Africa-Press – CentrAfricaine.
Il y a la guerre. Et il y a le pillage. En République centrafricaine, les deux sont indissociables. Depuis l’arrivée du Groupe Wagner en 2018, le pays est devenu un vaste terrain de razzia où tout ce qui a de la valeur est systématiquement volé: l’or des mines, les diamants des gisements, le bétail des éleveurs, les récoltes des paysans, les marchandises des commerçants, les biens des civils, l’aide humanitaire des ONG. Même les morts sont dépouillés.
La communication déposée le 8 octobre 2025 à la Cour pénale internationale (CPI) documente l’ampleur du système de pillage organisé mis en place par le régime Touadéra et le Groupe Wagner. Ce n’est pas le pillage chaotique d’une armée en déroute ou le banditisme opportuniste de groupes armés incontrôlés. C’est un pillage méthodique, planifié, coordonné depuis le sommet de l’État, dont les bénéficiaires sont clairement identifiés: Faustin-Archange Touadéra, son cercle restreint, et les mercenaires du Groupe Wagner.
Les témoignages recueillis auprès de trente témoins, dont d’anciens miliciens, des membres des Forces armées centrafricaines (FACA), des victimes et des proches de victimes, établissent que le pillage constitue à la fois un objectif stratégique (s’emparer des ressources minières du pays), un mode de rémunération (les miliciens et les FACA ne sont pas payés, on leur donne le droit de piller), et une arme de terreur (piller pour appauvrir, affamer et chasser les populations civiles des zones convoitées).
Dès 2018, la pratique du pillage était institutionnalisée au sein de l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC), le mouvement politico-militaire dirigé par Ali Darassa et Hassan Bouba, qui collaborait étroitement avec le Groupe Wagner et le régime Touadéra. Des anciens éléments de l’UPC opérant en tant que “Wagner noirs” et impliqués dans de nombreuses attaques, dont celles de Seko et Alindao, ont confirmé que les éléments de l’UPC pillaient tout ce qu’ils pouvaient lorsqu’ils menaient des attaques. Étant donné que les éléments de l’UPC ne recevaient pas de salaires, il était entendu que la pratique du pillage leur tiendrait lieu de rémunération.
Lors du massacre d’Alindao le 15 novembre 2018, les éléments de l’UPC ont procédé à des pillages systématiques des biens des personnes déplacées, ainsi que des biens de l’église d’Alindao. De nombreux bâtiments ont également été détruits, y compris l’église et une partie de la cathédrale. Le pillage faisait partie intégrante de l’opération militaire: tuer, brûler, voler. Dans cet ordre ou dans le désordre, peu importe. L’essentiel était que rien ne reste.
Cette logique du pillage comme mode de rémunération s’est étendue à l’ensemble des forces combattant pour le compte du régime Touadéra après le déclenchement de la contre-offensive contre la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC) en décembre 2020. Les mercenaires de Wagner, les FACA, les Forces de sécurité intérieure (FSI), la Garde Présidentielle et les “Requins” se sont lancés dans une vaste campagne de pillage à travers tout le territoire centrafricain. Dès mars 2021, le Groupe de Travail des Nations Unies sur l’Utilisation de Mercenaires rapportait des actes de pillage de biens privés et publics commis par des mercenaires de Wagner dans des villes et villages repris à la CPC, notamment dans les préfectures de Lobaye, Ombella-M’Poko, Nana-Mambéré et Ouham.
Le Groupe d’experts des Nations Unies sur la République centrafricaine et le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme ont également recueilli de nombreux témoignages faisant état de pillages systématiques des biens de civils ou d’ONG humanitaires commis dès 2021 par des FACA et des instructeurs russes dans plusieurs localités où ils avaient été déployés ou avaient transité, notamment à Bambari, Bouar, Berbérati, Boyo et Bossangoa. Ces pillages concernaient des biens divers, tels que de l’argent, des téléphones, des motocyclettes, des stocks de nourriture ou des animaux d’élevage. Ils ont eu lieu lors de fouilles de domiciles, à des points de contrôle, ou après des meurtres de civils. Le pillage suit toujours le massacre. Ou le précède. Ou l’accompagne.
Dans un rapport relatif à des attaques commises par les FACA en décembre 2021 à Boyo et dans d’autres villages à proximité de Bambari, le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies a rapporté que des FACA et des mercenaires de Wagner avaient recruté plusieurs dizaines de combattants appartenant à des milices, telles que des Anti-Balaka et des éléments de l’UPC, ainsi que des civils, en leur offrant la possibilité d’intégrer les FACA et de conserver les biens pillés lors des attaques. Le pillage n’est pas un effet secondaire de la guerre: il est l’incitation principale au recrutement. On ne paie pas les miliciens. On leur donne le droit de voler.
