Quand le Pentagone reconnait avoir échoué dans sa lutte contre le terrorisme en Afrique

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Quand le Pentagone reconnait avoir échoué dans sa lutte contre le terrorisme en Afrique
Quand le Pentagone reconnait avoir échoué dans sa lutte contre le terrorisme en Afrique

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – CentrAfricaine. Pendant des décennies, la guerre déclarée par les Etats-Unis contre les groupes armés en Afrique, est restée largement secrète. Puis, subitement, est arrivée une décision qui a plongé la Libye et la vaste région du Sahel dans une spirale dont ils ne se sont jamais remis.

« Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort », a plaisanté la secrétaire d’État Hillary Clinton après qu’une campagne aérienne de l’OTAN menée par les États-Unis ait contribué, en 2011, à renverser le colonel Mouammar Kadhafi, qu’ils considéraient comme « dictateur libyen de longue date ». Le président Barack Obama avait qualifié l’intervention de succès, mais la Libye glissa vers le statut d’État quasiment en faillite. Obama admettra plus tard que « ne pas avoir planifié le lendemain » de la défaite de Kadhafi, était la « pire erreur » de sa présidence.

Dans ce contexte, nous sommes tombés sur un long article publié sur le site Internet « Counter Punch » qui est revenu plus ou moins profondément sur la guerre menée par les États-Unis contre les groupes armés en Afrique, et qui s’appuie sur des chiffres américains pour mettre l’accent sur l’échec des américains dans cette mission et comment le « terrorisme » s’est développé ces dernières années après le début de cette guerre.

Un conflit qui restera dans l’infamie

La guerre mondiale contre le terrorisme menée par les États-Unis a connu son lot d’impasses, de catastrophes et de défaites pures et simples, et au cours de plus de 20 ans d’interventions militarisées, les États-Unis ont vu leurs efforts imploser de façon spectaculaire, sachant que le plus grand échec de leurs « guerres éternelles » contre ce fléau n’était probablement pas au Moyen-Orient, mais plutôt en Afrique.

Toutefois, le président américain Joe Biden semble avoir donné corps à sa promesse en ouvrant le porte-monnaie US : « Les États-Unis ont engagé des ressources supplémentaires au Sahel, pour soutenir les efforts de lutte contre le terrorisme ».

Mais, finalement, les efforts américains de vouloir éradiquer le terrorisme en Afrique ont été toutes vaines, car ce fléau n’a fait que s’encrer davantage.

Il importe de rappeler, dans cette mêlée, que s’adressant au peuple américain au lendemain des célèbres attentats du 11 septembre 2001, le président américain George W. Bush avait déclaré à l’époque : « La guerre contre le terrorisme a commencé avec Al-Qaïda, mais elle ne s’arrêtera pas là tant que tous les groupes terroristes d’envergure mondiale n’auront pas été démasqués, arrêtés et vaincus » notant, en particulier, que ces groupes armés envisagent de s’étendre dans de vastes régions d’Afrique.

Bush avait souligné également que « la seule façon de vaincre le terrorisme est de l’éliminer et de le détruire là où il se développe ». Cependant, il s’est développé et étendu, et un grand nombre de nouveaux groupes armés ont émergé, en particulier sur le continent brun.

Ceci dit, les États-Unis ont donc décidé de renforcer ce front, en entamant un effort de plusieurs décennies pour :
• fournir une aide abondante en matière de sécurité,
• former des milliers d’officiers militaires africains,
• établir des dizaines d’avant-postes,
• envoyer leurs propres commandos dans toutes sortes de missions,
• créer des forces par procuration,
• lancer des frappes de drones,
• et même engager des combats terrestres directs avec des groupes armés sur le continent africain.

Néanmoins, la plupart des Américains, y compris les membres du Congrès, ignoraient l’ampleur de ces opérations. En conséquence, peu de gens réalisent à quel point la « guerre fantôme » menée par Washington a échoué.

En d’autres termes, depuis que les États-Unis ont intensifié leurs opérations antiterroristes en Afrique, le terrorisme s’est développé vertigineusement.

D’après le site « Counter Punch », les chiffres bruts témoignent à eux seuls de l’ampleur du désastre. Alors que les États-Unis commençaient leurs guerres éternelles en 2002 et 2003, le Département d’État ne dénombrait au total que neuf attaques terroristes en Afrique. Cette année, par contre, les groupes armés extrémistes sur ce continent ont déjà mené, selon le Pentagone, 6756 attaques.

Il va sans dire qu’en Afrique, les États-Unis avaient lancé une campagne, au début des années 2000, soutenant et entraînant de facto les troupes africaines depuis le Mali à l’Ouest jusqu’en Somalie à l’Est tout en créant des forces par procuration qui combattraient aux côtés des commandos américains.


Pour mener à bien ses missions, l’armée américaine avait mis en place un réseau d’avant-postes à travers la partie nord du continent, y compris d’importantes bases de drones, depuis le « Camp Lemonnier » et son avant-poste satellite « Chabelley Airfield » dans la nation baignée de soleil de Djibouti jusqu’à la base aérienne d’Agadez au Niger, en plus de la multiplication des installations et des petites unités, des forces d’opérations spéciales en Libye, au Soudan du Sud et même au milieu du continent.

