En Afrique, les grandes acquisitions de terres sont toujours aussi opaques

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En Afrique, les grandes acquisitions de terres sont toujours aussi opaques
En Afrique, les grandes acquisitions de terres sont toujours aussi opaques

Africa-Press – CentrAfricaine. L’accaparement des terres se poursuit en Afrique, dix ans après que l’ONU a tenté d’introduire un cadre pour éviter l’achat anarchique de terres par de grands investisseurs, souvent étrangers, selon le rapport publié, lundi 16 mai, par Land Matrix Initiative (LMI), une base collaborative et indépendante de données internationales.

Ce projet, né au lendemain de la grande ruée vers les terres à la fin des années 2000 en pleine crise alimentaire mondiale, recense les transactions foncières à grande échelle. « Même s’il y a moins d’investissements qu’en 2008-2010, on peut encore parler d’accaparement des terres », indique Ward Anseeuw, membre de la Coalition internationale pour l’accès à la terre (ILC) et corédacteur du rapport. Ainsi, entre 2010 et 2020 en Afrique subsaharienne, 7,3 millions d’hectares sont passés sous contrat de location ou d’acquisition, dont moins de 40 % auraient finalement été mis en valeur. Si le volume annuel de ces transactions tend à stagner, leur impact demeure important pour les petits exploitants qui en sont les principales victimes.

Le rapport s’intéresse donc avant tout à la mise en œuvre des directives volontaristes adoptées par le comité sur la sécurité alimentaire de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations unies (FAO) et dont l’objectif était d’obtenir de la transparence dans les transactions, la consultation des populations locales dans les processus d’acquisition et le respect de leurs droits. De ce point de vue, le bilan est décevant. Dans plus de la moitié des Etats du continent, l’exercice d’évaluation n’a pu être mené faute de données suffisantes. Et, sur les 23 pays finalement étudiés, 20 présentent des violations flagrantes de ces directives. Sur les 730 transactions portant sur plus de 200 hectares – le critère définissant une acquisition foncière à grande échelle –, une sur cinq a été réalisée sans l’application d’aucune directive, et quatre sur cinq l’ont été avec, mais de manière insatisfaisante.

Violation des droits coutumiers

La Mauritanie et le Soudan présentent les plus mauvais scores d’application des directives foncières, suivis de près par le Mali, le Congo-Brazzaville et le Soudan du Sud. Les manquements qui reviennent le plus souvent concernent la violation des droits coutumiers de propriété ainsi que le relogement des personnes déplacées.

Le Soudan est également le pays le moins transparent sur ses transactions. L’Etat a principalement reçu des investissements des pays de la péninsule Arabique même si l’acquisition la plus importante – 87 000 hectares, l’équivalent de huit fois Paris intra muros – a été réalisée par la compagnie libanaise GLB Invest pour cultiver de la luzerne et du maïs le long du Nil.

De manière générale, jugent les auteurs, le sort des populations pastorales est négligé. « Les éleveurs transhumants qui transitent à travers les pays en fonction des ressources ne sont pas pris en compte dans les processus de négociation », explique Jérémy Bourgoin, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), spécialiste du Sénégal. Au total, seulement 2,5 % des transactions ont été réalisées avec le plein consentement des populations locales.

L’impact de ces acquisitions sur la dégradation de l’environnement est également pointé par le rapport. « Nous observons qu’en l’absence d’un processus préalable de consultation sur la gestion des terres, une dégradation systématique des milieux naturels survient », s’inquiète Ward Anseeuw. Les investissements fonciers privilégient la plupart du temps des monocultures à fort impact sur le sol et la biodiversité. Ils sont aussi souvent synonymes de déforestation avec un impact fort sur les émissions de gaz à effet de serre.

« Contradiction »
« Ce rapport est important dans le contexte des engagements pris à l’occasion de la conférence mondiale sur le climat de Glasgow fin 2021 »

, précise Ward Anseeuw, où 141 pays avaient signé une déclaration qui reconnaît le droit des populations indigènes et des communautés locales. « Il y a une véritable contradiction entre ces pays qui s’engagent pour l’accompagnement de peuples autochtones et de communautés locales contre la déforestation, et qui en même temps déplacent des communautés entières », poursuit le chercheur.

La part des investissements internationaux est devenue plus difficile à traquer. Land Matrix peine à repérer les montages financiers opérés entre entreprises étrangères et filiales locales, qu’elle juge pourtant très nombreux. En février, l’Union européenne a adopté une directive contraignant les entreprises de plus de 500 salariés au devoir de vigilance sur les pratiques de leurs filiales à l’étranger. Ce texte qui concerne le respect des droits humains et des normes environnementales est jugé insuffisant par les chercheurs de Land Matrix.

Les Etats africains qui reçoivent ces investissements portent aussi leur part de responsabilité. « Les ministères décident de la location ou de la vente des terres, en particulier des grandes superficies, et font souvent partie du consortium qui pilote le projet », rappelle Ward Anseeuw. Pour que la situation s’améliore et que les directives soient respectées, « il faudrait mettre autour de la table tous les acteurs », préconise le chercheur à l’ILC, sans oublier les populations locales.

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