Lors de l’attaque de Boyo, les assaillants ont également incendié 547 maisons, ciblant spécifiquement des habitations appartenant à des musulmans. Le pillage s’accompagne toujours de destruction. Il ne s’agit pas seulement de voler: il s’agit de tout prendre, puis de tout brûler. De ne rien laisser. De rendre impossible le retour des populations déplacées.
De nombreux témoins ont rapporté des actes de pillages commis de la même manière par les mercenaires de Wagner sur la population civile depuis 2021, y compris des pillages généralisés d’habitations et de bâtiments publics dans les préfectures de la Haute-Kotto, de Nana-Mambéré, de l’Ouham et de la Vakaga, respectivement à Bria, Baboua, Bongboto, Batangafo et Gordile, ainsi que des pillages de bétails et de champs agricoles dans la préfecture de l’Ouham, à Bossangoa et à Bongboto.
Lors de missions conjointes effectuées par les mercenaires de Wagner et des éléments de l’Office Central de Répression du Banditisme (OCRB) aux fins de procéder à des arrestations arbitraires à Bangui en 2022-2023, un témoin ayant participé à ces missions a confirmé que les mercenaires de Wagner effectuaient des pillages systématiques chez les personnes qui faisaient l’objet des missions. On arrête, on torture, et on vole. Le trio gagnant.
Tel que rapporté par des témoins, les FACA ne s’opposent pas aux mercenaires de Wagner lorsqu’ils pillent les marchandises de la population dans des habitations, sur des marchés ou dans des boutiques. Au contraire, lorsque les FACA et les FSI opèrent avec les mercenaires de Wagner, elles reçoivent pour ordre de leur part de piller des biens, tels que de l’or, des motos, du bétail, des articles ménagers et des appareils électroménagers. Le pillage est une instruction opérationnelle, pas un dérapage.
Des témoins ont également rapporté que les mercenaires de Wagner et les FACA effectuent des opérations conjointes visant à piller l’or des mineurs ou leur argent, sur des lieux de gisements d’or, tels que celui de Kouki, dans la région de Bossangoa. Une enquête conjointe menée par l’ONG The Sentry et CNN en 2021 révélait déjà que les mercenaires de Wagner étaient responsables de pillages systématiques, en particulier dans des zones riches en ressources minérales, telles que des mines d’or et de diamants.
Des témoins ont confirmé que les mercenaires de Wagner utilisent des drones pour faire du repérage sur les zones à piller, telles que des gisements miniers et des champs agricoles. Les mercenaires de Wagner envoient ensuite des mercenaires à motos et en hélicoptères pour piller les endroits repérés, notamment l’or et les diamants récoltés par les mineurs sur les gisements miniers. Des témoins ont confirmé que les biens pillés par les mercenaires de Wagner sur les chantiers miniers de Kouki et Ndassima sont revendus par eux respectivement à Bossangoa et à Bangui. Le pillage est une industrie. Une chaîne de valeur. De la mine au marché, en passant par l’hélicoptère.
Ce qui distingue Wagner des autres groupes armés opérant en RCA, c’est l’articulation entre pillage et contrôle territorial des sites miniers. Wagner ne pille pas au hasard. Wagner pille stratégiquement, en ciblant les zones riches en or et en diamants, en chassant ou en tuant les mineurs qui y travaillent, puis en s’appropriant les gisements pour les exploiter directement via des sociétés écrans. Le pillage est à la fois un objectif immédiat (voler ce qui a déjà été extrait) et un moyen pour atteindre l’objectif stratégique (contrôler les gisements).
Dès 2018, le Groupe Wagner a occupé des sites miniers stratégiques pour servir ses propres intérêts économiques avec l’approbation de Touadéra et de ses proches collaborateurs. Le contrôle des ressources minières a permis à l’engagement du Groupe Wagner en RCA de prendre une tournure plus publique, avec la conclusion de contrats octroyant le contrôle des mines d’or et de diamants aux sociétés liées au Groupe Wagner. Le Groupe Wagner a acquis un contrôle substantiel des gisements miniers et n’est soumis à aucune taxe sur l’exploitation des gisements.
Des sociétés minières affiliées au Groupe Wagner, telles que Lobaye Invest, Midas Resources et Diamville, ont obtenu des licences et autorisations d’exportation sur des gisements miniers en RCA. Ces sociétés minières étaient liées à des entités légales russes, à Evgueni Prigojine (le fondateur de Wagner, décédé en août 2023) ou à des ressortissants russes. En particulier, Dimitri Sytyi, l’un des trois dirigeants du Groupe Wagner en RCA, a été impliqué dans la structuration économique servant le Groupe Wagner et gère depuis lors les compagnies d’extraction minières qui appartiennent au Groupe Wagner, telles que Lobaye Invest dont il était devenu actionnaire dès le 10 août 2018.