Les armées entraînées par les États-Unis dans la région n’ont pas pu arrêter les attaques des groupes terroristes contre les habitants, et depuis, les pays de la région du Sahel en Afrique de l’Ouest sont en proie à des groupes terroristes qui ont évolué, se sont divisés et se sont reconstitués à plusieurs reprises. Quoi qu’il en soit, ces groupes ont régulièrement pratiqué la violence, tué des civils et volé leur argent et leurs biens, ce qui a conduit à la déstabilisation de la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest et du sud de l’Afrique côtière, le long du golfe de Guinée.

Sous les bannières noires du militantisme djihadiste, des hommes à moto, deux par motocyclette, portant des lunettes de soleil et des turbans et armés de kalachnikovs, se précipitent régulièrement dans les villages pour imposer la zakat (impôt islamique), voler du bétail, et terroriser, agresser et tuer des civils.

D’autres groupes terroristes se sont répandus dans toute l’Afrique et ailleurs, et malgré les assurances données par tous les présidents américains au cours des deux dernières décennies quant à leur confiance dans la victoire sur le terrorisme, l’incapacité à s’allier aux plans américains s’est poursuivie dans un pays après l’autre, et sur le continent africain un peu plus qu’ailleurs. L’État vacille sérieusement et profondément, et le prix de son échec est payé par les Africains, des gens ordinaires qui ont été tués, blessés et déplacés par les groupes terroristes que les Etats-Unis s’étaient engagés à vaincre.

Il importe de noter, entre-autres que le général du Corps des Marines américain Michael Langley, commandant du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM), a rendu ce qui pourrait être le verdict final sur les guerres éternelles de l’Amérique sur ce continent, déclarant dans ce contexte que « l’Afrique est désormais le centre du terrorisme international ».

L’un de ses prédécesseurs à ce poste, le général William Ward, nommé en juillet 2007 à la tête du Commandement Afrique (AFRICOM) et qui est l’Africain-Américain le plus haut gradé de l’US Army, avait déclaré : « Soutenir le développement d’armées professionnelles et compétentes contribue à accroître la sécurité et la stabilité en Afrique ». Mais, ses prédictions d’une « sécurité et d’une stabilité accrues » ne se sont évidemment jamais réalisées.

Par ailleurs, au cours des campagnes antiterroristes, le personnel militaire encadré par les États-Unis dans cette région n’a connu qu’un seul type de « succès » démontrable : renverser des gouvernements.

Au moins 15 officiers ayant bénéficié d’une telle assistance auprès des américains ont été impliqués dans 12 coups d’État en Afrique de l’Ouest et dans le Grand Sahel pendant la guerre contre le terrorisme. La liste comprend des officiers du :
• Burkina Faso (2014, 2015 et deux fois en 2022),
• Tchad (2021),
• Gambie (2014),
• Guinée (2021),
• Mali (2012, 2020 et 2021),
• Mauritanie (2008),
• et Niger (2023).

Au moins cinq dirigeants du coup d’État de juillet au Niger, par exemple, ont reçu l’aide américaine, selon un responsable américain. À leur tour, ils ont nommé cinq membres des forces de sécurité nigériennes formés par les États-Unis pour servir de gouverneurs du pays.

Coup d’œil sur le « Coût élevé » de cette guerre pour le trésor américain

Un rapport de l’Université Brown prédit que le coût de la « guerre contre le terrorisme » commencée il y a vingt ans atteindrait 6700 milliards de dollars d’ici 2023, si l’administration américaine arrêtait toutes ses opérations militaires avant cette date, sachant que le nombre de soldats américains tués est estimé à plus de 7000 individus.

A ce propos, le chercheur et expert des groupes extrémistes, Hassan Abu Haniyeh, a déclaré ceci : « Environ 5500 milliards de dollars américains ont été dépensés pour la guerre contre le terrorisme, ou si nous adoptons le chiffre exagéré de l’ancien président américain Donald Trump, qui disait que cela s’élevait à 7000 milliards, outre les pertes humaines, comme l’indiquent les estimations concernant la mort de 7700 soldats américains à travers le monde sur les principaux fronts de cette guerre, cela signifie certainement que les États-Unis ont payé un lourd tribut ».

Le chercheur conclut que malgré ce coût élevé, la guerre contre le terrorisme n’a pas apporté grand-chose, ni aux américains, ni au monde.

Pour sa part, le Dr Al-Sharqawi, Professeur de conflits internationaux à l’Université George Mason de Washington et ancien membre du Comité d’experts des Nations Unies, attribue l’hésitation de la lutte contre le terrorisme en partie à la « nature mutée des guerres » au cours du nouveau siècle, des guerres qui, selon lui, « ne sont plus traditionnelles entre pays et armées régulières, comme l’étaient les guerres de la Seconde Guerre mondiale, mais sont plutôt devenues des guerres indirectes et inégales, entre armées, appartenant à des gouvernements dotés de technologies avancées et à des mouvements radicaux dotés d’un équipement manuel limité qui, dans la plupart des cas, n’est rien de plus que des fusils, des ceintures explosives, ou encore des drones.

