Harmoniser les Données en Logistique Africaine

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Harmoniser les Données en Logistique Africaine
Harmoniser les Données en Logistique Africaine

Africa-Press – CentrAfricaine. Au cœur du commerce africain, les ports restent pénalisés par des données fragmentées et peu comparables, qui renchérissent les coûts logistiques et freinent l’investissement. Pour y remédier, la BAD déploie l’African Ports Connectivity Project, une initiative multilatérale visant à harmoniser les standards de données et à améliorer la performance portuaire sur le continent. Manuel Ntumba, récemment nommé Project Coordinator et Regional Data Lead du programme, en présente les objectifs, les outils et les impacts attendus pour les ports, les corridors régionaux et les investisseurs.

Agence Ecofin: La BAD déploie l’African Ports Connectivity Project pour harmoniser les standards de données et améliorer la performance portuaire. En quoi consiste concrètement cette initiative et quels sont les principaux dysfonctionnements qu’elle cherche à corriger?

Manuel Ntumba: L’African Ports Connectivity Project (APC-PP) s’inscrit dans une logique de transformation systémique visant à corriger un déficit structurel de gouvernance des données qui affecte, depuis plus de vingt ans, la capacité des ports africains à générer des externalités logistiques fluides, à réduire leurs coûts opérationnels marginaux et à soutenir des modèles de financement plus compétitifs.

Financé par le MCDF hébergé par l’AIIB et mis en œuvre par la BAD en partenariat avec S&P Global-Market Intelligence et CPCS, le projet vise à établir une architecture de données interopérable et auditable couvrant plus de soixante ports africains. Les faiblesses ciblées – fragmentation informationnelle, hétérogénéité des définitions, absence d’historique tracé, insuffisance de métadonnées, déficits d’auditabilité – ont longtemps faussé la modélisation de performance, biaisé les analyses de risques et augmenté les primes de risque appliquées aux actifs portuaires africains.

« Les faiblesses ciblées ont longtemps faussé la modélisation de performance, biaisé les analyses de risques et augmenté les primes de risque appliquées aux actifs portuaires africains. »

Ce projet multilatéral cherche ainsi à promouvoir une infrastructure de données conforme aux standards internationaux de data integrity, risk assurance et infrastructure finance. Cela implique la création d’un Port Data Book continental, d’un portail numérique sécurisé, et d’un Africa Port Index dérivé des méthodologies éprouvées de S&P Global-Market Intelligence, notamment celles ayant sous-tendu le Container Port Performance Index (CPPI) 2020-2024 developpé en collaboration avec le Groupe de la Banque mondiale. L’ambition n’est pas uniquement de standardiser les données, mais de créer un mécanisme de convergence où les métriques opérationnelles deviennent comparables, auditées, méthodologiquement documentées et aptes à soutenir des analyses quantitatives avancées, notamment celles liées au pricing du risque logistique, aux niveaux d’efficacité des actifs, et aux conditions de mobilisation du capital concessionnel.

AE: Vous êtes nommé Project Coordinator et Regional Data Lead pour APC-PP. Comment accueillez-vous cette responsabilité et quel sera le périmètre exact de votre mission? Quels résultats tangibles peuvent être attendus à court terme?

Manuel Ntumba: J’accueille cette responsabilité avec un sens aigu de la discipline analytique et de la diplomatie technique, conscient que la qualité du capital informationnel conditionne désormais autant la performance opérationnelle que la structure du WACC, le calibrage des prémiums de risque et la soutenabilité des financements d’infrastructures. En tant que Project Coordinator et Regional Data Lead, mon rôle consiste à articuler un cadre méthodologique multilatéral rigoureux avec les réalités opérationnelles des ports africains, tout en assurant l’alignement des processus de collecte, de validation et d’auditabilité sur les meilleures pratiques internationales de data governance, data assurance et risk management.

Le périmètre englobe la conception du modèle de données, la structuration des indicateurs clés, le déploiement des processus de data lineage et de qualité, l’accompagnement technique des ports pilotes, la supervision du Port Data Book et la coordination technique de l’Africa Ports Portal et de l’Africa Port Index.

À court terme, les résultats tangibles incluront la consolidation de la gouvernance du projet, la finalisation d’un premier Port Data Book auditable, un portail opérationnel conforme aux normes internationales de sécurité et de compliance numérique, ainsi qu’une première version de l’Index fondée sur les méthodologies de S&P Global et les cadres analytiques de la BAD. Ces livrables permettront d’améliorer immédiatement la transparence informationnelle, de réduire les asymétries de données qui compliquent les due diligences des bailleurs et d’accroître la prévisibilité des actifs portuaires africains pour les investisseurs institutionnels.