Dès 2018, les Dirigeants du Groupe Wagner et Touadéra ont également entamé une collaboration avec l’UPC, dirigée par Ali Darassa et Hassan Bouba. Cette collaboration s’est matérialisée par la vente au Groupe Wagner de gisements miniers dans la région de Bambari. En particulier, en fin d’année 2019, des négociations ont abouti à la vente par l’UPC au Groupe Wagner du gisement minier de Ndassima, le principal gisement minier en RCA. Le gisement minier de Ndassima n’est depuis lors soumis à aucune surveillance administrative de la part des autorités centrafricaines. C’est un territoire russe en terre centrafricaine. Un État dans l’État. Un gisement où Wagner fait ce qu’il veut.
Les zones où le Groupe Wagner a concentré de nombreuses opérations militaires depuis décembre 2020 correspondent exactement aux sites miniers stratégiques gérés par lui. Entre décembre 2020 et août 2023, au moins 17 batailles pour des sites miniers ont eu lieu à travers le pays. Wagner était impliqué dans 70% de ces événements. Des affrontements autour de gisements miniers ont eu lieu dans les préfectures de l’Ouham, de la Ouaka, de la Haute-Kotto, de la Nana-Mambéré, de la Lobaye et de la Vakaga et ont entraîné de nombreuses violences de la part des mercenaires de Wagner visant des mineurs.
Les mineurs sont fréquemment la cible de violences lors d’affrontements entre les mercenaires de Wagner et d’autres groupes se disputant le contrôle des gisements miniers. Les mercenaires de Wagner utilisent également la terreur pour réprimer les populations vivant dans les zones minières et les forcer à partir. Un témoin a déclaré que la cartographie des lieux du territoire centrafricain où les mercenaires de Wagner sont majoritairement présents et ont commis des exactions peut être définie sur base de la localisation des gisements miniers en RCA. Là où il y a de l’or, il y a Wagner. Et là où il y a Wagner, il y a des massacres.
Depuis la mi-2021, des mercenaires de Wagner, des FACA et des “Wagner noirs” ont commis de nombreux meurtres contre les rebelles et la population locale afin de les chasser de la zone du gisement minier de Ndassima, occupée par le Groupe Wagner. Les “Wagner noirs” ont également assassiné de nombreux Peuhls travaillant sur les gisements d’or et de diamants afin de piller leurs récoltes. En mars 2023, les exploitants chinois du site minier de Chimbolo, dans la région de Bambari, ont été les victimes d’une attaque des mercenaires de Wagner, au cours de laquelle neuf ont perdu la vie. Chimbolo était exploité par des Chinois. Wagner voulait Chimbolo. Wagner a tué les Chinois. Wagner a pris Chimbolo.
Un témoin a rapporté le viol d’une tante par des mercenaires de Wagner lors d’une opération militaire menée contre le groupe armé 3R à Kaita, dans la préfecture de l’Ouham-Pendé, ainsi que le viol de civils lors d’attaques menées sur le gisement minier de Kouki, dans l’Ouham. Le viol est une arme. Le pillage est une arme. Le meurtre est une arme. Tout est bon pour chasser les populations des zones minières.
Les exactions commises en RCA ont provoqué l’indignation de la communauté internationale. L’ONG The Sentry a déclaré: “Touadéra et le Groupe Wagner ont mis en place une machine à tuer et à piller qui sert les intérêts de Touadéra aux fins de se maintenir au pouvoir et ceux du Groupe Wagner par le biais de l’exploitation des richesses minières du pays”. Selon elle, les civils sont chassés “comme des animaux” en RCA et le “modèle de pillage” mis en place a apporté la “mort et la dévastation” tout en sapant la paix et la sécurité globales tant en RCA que dans l’Afrique centrale dans son ensemble.
Le pillage n’est pas un crime mineur. Le pillage est un crime de guerre au sens de l’article 8 du Statut de Rome. L’article 8(2)(e)(v) du Statut criminalise expressément “le pillage d’une ville ou d’une localité, même prise d’assaut” dans le cadre d’un conflit armé non international. Les éléments constitutifs de ce crime sont: (i) l’auteur s’est approprié certains biens ; (ii) l’auteur avait l’intention de priver le propriétaire de ces biens et de se les approprier à des fins personnelles ou privées ; (iii) l’appropriation a été commise sans le consentement du propriétaire ; (iv) le comportement a eu lieu dans le contexte de et était associé à un conflit armé ne présentant pas un caractère international ; (v) l’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant l’existence d’un conflit armé.
