Marwane Ben Yahmed
Africa-Press – CentrAfricaine. Croire que seul un homme fort peut asseoir la souveraineté d’un pays relève d’un calcul à courte vue. Pour assurer l’indépendance et le développement des États, la démocratie reste le seul moyen pérenne et efficace, estime Marwane Ben Yahmed, directeur de publication de Jeune Afrique.
Souveraineté… Voilà le grand sujet du moment, le mantra que l’on agite, de Tunis au Cap. L’Afrique, et en particulier sa jeunesse de plus en plus « connectée », aspire à prendre sa destinée en main. Autrement dit, plus de six décennies après les indépendances, à s’émanciper véritablement et à devenir autonome dans tous les domaines: sécurité, politique (y compris monétaire), économie, technologie, culture… Ne plus être dominée par des acteurs extérieurs, en particulier par l’Occident et par les anciennes puissances coloniales, jugés plus perfides que les Russes, les Chinois ou les Turcs. Fini les règles imposées, les diktats, les carcans, les contrats léonins, l’exploitation inique des ressources. L’Afrique aux Africains, donc. Enfin.
C’est une lame de fond inexorable, une ère nouvelle qui s’ouvre dans un monde multipolaire au sein duquel le continent veut prendre toute sa place et choisir ses partenaires, pour son seul bénéfice. Mais la souveraineté ne se décrète pas. Elle se construit et, surtout, se conquiert. Aujourd’hui, ses plus ardents promoteurs sont des putschistes. Burkina Faso, Mali, Niger, Guinée, Gabon… Ce n’est sans doute pas une coïncidence si les plus fervents néo-souverainistes, ou prétendus tels, viennent de l’ancien pré-carré français.
Les mânes de Sékou Touré et de Sankara
La démocratie, soi-disant imposée par « les Blancs », y est présentée comme la source du mal puisqu’elle n’a en rien amélioré le sort des populations, confrontées aux mêmes difficultés depuis des lustres (insécurité, chômage, flambée des prix, carence des systèmes éducatifs et sanitaires, insuffisant accès à l’eau et à l’électricité) pendant que les élites s’enrichissent, se soignent à l’étranger ou envoient leur progéniture étudier sous d’autres cieux.
La souveraineté, clé d’un véritable développement partagé par tous, ne s’obtiendrait donc que sous la férule d’un homme fort, patriote et panafricain, sans libertés ni débat contradictoire, sans vie politique pluraliste, sans élections ? La méthode peut porter ses fruits – du moins en matière de souveraineté –, mais à quel prix ? D’autant que rien ne garantit que l’essentiel – la défense de l’intérêt général – sera au bout du chemin.
Il ne suffit pas de bouter les militaires français ou américains hors de ses frontières ou de convoquer les mânes d’un passé idéalisé, de Sékou Touré à Thomas Sankara, pour améliorer le sort de ses concitoyens. N’est pas Paul Kagame qui veut. Le président rwandais est certes loin d’être un parangon de démocratie, mais nul ne peut contester qu’il a permis à son pays de se développer.
Notre souveraineté serait donc incompatible avec la démocratie ? Quelle ineptie ! La démocratie n’est pas responsable de notre soumission aux puissances extérieures, de nos élections truquées, du manque d’indépendance de notre justice, de l’absence de séparation des pouvoirs, de la politisation de nos administrations, du népotisme, de la corruption, de la cupidité et de l’enrichissement illicite de nos classes dirigeantes (pouvoir et opposition confondus), de l’absence d’État de droit ou, pis, de l’absence d’États forts, efficaces, tournés vers le bien-être de leurs citoyens.
Ce n’est pas le système qui est en cause, c’est l’application que nous en faisons. Si cela fonctionne mal sur le continent, c’est parce que les principes directeurs de la démocratie, en vigueur sous bien des latitudes, y compris dans des pays du Sud comme les nôtres, sont constamment foulés aux pieds.
Il suffit de regarder partout ailleurs dans le monde: à quelques exceptions près, nul militaire aux commandes, et, pour les plus méritants, un soin tout particulier porté à l’éducation, à la formation, à la culture, à l’ouverture d’esprit, à l’innovation, à la science. Les Japonais, les Indiens, les Coréens, les Israéliens, les Brésiliens et, plus près de nous, les Sud-Africains ne sont-ils pas souverains ? Faut-il vivre en dictature pour être indépendant et maître de son destin ? Heureusement, certains prouvent le contraire.
Bénin et Sénégal, deux exemples à suivre ?
Deux exemples en Afrique francophone, parmi les plus récents. D’abord, le Bénin. Jadis opposant, Patrice Talon a été élu démocratiquement et a réformé en profondeur son pays. Certes, il a « vitrifié » la classe politique locale, mais la majorité des Béninois lui en sait gré. Surtout, il obtient des résultats, défend l’indépendance et les intérêts du Bénin. Personne ne peut dire qu’il est le valet de qui que ce soit.
Ensuite, le Sénégal. Quelle leçon infligée à tous les chantres de l’autoritarisme et des « sauveurs » en treillis ! Là-bas, impossible de faire mentir les urnes. Là-bas, les institutions, Conseil constitutionnel en tête, jouent leur rôle et ont le dernier mot, fût-ce en contrariant le Palais. Les militaires restent dans leurs casernes et ne se préoccupent que de sécurité. Être président ne signifie pas que l’on a forcément raison et que l’on n’a de comptes à rendre à personne.
Enfin, au pays de la Teranga, l’on peut décider d’affronter la toute-puissance de l’État et finir par l’emporter à l’issue d’un scrutin. Le nouveau président, Bassirou Diomaye Faye, et son Premier ministre, Ousmane Sonko, défendent depuis de longues années des idéaux souverainistes, panafricanistes et patriotiques au péril de leur liberté. Ils ont même été élus en grande partie grâce à cela. Eux sont légitimes, ce qui change tout. Ils ont des comptes à rendre à leurs concitoyens. Et ils ont mille fois plus de chances que les Tiani, Traoré ou autres Goïta de réussir dans leur entreprise. Surtout, s’ils devaient échouer, ils assumeraient leurs responsabilités devant les Sénégalais, qui n’hésiteraient pas à leur montrer électoralement la sortie.
Faire le choix d’un homme fort, d’un dictateur éclairé peut paraître séduisant en ces temps troublés. Mais la perspective de tomber sur un Dadis Camara, un Yahya Jammeh ou un Idi Amin Dada plutôt que sur un Jerry Rawlings ou un Thomas Sankara – on a du mal à citer d’autres dirigeants de cette envergure – est tout de même effrayante.
Ceux qui applaudissent à tout rompre l’accession au pouvoir de lieutenants-colonels dont le seul fait d’armes a été de trahir leur serment de neutralité seraient bien inspirés de relire quelques livres d’histoire contemporaine. L’Afrique a besoin d’idées novatrices, de solutions adaptées au monde de demain, de leadership, de vision à long terme, de débats constructifs, pas de solutions paresseuses ou guidées par un nationalisme agressif et aveugle qui dénonce l’existence de carcans ou de bourreaux supposés pour justifier nos échecs.
Notre souveraineté est entre nos mains. Sa conquête requiert autre chose que les slogans creux ou les promesses sans lendemain dont les populistes font leur miel, hélas pour le moment avec succès. Notamment du labeur, du sang, des larmes. De l’intelligence politique. Et la démocratie…
Source: JeuneAfrique
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