AE: Une part importante de votre mandat concerne la qualité des données portuaires. Quels sont les obstacles les plus fréquents en matière de fiabilité, de comparabilité et d’auditabilité, et comment le projet entend-il y répondre?

Manuel Ntumba: Les obstacles identifiés relèvent d’un triptyque bien connu en data governance: fiabilité insuffisante, comparabilité limitée et auditabilité faible. Sur la fiabilité, de nombreux ports reposent encore sur des systèmes semi-manualisés dépourvus de mécanismes robustes de contrôle interne, exposant les séries statistiques à une variance non maîtrisée incompatible avec les approches quantitatives modernes utilisées par les institutions financières.

« Sur la fiabilité, de nombreux ports reposent encore sur des systèmes semi-manualisés dépourvus de mécanismes robustes de contrôle interne, exposant les séries statistiques à une variance non maîtrisée incompatible avec les approches quantitatives modernes utilisées par les institutions financières. »

Sur la comparabilité, l’absence d’un référentiel continental empêche la création de benchmarks crédibles et limite la construction de modèles économétriques capables de refléter la performance opérationnelle réelle des ports. Quant à l’auditabilité, l’absence de documentation méthodologique, de métadonnées structurées, de protocoles de traçabilité et de chaînes de responsabilités formalisées réduit la capacité des bailleurs à effectuer des stress tests rigoureux, renchérit le coût du capital et augmente les exigences de due diligence.

Le projet y répond en structurant un dictionnaire de données harmonisé, un glossaire opérationnel, un système uniforme de métadonnées, des processus standardisés de collecte et validation, ainsi qu’un cadre méthodologique conforme aux standards de la BAD, de S&P Global et aux meilleures pratiques du secteur financier en matière de data assurance. Le tout est appuyé par un renforcement des capacités ciblé permettant aux équipes portuaires de maîtriser progressivement les approches de qualité, de vérification, de documentation et de traçabilité, transformant la donnée en un actif stratégique et non en variable d’incertitude.

AE: Le programme couvre plus de quatre-vingts (80) ports africains. En quoi une meilleure connectivité et une data unifiée peuvent-elles transformer les chaînes logistiques, réduire les coûts et renforcer la compétitivité des corridors régionaux?

Manuel Ntumba: Une donnée unifiée agit comme un multiplicateur de performance logistique, car elle permet de réduire substantiellement les frictions opérationnelles et les incertitudes qui perturbent les chaînes d’approvisionnement. Dans un environnement où 80 à 90 % des flux commerciaux africains transitent par les ports, la fragmentation des données induit des inefficiences qui se traduisent par des congestions, des délais d’attente imprévisibles, des coûts logistiques élevés et une volatilité accrue dans les chaînes de valeur. Une infrastructure de données harmonisée permet d’anticiper les congestions, d’améliorer la résilience multimodale, d’optimiser les flux et de fournir aux armateurs des signaux informationnels stables influençant leur allocation de flotte et leurs stratégies d’accostage.

« Une infrastructure de données harmonisée permet d’anticiper les congestions, d’améliorer la résilience multimodale, d’optimiser les flux et de fournir aux armateurs des signaux informationnels stables influençant leur allocation de flotte et leurs stratégies d’accostage. »

Pour les corridors régionaux, la transparence informationnelle améliore la « corridor creditworthiness » en réduisant les asymétries d’information et en renforçant la capacité des gouvernements à structurer des financements concessionnels ou des PPP attractifs. Des données fiables et harmonisées permettent également de réduire les coûts logistiques – parfois de l’ordre de 20 à 30 % selon les corridors – en diminuant les points de friction opérationnels, en optimisant la gestion des actifs et en améliorant la perception du risque par les investisseurs. Ainsi, la donnée devient un déterminant central de la compétitivité des corridors et un instrument de signalisation pour la mobilisation du capital.

AE: Le workshop d’Abidjan, en juillet 2024, a acté plusieurs priorités, dont le Port Data Book, le portail web sécurisé et l’Africa Port Index. Comment ces outils doivent-ils répondre aux besoins concrets des autorités portuaires et des États?

Manuel Ntumba: Le workshop d’Abidjan a créé un alignement institutionnel déterminant en établissant des priorités documentaires et technologiques permettant de traduire une vision stratégique en dispositifs opérationnels robustes. Le Port Data Book constitue une consolidation systémique des capacités, performances et caractéristiques techniques des ports, offrant aux États, investisseurs et armateurs un socle documentaire rigoureux, auditable et comparable. Le portail sécurisé représente la colonne vertébrale numérique du projet, garantissant une collecte de données continue, sécurisée et conforme aux exigences internationales de cybersécurité, de confidentialité et de résilience opérationnelle.