Tous ces éléments sont réunis en RCA. Le pillage est systématique. Il est organisé. Il est commandé par les supérieurs hiérarchiques. Il se produit dans le cadre d’un conflit armé non international opposant les mercenaires de Wagner, les FACA, les FSI et les “Requins” à divers groupes armés non étatiques, notamment la CPC. Et les auteurs – Touadéra, son cercle restreint, les Dirigeants de Wagner, les commandants des FACA, les chefs des “Requins” – ont pleine connaissance de ces pillages.
Touadéra et les Dirigeants de Wagner n’ont mis en place aucune action punitive ou préventive vis-à-vis des pillages commis par leurs subordonnés. Au contraire, le pillage est encouragé comme mode de rémunération des combattants. Le pillage est organisé via des opérations de repérage par drone et de raid en hélicoptère. Le pillage est monétisé via la revente des biens volés sur les marchés de Bossangoa et Bangui. Le pillage des gisements miniers est institutionnalisé via l’octroi de licences d’exploitation à des sociétés écrans liées à Wagner.
En tant que supérieurs hiérarchiques au sens de l’article 28 du Statut de Rome, Touadéra, Hassan Bouba, Jules Wananga, les Dirigeants de Wagner (Zakharov, Sytyi, Perfilev), le Ministre de la Défense Claude Rameaux Bireau, le Chef d’État-Major des FACA Zéphirin Mamadou, et le Directeur Général de la Police Bienvenu Zokoué sont pénalement responsables des pillages commis par leurs subordonnés. Ils avaient connaissance de ces pillages. Ils avaient le pouvoir de les empêcher ou de les punir. Ils n’ont rien fait. Pire, ils les ont encouragés, organisés, monétisés.
Le pillage de la République centrafricaine par le régime Touadéra et le Groupe Wagner n’est pas une figure de style. C’est une réalité documentée par l’ONU, par les ONG internationales, et désormais par une communication officielle à la CPI appuyée sur trente témoignages. Depuis 2018, Wagner a pris le contrôle des principaux gisements miniers du pays: Ndassima, Kouki, Chimbolo, Lobaye. Wagner exploite ces gisements via des sociétés écrans: Lobaye Invest, Midas Resources, Diamville. Wagner ne paie aucune taxe à l’État centrafricain. Wagner exporte l’or et les diamants vers la Russie sans aucune surveillance. Wagner utilise les profits pour financer ses opérations militaires en RCA, au Mali, au Burkina Faso, au Soudan, et pour soutenir l’effort de guerre russe en Ukraine.
Touadéra, en échange, paye 10 milliards de francs CFA par mois (environ 15 millions d’euros par an) pour fermer les yeux et garantir l’impunité totale de Wagner. Touadéra permet à Wagner de piller, tuer, violer sans aucune conséquence. Touadéra ordonne aux FACA, à la police, à la gendarmerie, à la Garde Présidentielle de collaborer avec Wagner dans ces opérations de pillage et de terreur.
Le peuple centrafricain, lui, ne voit rien des richesses de son sous-sol. Les mineurs artisanaux sont chassés, dépouillés, assassinés. Les paysans voient leurs récoltes et leur bétail volés. Les commerçants voient leurs marchandises pillées. Les civils voient leurs maisons brûlées après avoir été vidées de tout ce qu’elles contenaient. Les ONG humanitaires voient leurs stocks de nourriture et de médicaments volés aux points de contrôle.
La République centrafricaine est l’un des pays les plus pauvres du monde. Mais son sous-sol regorge d’or et de diamants. Ces richesses devraient profiter au peuple centrafricain. Elles profitent à Touadéra, à son cercle restreint, et surtout au Groupe Wagner.
Dans sa Résolution 2759 du 14 novembre 2024, le Conseil de sécurité des Nations Unies s’est dit “profondément préoccupé par la situation humanitaire et sécuritaire en RCA” et a réaffirmé l’importance de traduire en justice de toute urgence tous les responsables de violations du droit international humanitaire, sachant que certains de ces actes peuvent être constitutifs des crimes listés dans le Statut de la CPI.
Le pillage fait partie de ces crimes. Le pillage de Seko. Le pillage d’Alindao. Le pillage de Boyo (547 maisons incendiées après pillage). Le pillage de Bongboto. Le pillage de Gordile. Le pillage de Ndassima. Le pillage de Kouki. Le pillage de Chimbolo. Le pillage systématique à Bangui lors des missions conjointes Wagner-OCRB. Le pillage de l’aide humanitaire. Le pillage des marchés. Le pillage des champs. Le pillage du bétail. Le pillage de tout.
Source: Corbeau News Centrafrique
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