Touadéra Conduit La Centrafrique Vers Une Nouvelle Crise

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Touadéra Conduit La Centrafrique Vers Une Nouvelle Crise
Touadéra Conduit La Centrafrique Vers Une Nouvelle Crise

Par Adrien Poussou

Africa-Press – CentrAfricaine. Alors que les élections générales – présidentielle, législatives, municipales et régionales – sont théoriquement programmées pour le 28 décembre, le pays s’achemine inexorablement vers une nouvelle crise politique, juge Adrien Poussou, ancien ministre centrafricain.

En Centrafrique, les acteurs politiques locaux, à commencer par le président Faustin-Archange Touadéra, paraissent avoir oublié les dramatiques et douloureuses leçons d’un passé récent marqué par des années d’instabilité, de rébellion ainsi que de guerres civiles. Inutile de rappeler que, le 30 août 2023, l’actuel chef de l’État a promulgué une nouvelle Constitution. L’habillage juridique a été celui d’un référendum. Ainsi, en se prévalant d’une consultation référendaire, Faustin-Archange Touadéra a voulu accréditer l’idée d’une adhésion populaire à une manœuvre politique.

Seulement, au-delà de cet artifice du consentement populaire, tout le processus était vicié dès l’origine, puisque celui-ci avait antérieurement été déclaré anticonstitutionnel par une décision de la Cour constitutionnelle, le 23 septembre 2022.

Une apparence légale donnée à un parjure

Autrement dit, le procédé par lequel Faustin-Archange Touadéra a instauré en Centrafrique une nouvelle Constitution, à sa mesure et à sa convenance, était un parjure. Car, en annulant la Constitution du 30 mars 2016, il a supprimé la limitation des mandats présidentiels, en nombre et en durée, introduit la catégorisation des Centrafricains, instauré un régime d’exclusion de certaines personnalités – qui ne peuvent désormais plus participer aux élections et exercer certains emplois publics –, transféré la totalité du pouvoir exécutif entre les mains d’une seule personne – le chef de l’État –, et dépossédé toutes les institutions constitutionnelles de leurs prérogatives et indépendances. En procédant par référendum, il a feint de donner une apparence légale à son forfait.

Or, faut-il le souligner, la Constitution du 30 mars 2016 était issue des consultations populaires de 2015, lors desquelles les différentes composantes de la société centrafricaine avaient, d’une seule voix, décidé d’inscrire dans la Loi fondamentale la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux mandats consécutifs ainsi qu’à l’interdiction de procéder à un allongement, pour quelque motif que ce soit, de la durée de chaque mandat au-delà de cinq ans.

Le silence pesant de la communauté internationale

Ces règles, gravées par le peuple centrafricain dans le marbre de la Constitution de 2016 visaient, d’une part, à briser le cycle de l’instabilité chronique du pays et à prévenir, d’autre part, toute répétition tragique des errements politiques du passé l’ayant entraîné dans le chaos, afin de garantir la possibilité d’une alternance démocratique à la tête de l’État et d’empêcher la confiscation du pouvoir par quelques-uns.

Le processus de leur adoption avait alors bénéficié du soutien plein et entier de la communauté internationale, heureuse à l’époque de voir les Centrafricains unanimes dans la volonté de consolider la démocratie fragile dans leur pays. Malheureusement, force est de constater que, devant les agissements des autorités en place, la communauté internationale si prompte à vitupérer contre les auteurs de coup d’État, observe un mutisme inquiétant qu’elle tente de justifier par le prétexte accommodant de « non-immixtion dans les affaires internes d’un État ». Pourtant, elle dispose de leviers nécessaires pour stopper ces dérives et faire entendre raison aux tenants du régime.

Malgré des investissements colossaux – déploiement d’une mission de maintien de la paix de l’ONU reconduite en 2024 pour une année supplémentaire qui coûte plus de 1 milliard de dollars par an et aide à la reconstruction injectée par les institutions de Bretton Woods et l’Union européenne – les réactions des partenaires extérieurs de la Centrafrique sont timorées. On ne saurait oublier la mise en garde d’un expert des Nations unies, qui, en juin 2025, a appelé à des réformes institutionnelles urgentes pour garantir des élections crédibles, soulignant les obstacles opérationnels de l’Autorité nationale des élections (ANE). Mais aucune réaction n’a été observée, pas même l’once d’une pression concertée.

« Nous vivons un moment de bascule »

Plus grave est l’attitude de la sous-région à travers la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), qui observe, impassible, comme si elle avait renoncé à son rôle historique de médiatrice dans les crises centrafricaines. C’est le signe en tout cas que les temps ont changé: nous vivons un moment de bascule. Par le passé, nous aurions déjà vu le président gabonais Omar Bongo Ondimba convoquer les acteurs politiques centrafricains à Libreville pour mettre tout le monde d’accord.

Souvent qualifié de « sage d’Afrique », le défunt président gabonais jouait un rôle central dans la résolution des conflits centrafricains. Ce dernier incarnait une diplomatie africaine proactive. Son influence et sa force de persuasion faisaient le reste. Aujourd’hui, sans une figure de cette trempe, la sous-région semble paralysée, laissant la Centrafrique dériver.

À telle enseigne que l’ancien Premier ministre et leader de l’opposition, Anicet-Georges Dologuélé, s’est vu priver de sa nationalité centrafricaine sans que cela émeuve les organisations sous-régionales. En effet, à peine celui-ci a-t-il déposé sa candidature pour le scrutin du 28 décembre que les obstacles se sont multipliés. Le 10 octobre, le ministre de la Défense, Rameaux-Claude Bireau, neveu du président Faustin-Archange Touadéra, et agissant en lieu en place du ministre de l’Intérieur, a refusé le renouvellement du passeport centrafricain du chef de file de l’opposition, au prétexte qu’il aurait entre-temps acquis la nationale française avant de l’abandonner.

Moins d’une semaine plus tard, le 16 octobre plus précisément, c’était autour du tribunal de grande instance de Bangui d’annuler purement et simplement le certificat de nationalité du président de l’Union pour le renouveau centrafricain (URCA), en invoquant un article controversé du code de nationalité centrafricaine, qui n’a jamais été appliquée depuis soixante-quatre ans.

Un détonateur d’instabilité politique

Par ailleurs, le boycott des prochains scrutins par l’opposition démocratique rassemblée au sein du Bloc républicain pour la défense de la Constitution (BRDC) du 30 mars 2016 montre que nous sommes bien dans une impasse politique. Ces exclusions, combinées à des accusations de fraudes potentielles, à l’incapacité de l’organe chargé d’organiser les prochaines élections et à un climat de répression, rappellent que le non-respect des règles démocratiques est souvent le détonateur de l’instabilité politique en Afrique. Hélas, ses conséquences sont prévisibles et alarmantes.

Avec une opposition marginalisée, les élections de décembre risquent d’être contestées, menant à des violences postélectorales. Déjà, des tensions montent dans les provinces, avec la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) qui rôde. Il faut craindre que les groupes armés ne profitent du chaos pour reprendre l’offensive. Et que le pays replonge dans une crise politique majeure.

Et si, dans ces conditions, l’idée prenait à un militaire ambitieux de s’emparer du pouvoir – comme cela s’est déjà produit tant de fois dans le pays (1966, 1979, 2003, 2013) –, que se passerait-il? Les organisations sous-régionales vont-elles suspendre le pays, comme le prévoient leurs protocoles sur la démocratie? La question mérite d’être posée.

La Matinale

Source: JeuneAfrique

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