Africa-Press – CentrAfricaine. LE MATCH DE LA SEMAINE – Tous deux se disent « ouvert au dialogue ». Mais il suffit de s’entretenir quelques minutes avec Mohamed Moussa, le directeur général de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna), ou avec François Gomis, le secrétaire exécutif de l’Union des syndicats de contrôleurs aériens de l’Asecna (Usycaa) pour comprendre à quel point le fossé qui les sépare désormais sera dur à combler.
Rien de personnel, pourtant, entre ces deux hommes qui se connaissent peu. Si le premier assure avoir personnellement rencontré son adversaire « cinq fois depuis que cette affaire a commencé », le syndicaliste soutient n’avoir rencontré son patron qu’une fois sur les derniers mois, lors de l’ouverture du précédent round de négociations, les 29 et 30 août. Un élément de plus dans la véritable guerre de communication à laquelle se livrent les deux camps.
Une grève illégale mais maintenue
Syndicats et patronat s’opposent en premier lieu sur la légitimité du mouvement. « J’ai porté plainte devant neuf tribunaux, et les neuf tribunaux m’ont donné raison et ont déclaré cette grève illégale et l’ont interdite », assène Mohamed Moussa, qui pilote l’institution depuis 2017 – il a été réélu en 2020 pour un second et dernier mandat de quatre ans. Jusqu’au bout, le Nigérien, ancien ministre de l’Intérieur et des Transports dans son pays, mais aussi ingénieur de l’aviation civile qui a fait une bonne partie de sa carrière au sein de l’Asecna, a cru que la grève serait évitée. Au début d’août, il assurait ainsi dans nos colonnes que le dialogue serait rétabli et qu’un accord serait trouvé avec les salariés.
Las, après la suspension in extremis du premier préavis émis par les contrôleurs, le 24 août, ces derniers ont constaté « l’échec des négociations », réitéré leur préavis et effectivement débrayé les 23 et 24 septembre, avant de suspendre à nouveau le mouvement devant la pression politique. Initialement prévue pour dix jours, cette « pause » a été prorogée jusqu’au 20 octobre « pour contrainte de calendrier ». Le temps que se réunisse, le 17 octobre à Dakar, le conseil des ministres de l’Asecna – présidé par le ministre nigérien des Transports, Oumarou Malam Alma -, qui tentera une nouvelle fois de mettre un terme à la crise.
Hors-cadre
En attendant, Mohamed Moussa ne décolère pas contre « ces jeunes qui ne comprennent même pas ce qu’est une interdiction ». « L’Usycaa, qui prétend être l’union de onze syndicats des contrôleurs aériens, au sens du droit ivoirien, n’a pas vocation à lancer un mot d’ordre de grève, dans la mesure où ses administrateurs et dirigeants ne sont pas des nationaux ivoiriens, comme l’exige [le] code du travail ivoirien », tranche ainsi le juge ivoirien Bini Kouakou dans son ordonnance de référé en date du 22 septembre.
« Nous sommes onze syndicats, chacun constitué légalement dans son propre pays. Mais nous exerçons tous le même métier, dans la même entreprise, nous nous unissons donc pour nos intérêts communs, où est l’illégalité ? », s’insurge de son côté le Sénégalais François Gomis, secrétaire général du Syndicat des aiguilleurs du ciel (Sacs) au Sénégal et contrôleur aérien à l’Asecna depuis dix-huit ans. Ce dernier assume ne pas avoir tenu compte des différentes assignations en référé. « Nous estimons que nous sommes légaux », répète-t-il.
Le représentant des contrôleurs aériens reconnaît tout de même être sorti du cadre de dialogue prévu par les textes de l’Asecna, tout comme la profession a refusé de signer le contrat d’entreprise, il y a quelques mois. « Le cadre de dialogue n’est pas approprié, nous y sommes noyés au milieu d’autres corps de métiers, nos voix ne comptent pas », déplore-t-il. Un argument auquel le DG s’empresse de faire chorus : « Il y a 10 000 agents à l’Asecna, ce ne sont pas 600 contrôleurs qui vont dicter leur loi et prendre en otage les États ! », s’insurge-t-il, persuadé que les grévistes sont « manipulés » – tout en refusant de dire par qui.
Crispations
Les désaccords entre les deux camps portent ensuite sur le résultat du premier week-end de grève. Si cette dernière a été suivie par 716 contrôleurs aériens (94,12 % des effectifs selon l’Asecna) et les perturbations ont été indéniables – Air France, la Royal Air Maroc, Air Côte d’Ivoire ou encore Air Sénégal ont annulé ou reprogrammé de nombreux vols, Mohamed Moussa s’efforce de tempérer. Pour lui, les perturbations n’ont été effectives que « dans quatre pays : le Mali, le Bénin, le Burkina Faso et le Congo », le trafic ayant été assuré à 85 % le premier jour de la grève et à 81 % le deuxième. Les multiples annulations de vols dans les autres aéroports ? « Elles résultent de décisions propres prises par les compagnies. De notre côté, nous avions organisé une contingence, le service était rendu ».
L’ASECNA EST CAPABLE D’ASSURER LA SÉCURITÉ DE LA NAVIGATION AÉRIENNE SANS LES GRÉVISTES
Sur les solutions de sortie de crise, enfin. Même si – une fois n’est pas coutume – les deux hommes s’accordent sur deux chiffres : le nombre de revendications satisfaites (11) et le nombre de revendications pendantes (8). « Les onze points réglés concernent un retour à une certaine normalité. Les huit que nous demandons encore concernent de nouveaux acquis sur les rémunérations, le sous-effectif et les plans de carrière », précise François Gomis. « Les onze points sur lesquels ils ont obtenu satisfaction se chiffrent à 30 milliards de francs CFA [46 millions d’euros], les huit derniers à 15 milliards. Vous voyez donc que nous avons fait des efforts. Mais nous ne pouvons pas octroyer ces huit avantages aux contrôleurs seuls en oubliant l’ensemble des autres agents. »
En attendant la rencontre de Dakar, la situation reste tendue. Tandis que le syndicaliste affiche sa détermination à obtenir satisfaction, Mohamed Moussa souffle le chaud et le froid, assurant que « les négociations ayant toujours prévalu au sein de l’Asecna, nous continuerons à échanger jusqu’à ce que nous puissions trouver des points d’accord », mais glissant aussi que « l’Asecna est capable d’assurer la sécurité de la navigation aérienne sans les grévistes ».
Pour plus d’informations et d’analyses sur la CentrAfricaine, suivez Africa-Press