L’Africa Port Index, basé sur les méthodologies de S&P Global, constitue un outil de benchmarking objectif qui, loin d’être punitif, favorise l’amélioration continue, l’optimisation des investissements et la réduction des risques de performance. Ces outils offrent aux États une capacité renforcée d’aligner leurs politiques portuaires, leurs stratégies de corridors et leurs demandes de financements multilatéraux sur une base informationnelle précise, transparente et auditée, réduisant les risques de décisions basées sur des données approximatives.

AE: Le financement du MCDF et l’hébergement du projet à l’AIIB ajoutent un cadre multilatéral exigeant. Comment cette architecture institutionnelle influence-t-elle la mise en œuvre, les standards et la transparence attendus des port authorities?

Manuel Ntumba: Le financement du MCDF, logé à l’AIIB, introduit un cadre normatif caractérisé par une discipline institutionnelle élevée, reflétant les meilleures pratiques internationales en matière de gouvernance, de gestion des risques, de transparence et de cybersécurité. Le grant d’environ 2 millions de dollars est assorti d’exigences strictes de reporting, de contrôle interne, de documentation et de conformité qui obligent les port authorities à renforcer significativement leurs dispositifs institutionnels. Cette architecture impose une rigueur méthodologique renforcée en matière de data lineage, de qualité, de vérification et de traçabilité, alignant les ports africains sur les standards utilisés par les investisseurs internationaux et les banques de développement.

Bien que contraignante, cette structure agit comme un catalyseur de modernisation institutionnelle, car elle améliore la perception du risque, renforce la crédibilité des actifs portuaires et facilite l’accès à des financements additionnels – notamment pour des projets d’infrastructures à forte intensité capitalistique. Le cadre MCDF-AIIB devient ainsi un mécanisme stabilisateur, réduisant l’incertitude perçue par les bailleurs et accélérant la convergence des pratiques portuaires africaines vers les normes mondiales.

AE: La construction d’un langage commun des données reste un défi, surtout avec des niveaux de maturité numérique très différents entre les ports. Quelles approches sont envisagées pour encourager l’adoption de ces standards et accompagner les ports pilotes? En quoi votre parcours constitue-t-il un atout pour piloter cette transition?

Manuel Ntumba: L’adoption d’un langage commun exige une approche progressive, différenciée et diplomatiquement calibrée, car les écarts de maturité numérique entre ports peuvent être significatifs. Nous travaillons étroitement avec les associations régionales de gestions des ports, afin d’assurer une intermédiation institutionnelle cohérente et un alignement progressif des standards. La méthodologie retenue consiste à définir un noyau d’indicateurs essentiels accessible à tous les ports, puis à développer des modules avancés pour ceux disposant de capacités numériques plus matures. Les ports pilotes bénéficient d’un accompagnement intensif incluant formation, support technique, documentation intégrée, renforcement des capacités et mécanismes de peer-learning favorisant une diffusion organique des bonnes pratiques.

Mon parcours représente un avantage stratégique pour piloter cette transition. Mon expérience au sein d’organisations multilatérales telles que le fonds multilateral GEF/FEM, la Banque mondiale, et les agences onusiennes, ainsi que mes travaux avec Airbus Intelligence, GIZ/BMZ, le EU-Africa Joint Satellite Navigation Programme et d’autres partenaires institutionnels majeurs, m’ont permis d’intégrer des approches complexes de gouvernance, de conformité, de risk management, de data systems et d’évaluation de projets à forte intensité capitalistique.

Sous le leadership de notre Governing Board – dirigé par Son Excellence Igor Luksic (ancien Premier Ministre de Montenegro et ancien ESG Lead de PwC), Son Excellence Piotr Trabinksi (ancien Directeur Exécutif du FMI et ancien Conseiller spécial auprès de la Banque mondiale), et Son Excellence Pamela Gidi (ancienne Ministre de Telecommunications de Chili et ancienne Vice Présidente de AT&T) – Tod’Aérs Global Network [TGN] conseille les institutions publiques, les secteurs privés et les gouvernements sur les politiques de développement, l’innovation technologique, la numérisation et la géostratégie dans le monde entier – par le biais de la Global Development Policy Initiative.

En tant qu’Administrateur (Managing Partner) de Tod’Aérs Global Network, j’ai également développé une expertise en diplomatie technique, en coordination interinstitutionnelle et en modélisation des risques qui me permettent de créer des cadres opérationnels robustes répondant simultanément aux attentes des bailleurs et aux contraintes des ports. L’objectif ultime est de transformer la donnée portuaire africaine en un actif stratégique durable, générateur de confiance, de prévisibilité et de compétitivité.

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