attention, turbulences !

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Centrafrique : attention, turbulences !
Centrafrique : attention, turbulences !

Africa-PressCentrAfricaine. Difficile ces derniers jours de décrire qui fait quoi en Centrafrique. À moins d’une semaine des élections présidentielle et législatives du 27 décembre, le pays est en train de renouer avec ses vieux démons. Au programme : bruits de bottes, intervention extérieure, menaces entre acteurs politiques. En tout cas ce lundi 21 décembre, le pays a annoncé que le Rwanda et la Russie ont envoyé des soldats sur place après un week-end d’escalade des tensions. Le gouvernement évoque une offensive de groupes rebelles qualifiée de « tentative de coup d’État ». Y a-t-il un risque réel sur la tenue des scrutins ? Comment réagit la communauté internationale, alors que la Russie s’est définitivement imposée dans le paysage des partenaires de la Centrafrique, ancienne colonie française.

Selon le gouvernement, à une centaine de kilomètres de la capitale centrafricaine, sur plusieurs axes menant à cette ville d’un million d’habitants, une coalition de groupes armés mène une offensive contre les forces nationales et les Casques bleus de la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca), chargés de sécuriser les élections présidentielle et législatives dont le premier tour est prévu dimanche. Concrètement, il y a des raisons de s’alarmer puisque, d’après le gouvernement, trois des plus puissants des groupes armés qui occupent plus des deux tiers du pays ont attaqué vendredi des axes routiers vitaux pour l’approvisionnement de la capitale Bangui et ont annoncé leur alliance.

Pour le gouvernement, il ne fait aucun doute que la menace s’appelle François Bozizé, l’ex-chef de l’État. Et il est accusé de tentative de coup d’État avec une « intention manifeste de marcher avec ses hommes sur la ville de Bangui ». Des accusations aussitôt démenties par le parti de l’ancien président Bozizé.

C’est dans ce contexte d’escalade des tensions et pour soutenir le gouvernement que « la Russie a envoyé plusieurs centaines d’hommes des forces régulières, et des équipements lourds » dans le cadre d’un accord de coopération bilatérale. La nouvelle, qui n’était jusque-là qu’une rumeur, a été confirmée à l’AFP par Ange Maxime Kazagui, porte-parole du gouvernement centrafricain, sans préciser leur nombre exact ni la date de leur arrivée. « Les informations en provenance de ce pays suscitent une sérieuse inquiétude », a pour sa part déclaré le même jour à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, sans toutefois confirmer l’arrivée de renforts russes. « Pour l’heure, nous gardons silence sur ce sujet », a confié à l’AFP une porte-parole du ministère de la Défense russe.

En Centrafrique, des gardes privés employés par des sociétés russes de sécurité assurent déjà la protection rapprochée du président Touadera, et des instructeurs forment les forces armées centrafricaines. « Les Rwandais ont également envoyé plusieurs centaines d’hommes qui sont déjà sur le terrain et ont déjà commencé à combattre », a ajouté le porte-parole du gouvernement centrafricain, confirmant une information de Kigali. « Le déploiement est en réponse au ciblage du contingent des Forces de défense du Rwanda (RDF) sous la force de maintien de la paix de l’ONU par les rebelles soutenus par (l’ancien président) François Bozizé », a souligné dans la nuit le ministère rwandais de la Défense dans un communiqué.

Si le parti de François Bozizé a démenti toute tentative de coup d’État, le porte-parole de la Mission des Nations unies en Centrafrique, Vladimir Monteiro, déclarait lui de son côté que les rebelles avaient été bloqués ou repoussés dans plusieurs localités.

La France, la Russie, les États-Unis, l’Union européenne et la Banque mondiale ont aussi appelé dimanche François Bozizé et les groupes armés à déposer les armes. À Bangui, la vie se poursuit de manière ordinaire. Le marché de Noël résonne de chants et les taxi-motos arpentent les rues comme à l’accoutumée.

