« Il est dans l’intérêt de tous les partenaires de la Centrafrique de réduire les tensions politiques »

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« Il est dans l’intérêt de tous les partenaires de la Centrafrique de réduire les tensions politiques »
« Il est dans l’intérêt de tous les partenaires de la Centrafrique de réduire les tensions politiques »

Africa-PressCentrAfricaine. Tribune.

Le 6 février 2019, la signature d’un accord de paix entre le gouvernement centrafricain et quatorze groupes armés nourrissait l’espoir d’une stabilisation de la Centrafrique, un des Etats les plus fragiles du continent africain. Mais vingt-deux mois plus tard, à la veille d’élections générales prévues le 27 décembre, le pays continue d’être le théâtre de violences perpétrées par des groupes armés contre des civils, auxquelles se superpose désormais une forte polarisation de la scène politique susceptible de déraper en crise électorale.

La Centrafrique ne peut se permettre le luxe d’une telle crise, dont pourraient tirer profit les groupes armés, et aura à cet égard besoin du soutien de ses partenaires internationaux les plus influents. Parmi ceux-ci, les pays voisins ou l’Union africaine (UA), mais aussi la France, ancienne puissance coloniale, et la Russie, dont l’engagement en Centrafrique a augmenté ces dernières années ; deux pays qui devront mettre de côté leurs différends sur le dossier centrafricain pour éviter au pays une déstabilisation encore plus prononcée.

A deux semaines des élections, l’insécurité demeure prégnante sur la majeure partie du territoire, les actes de violences des groupes armés et de prédation contre les civils sont quasi quotidiens, alors que la petite criminalité augmente même dans la capitale, Bangui. Certes, la plupart des groupes armés ne semblent pas délibérément cibler le scrutin, mais dans le nord-ouest, le sud-est et le centre du pays, ils ont perturbé les opérations d’enregistrement des électeurs en bloquant l’accès aux membres de l’organe chargé des élections, l’Autorité nationale des élections (ANE), ou en enlevant ses responsables. Ils ont également entravé l’avant-campagne électorale de certains candidats et proféré des menaces contre d’autres. La capacité de nuisance des groupes armés, combinée à la très faible présence de l’Etat dans certaines régions, crée par ailleurs un contexte peu favorable à la tenue de la campagne électorale et pourrait faire baisser le taux de participation.

Parallèlement, la tension entre le pouvoir et l’opposition s’intensifie. En septembre, une modification du code électoral ayant étendu d’un mois le délai de publication des listes électorales, sans pour autant reporter le scrutin – comme l’espérait l’opposition –, a mis le feu aux poudres.

Les esprits se sont encore plus échauffés mi-novembre. La garde présidentielle du chef de l’Etat sortant, Faustin-Archange Touadéra, et les militaires centrafricains protégeant l’ex-président et candidat François Bozizé sont passés à deux doigts d’un affrontement après une altercation lors des obsèques de l’épouse de Jean Serge Bokassa, fils de l’ancien président Bokassa, à Bangui. Le face-à-face a été suivi de déclarations martiales de la part de Bozizé ainsi que du porte-parole de la présidence, Albert Yaloké Mokpeme.

Puis, début décembre, la Cour constitutionnelle a invalidé la candidature de Bozizé, évoquant les sanctions des Nations unies et le mandat d’arrêt du gouvernement centrafricain contre l’ancien président. Au vu des sympathies que conserve Bozizé au sein du mouvement armé anti-balaka, de l’armée et de sa communauté d’origine, les Gbaya, beaucoup redoutent que ses partisans n’aient recours à la violence avant ou pendant les élections. En face, le gouvernement semble opter pour l’intransigeance. Au lendemain de la décision de la cour, des éléments de la garde présidentielle ont en effet perquisitionné la résidence du fils de Bozizé à Bangui, saccageant ses biens.

Au vu de ces circonstances, la nécessité d’un scrutin crédible et apaisé est d’autant plus importante. Une intensification des tensions pourrait engendrer une crise électorale qui serait à coup sûr exploitée par les groupes armés et fragiliserait davantage l’Etat. Fort heureusement, même dans ce contexte, certaines institutions sortent du lot. Contrairement à l’ANE, que l’opposition considère comme favorable à Touadéra, la Cour constitutionnelle a le mérite d’afficher une certaine neutralité et de faire une quasi-unanimité au sein de la classe politique. Cette année, elle a rendu plusieurs décisions allant à l’encontre tantôt de la position gouvernementale, tantôt de celle de l’opposition.

Depuis plusieurs années, les acteurs internationaux – africains ou autres – présents dans le pays jouent par ailleurs un rôle diplomatique et de soutien logistique accru, qui sera d’autant plus important lors de ces élections. Le soutien de l’UA et de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEAAC) s’est notamment traduit par l’envoi de missions de maintien de la paix et de stabilisation, de 2003 à 2013, et par l’initiative de plusieurs accords de paix, dont celui de 2019.

En dehors de l’Afrique, Paris et Moscou sont sans conteste les plus influents en Centrafrique. La France y est présente de multiples manières, notamment dans l’aide au développement, l’assistance humanitaire et la réforme du secteur de la sécurité. La Russie, quant à elle, est surtout présente dans les domaines de la coopération sécuritaire, l’exploitation minière et dans une moindre mesure forestière. Elle a aussi joué un rôle prépondérant pour convaincre les groupes armés de signer l’accord de paix de 2019.

Mais l’attachement commun de ces acteurs extérieurs à la stabilité de la Centrafrique ne signifie pas pour autant que leurs violons sont accordés. Moscou a développé des liens étroits avec Touadéra et soutient sa réélection, tandis que Paris ne semble pas soutenir publiquement de candidat, les intérêts français en Centrafrique dépendant moins d’une relation fusionnelle avec le chef de l’Etat. Un soutien russe inconditionnel à Touadéra, s’il venait à perdre l’élection, pourrait le pousser à refuser de laisser le pouvoir et d’accepter une médiation.

Malgré la divergence de leurs intérêts en Centrafrique, les partenaires internationaux ont prouvé par le passé qu’ils pouvaient laisser leurs différends de côté lorsque les circonstances l’exigent. Les Nations unies, la France et la Russie, inquiétées par le haut niveau de violence à travers le pays en 2018, ont par exemple soutenu la médiation de l’UA et de la CEEAC ayant abouti à la signature de l’accord de 2019. Et en octobre, lors de discussions sur le renouvellement de l’embargo du Conseil de sécurité sur les armes en Centrafrique, la France, qui était opposée à la levée de l’embargo, et la Russie, qui souhaitait sa levée totale – du moins publiquement –, ont trouvé un modus vivendi : la levée partielle de l’embargo.

Il est dans l’intérêt de tous les partenaires internationaux de réduire les tensions politiques avant les élections et d’éviter une contestation violente par la suite. Les acteurs africains, l’Europe, la France et la Russie doivent renforcer leur diplomatie préventive, veiller à la bonne préparation des élections et être prêts à soutenir une médiation africaine entre le gouvernement et l’opposition. Il est à cet égard essentiel qu’ils fassent pression sur les différents candidats pour qu’ils s’engagent à respecter toute décision sur les élections émanant de la Cour constitutionnelle.

Après des décennies de violences et d’instabilité, les élections de décembre constituent un moment important pour l’avenir de la Centrafrique. Le scrutin ne pourra pas à lui seul résoudre tous les problèmes du pays, mais il offre la possibilité d’y ancrer la stabilité et la transparence, une étape indispensable en vue de restaurer, à terme, l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire et ainsi faire reculer les groupes armés.

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