Il estime qu’il existe un paradoxe qu’il appelle « causalité graduelle » et il explique : « Comme le disait Isaac Newton : pour chaque action il y a une réaction dans l’autre sens, c’est-à-dire que chacun des pays comme les États-Unis, et des mouvements extrémistes tels que Daech, le Front Al-Nosra et Al-Qaïda, disposent d’un ensemble de justifications prêtes à favoriser la poursuite de la violence et de l’agression. » La contre-attaque, la menace d’un côté et la vengeance de l’autre côté, en bref : ce sont des récits de menaces à la sécurité nationale américaine, en échange du retrait des forces étrangères.

Succès tactiques et échecs stratégiques

Les experts estiment que les États-Unis ont obtenu un certain succès tactique dans leur guerre contre le terrorisme : ils ont tué certains dirigeants, arrêté d’autres et expulsé Daech de leurs zones de contrôle, mais ils n’ont pas réussi à éliminer aucune des organisations extrémistes.

Abu Haniyeh déclare : « Les États-Unis n’ont pas obtenu de succès stratégique, car il n’y a pas de durabilité. La stratégie s’est plutôt concentrée sur les aspects militaires et sécuritaires. Ils ont négligé les aspects liés à la gouvernance, à la politique et à la tyrannie, ou plutôt, ils ont négligé « les causes profondes du terrorisme ».

De son côté, le Dr Al-Sharqawi, partage cet avis, soulignant que la lutte contre le terrorisme nécessite des points de départ transdisciplinaires et multi-angles pour comprendre la conviction qui pousse une personne suicidaire à porter une ceinture explosive et à se faire exploser parmi la foule.

En d’autres termes, les gouvernements et les organisations internationales s’attaquent au problème du terrorisme lorsqu’il devient une conséquence, c’est-à-dire au stade final, et ne se concentrent pas sur la causalité ni sur la façon dont la colère et la frustration se transforment en résistance, et le reste des manifestations de l’extrémisme, dans les premier et deuxième stades ».

Il conclut que « Les États-Unis restent une superpuissance qui flirte parfois avec les rêves impériaux et poursuit un réalisme offensif, mais elle ne sait pas comment sortir des foyers de conflit ».

Une approche antiterroriste

Autant d’indices qui confirment ce programme antiterroriste américain car, sur le terrain africain, la réalité semble justifier cette approche. Selon certains analystes, Washington a raison de se soucier d’un redéploiement du terrorisme international qui prendrait l’Afrique comme nouveau champ de bataille.

Dans un autre article de Foreign Policy, le chercheur Charles Lister estime ainsi que « c’est du continent africain que les professionnels de la lutte contre le terrorisme devraient se préoccuper le plus ».

Après les coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les groupes armés mèneraient « une offensive alarmante au Sahel ». Les données du terrain sont alarmantes car, déjà, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaida, contrôle environ 40 % du territoire du Burkina Faso. Il a intensifié ses attaques de plus de 400 % cet été et assiège Tombouctou.

Son rival, Daech au Grand Sahara, a doublé la superficie qu’il contrôle dans la région sahélienne au cours de la seule année écoulée. Au Mali, ce groupe a établi des enclaves qu’il gère en déployant sa propre loi et sa police. Daech disposerait de « plusieurs routes actives d’acheminement de combattants étrangers et d’approvisionnement logistique entre le Mali et le sud de l’Europe, ainsi que d’une inter connectivité constante avec sa filiale en Afrique de l’Ouest ».

« À ce rythme, nous pourrions être à quelques mois de la proclamation par Al-Qaida ou Daech, ou les deux à la fois, d’une forme de prétendus États territoriaux dans la région du Sahel », avertit encore le chercheur.

Le terrorisme : Une menace très sérieuse pour les responsables américains

Gregory LoGerfo, coordinateur adjoint du Département d’État américain pour la lutte contre le terrorisme, a confirmé, lors d’un symposium organisé par l’American Enterprise Institute for Public Policy Research à Washington, qui a discuté des « efforts diplomatiques des États-Unis pour lutter contre le terrorisme », que Daech constitue toujours une menace sérieuse « malgré sa défaite régionale et sa perte de leadership ».

Il a souligné la présence de branches croissantes de Daech en Afrique de l’Ouest, au Tchad, en Somalie, au Congo et au Mozambique.

Il a appelé les pays, dont les détenus de l’organisation possèdent la nationalité, à redoubler d’efforts pour renvoyer ces derniers dans leur pays d’origine, soulignant que ce qu’il a décrit comme des « groupes terroristes » s’efforcent toujours de changer de tactique et d’utiliser les technologies émergentes, notamment les drones, pour mener à bien leurs opérations et leurs attentats.

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