Mais la menace est difficile à ignorer pour les habitants. « Je suis inquiète pour notre pays, à cause des rebelles qui viennent, on a peur pour nos enfants », a confié d’une voix lasse à l’Agence France-Presse Geneviève, employée dans un commerce. Comme les autres habitants, elle n’a pas oublié les horreurs de 2013, après qu’une coalition de groupes armés à dominante musulmane, la Séléka, a renversé le président François Bozizé. Et plongé le pays dans un tourbillon sanglant d’affrontements communautaires, avec la contre-insurrection de milices anti-balaka essentiellement chrétiennes et animistes.

Les violences à Bangui et dans les provinces entre Séléka et anti-balaka avaient fait des milliers de morts. « Parler encore de la Séléka réveille de mauvais souvenirs. Cette nouvelle situation nous énerve, car nous voulons vaquer à nos activités librement. Courir à chaque fois, ce n’est pas bon », s’agace John, un jeune conducteur de taxi-moto.

Aujourd’hui se pose la question de la tenue du scrutin. Et la figure de François Bozizé, revenu d’exil en 2019, est encore au centre des débats puisqu’il est accusé par le gouvernement et l’ONU d’avoir repris le chemin de la rébellion depuis que sa candidature à la présidentielle a été invalidée par la Cour constitutionnelle.

L’homme dénonce, à l’unisson de l’opposition dont les plus importants partis et mouvements l’ont rejoint, des fraudes massives du camp du président sortant Faustin-Archange Touadéra pour assurer sa réélection dès le premier tour le 27 décembre. Cette coalition continue d’exiger le report des élections. « Tous demandent ensemble que le processus soit stoppé et qu’on aille vers une concertation, c’est une vieille rengaine. Le gouvernement avait proposé qu’ils tiennent compte des cas de force majeure, et ils ont refusé », a déclaré le porte-parole du gouvernement. « Il n’appartient pas à des candidats en lice de demander la suspension des élections, c’est la Cour constitutionnelle et l’Agence nationale des élections (ANE) qui décident », a-t-il souligné. « La position du gouvernement est que nous allons aux élections. Nous avons déployé énormément d’efforts pour ces élections. Les Centrafricains veulent aller voter », a-t-il conclu. « Nos hommes politiques s’entendent bien entre eux, mais ils nous poussent à nous diviser, à nous entre-tuer », s’emporte Hubert Wanto, financier sans emploi en route vers la messe du dimanche.

Du côté des partisans du pouvoir, toutefois, la confiance est de mise. Samedi, ils étaient environ 4 000 à s’être massés dans le plus grand stade de Bangui de 20 000 places pour venir soutenir leur président menacé, selon lui, par un coup d’État. Concert de vuvuzelas, danse traditionnelle, ambiance de fête… « Je ne suis pas inquiet, nos militaires ont déjà infligé une lourde défaite aux rebelles », assure Vianney, un entrepreneur arborant comme le reste de la foule le tee-shirt bleu et blanc aux couleurs du parti présidentiel, Mouvement Cœurs Unis (MCU). « Ce ne sont pas des rebelles, ce sont des bandits », le corrige un homme qui exhibe sa carte d’électeur tout juste délivrée. Tout le monde veut croire au maintien des élections dans une semaine.

Face à la foule, Faustin-Archange Touadéra est apparu comme toujours suivi de près par ses gardes du corps, les gardes privés russes en premier cercle et les Casques bleus rwandais autour. Il n’a évoqué qu’à demi-mot la rébellion que son gouvernement dénonce et haranguait la foule en lançant : « 27 décembre ! »

À Bangui, la Minusca concentre facilement les critiques. Dimanche, des jeunes distribuaient des tracts appelant à manifester devant son siège pour réclamer une réponse plus ferme face aux rebelles. Ici, pas question d’évoquer la débandade de certaines forces armées, démunies et peu entraînées encore, et qui ont déserté en plusieurs points, selon des sources sécuritaires et onusiennes.

Samedi, le stade était surveillé par des soldats de la garde présidentielle. Mieux équipés et mieux formés, ces fidèles du président vêtus de treillis russes incarnent les espoirs du régime et de ses partisans. Vianney en est sûr : « Cette fois, l’histoire ne se répètera pas. »

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