Détermine Avenir Des Requins
Faim Dans L'Océan Détermine Avenir Des Requins

Africa-Press – CentrAfricaine. Pêche, surpêche, conservation… En cette « année de l’océan » 2025, les enjeux des près de 71 % de notre planète recouverts par les eaux sont plus que jamais sur le devant de la scène. Mais comprenons-nous vraiment les espèces marines que nous essayons de protéger? De l’eau salée aux très hautes pressions, n’importe quel marin vous le dira, la mer n’est pas tendre avec les humains, et encore moins avec le matériel de recherche. A cause de ces difficultés, ou simplement faute d’études, de nombreuses espèces sont encore très mal connues, notamment chez les élasmobranches, la famille des requins et des raies.

“Il y a plus de 500 espèces de requins et au moins 1 500 espèces d’élasmobranches, explique Sol Lucas, biologiste marin et co-auteur de l’étude. Nous avons des informations sur ceux qui sont pêchés régulièrement, mais il y en a des centaines, trop inaccessibles ou trop peu connues, pour lesquelles nous ne savons quasiment rien.”

Pour tenter de combler – en partie – ce manque, une nouvelle étude de l’université de Newcastle en prépublication (non revue par les pairs) sur la plateforme bioRxiv a modélisé les stratégies de vie de plusieurs dizaines d’espèces marines, afin de pouvoir les comparer entre elles. Nommé DEBBIES (Budget Énergétique Dynamique Isable-Sol), ce nouveau modèle construit à partir des données de plus de 155 espèces révèle ainsi des variations inédites dans les stratégies de survie des animaux en fonction de leur accès à la nourriture.

Des variations imprévues

Requin blanc, raie manta, requin tigre… Si ces espèces semblent omniprésentes dans les études et documentaires, de nombreux autres élasmobranches, peut-être moins emblématiques, restent encore très mal connus des chercheurs. Un vide qui s’explique à la fois par un manque d’études et par la difficulté des conditions de recherche. Eau salée, variations de pression et de température, distances parfois titanesques parcourues par les sujets… N’importe quel marin vous le dira, la mer n’est pas tendre avec les humains, et encore moins avec le matériel. Si l’étude des espèces terrestres peut parfois permettre de suivre un même individu pendant plusieurs années, il n’en est pas de même pour un animal marin, ce qui rend complexe toute comparaison entre différentes populations.

Pour pallier le manque de données, DEBBIES se base avant tout sur la comparaison des données de plusieurs populations d’une même espèce et donc, de leurs différentes stratégies en fonction de leur environnement. “Le modèle lui-même est assez simple: il se base sur la façon dont les animaux utilisent leur énergie, explique Isabel Smallegange, biologiste des populations et co-autrice de l’étude. Lorsqu’un animal mange, l’énergie qu’il obtient ne peut être utilisée qu’une fois, soit pour croître, soit pour se reproduire. C’est ce qu’on appelle un trade-off.”

En construisant un « budget énergétique » fictif, le modèle s’intéresse à la façon dont différentes populations choisissent de le dépenser. Un choix qui tend majoritairement à investir dans la reproduction pour la plupart des espèces. Mais alors que le consensus scientifique présentait ces taux comme relativement constants, le modèle de Newcastle souligne la présence de variations de stratégie en fonction de leur accès à la nourriture.

Un meilleur accès à la nourriture verra ainsi le taux de reproduction (le nombre moyen de descendants produits au cours de la vie d’un individu) doubler pour la raie manta de récif (Mobula alfredi) et être multiplié par cinq chez le requin bleu (Prionace glauca).

“En incorporant le niveau d’accès à la nourriture dans le modèle, nous avons pu voir quel a été l’impact local de cette variable sur la croissance des individus et leur niveau de reproduction. Ce n’était pas du tout des résultats auxquels nous nous attendions !”, ajoute Ia biologiste des populations.

“C’est un résultat très simple: un meilleur accès à la nourriture signifie de plus hauts taux de reproduction, résume Sol Lucas. Nous n’avons étudié “que” 151 espèces sur les plusieurs centaines que comptent les élasmobranches donc nous ne pouvons pas faire de généralités, mais ces résultats mettent en valeur l’impact du milieu sur les stratégies populations.”

Un modèle au service de la conservation

Autre information apportée par le modèle: les variations des taux de croissance des populations, mais également de leurs taux de résilience. Représentant la capacité d’une population à se reconstituer après une diminution importante, par exemple à cause de la surpêche, la résilience d’une espèce est une donnée particulièrement importante pour les opérations de conservation.

“Nos résultats ont montré que ces deux paramètres varient également en fonction de l’accès à la nourriture, mais qu’ils n’ont pas toujours de lien entre eux, explique Sol Lucas. Une espèce peut par exemple avoir un fort taux de croissance de sa population mais ne pas avoir une très bonne résilience. C’est une très mauvaise idée de se baser sur l’un pour estimer l’autre. Les requins bleus, par exemple, ont une bien meilleure résilience que les autres espèces de requins parce qu’ils ont un rythme de vie plus rapide: ils sont matures plus vite et ont plus de petits. »

Si les capacités de résilience des élasmobranches sont déjà estimées indépendamment du taux de croissance des populations par les experts pour de nombreuses espèces, le modèle DEBBIES met également en avant la variation des capacités de résistance des espèces lorsque la nourriture vient à manquer. Ainsi, chez les requins bleus (toujours), les taux de résilience augmentent significativement lorsque l’accès à la nourriture est suffisant. Une variation qui n’était pas prise en compte jusqu’alors.

“La résilience est souvent basée sur le taux maximum de reproduction d’une espèce, mais comme nos résultats le montrent, la nourriture joue un rôle majeur dans ces paramètres, ajoute le biologiste marin. En ajoutant les taux de nutrition à ces prévisions, nous aurons de bien meilleures estimations à utiliser pour la mise en place de mesures.”

“Ce sont des résultats que nous avons également observés chez d’autres espèces de poissons qui n’appartiennent pas aux élasmobranches, ajoute Isabel Smallegange. Ce sont des données très précieuses pour la gestion de la pêcherie.”

A travers ses résultats, l’étude invite ainsi à une plus grande prudence dans la définition des quotas en prenant en compte ces nouveaux paramètres et leurs variations chez chaque population. Comportant des données sur de nombreuses autres espèces à sang froid, allant du thon albacore (Thunnus albacares) au poisson-chat rayé (Plotosus lineatus), ou même au crocodile du Nil (Crocodylus niloticus) le modèle de l’université de Newcastle pourrait également apporter de précieuses informations au sujet d’autres espèces possédant une physiologie similaire, y compris sur la terre ferme.

“La prochaine étape est de continuer d’apporter des données à DEBBIES, conclut Isabel Smallegange. Le jeu de données est encore très incomplet et plus nous continuerons à en apprendre sur ces espèces, plus les modélisations seront précises.”

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