Africa-Press – CentrAfricaine. Importer des semences de coton du Cameroun est-il un sursaut ou un aveu d’échec pour une filière cotonnière centrafricaine à l’agonie?
Le Conseil des ministres du 15 mai 2025 a validé l’importation de 50 tonnes de semences de coton Irma Q302, produites au Cameroun, pour sauver la campagne agricole 2024-2025. Cette mesure, présentée comme une bouée de secours, trahit l’effondrement d’une filière jadis vitale pour la République centrafricaine. Le constat est inquiétant: les variétés chinoises F135 A et B, utilisées depuis les années 1990, affichent un « potentiel de production quasiment nul ». Mais ce n’est pas une surprise. En 2023, la production cotonnière a chuté à 8 000 tonnes, contre 12 000 en 2022, et 2024 n’a guère fait mieux, avec 9 000 tonnes prévues, selon le ministère de l’Agriculture. Pourquoi le gouvernement a-t-il laissé la filière s’effondrer avant d’agir? Cette négligence est une honte nationale, qui condamne les cotonculteurs à la misère.
Le coton, autrefois « or blanc » de la RCA, est aujourd’hui un exemple d’abandon. Dans les années 1980, la production dépassait 50 000 tonnes, soutenant des milliers de familles. Aujourd’hui, les paysans, privés d’intrants, de routes praticables et de formations, survivent à peine. L’importation d’Irma Q302, vantée comme une relance, n’est qu’un pansement sur une plaie béante. Sans réformes structurelles, cette mesure ne fera que prolonger l’agonie d’une filière sacrifiée par l’inaction.
En se tournant vers le Cameroun pour des semences, le gouvernement renonce à l’autonomie agricole, une insulte au potentiel centrafricain. L’Institut Centrafricain de Recherche Agronomique (ICRA), créé dans les années 1960, était censé développer des variétés nationale. Sous Jean-Bedel Bokassa, il a produit le maïs Ngakoutou par l’ancien Président Ange-Félix Patassé, ingénieur agronome. Cette qualité de maïs, exporté en Afrique et utilisé par les États-Unis pour des hybrides, revendus aujourd’hui en Afrique. Quelle ironie ! La RCA, berceau de telles innovations, mendie désormais des semences chez ses voisins. Pourquoi l’ICRA, exsangue faute de financements, est-il relégué au second plan? Cette dépendance est une capitulation, qui contraste avec l’ambition de Bokassa de valoriser les compétences nationales.
L’accord avec la Société des cotons du Cameroun, pour des semences produites à Guidar, est opaque. Quel est le coût de ces 50 tonnes? Quelles garanties assurent la qualité ou l’adaptabilité d’Irma Q302 aux sols centrafricains? Sans tests locaux rigoureux, le risque d’échec est immense. Le Cameroun, avec ses propres défis agricoles, n’est pas un modèle. En misant sur des importations, la RCA s’enferme dans une spirale de soumission, où son agriculture dépend du bon vouloir d’autrui.
Le compte rendu du conseil des ministres admet un « léger retard » dans la campagne 2024-2025, une litote qui masque une désorganisation criminelle. Les cycles agricoles ne pardonnent pas les erreurs de calendrier. Ce retard, causé par une planification défaillante, menace les rendements et la survie des paysans. En 2023, l’insécurité dans les zones cotonnières comme Ouham-Pendé a réduit de 20 % les surfaces cultivées, selon la FAO. En 2024, la situation s’est à peine améliorée, avec des attaques persistantes de groupes armés. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas anticipé le remplacement des semences chinoises, obsolètes depuis des années? Cette improvisation est une constante, qui transforme chaque campagne en pari hasardeux.
Le président Touadéra, fidèle à son habitude de survaloriser les annonces, présente cette importation comme un levier pour « relancer la compétitivité » du coton et soutenir les cultures vivrières associées (haricot, arachide, petit pois). Mais ces promesses ronflantes éludent les véritables obstacles: routes dégradées, absence de marchés structurés, et manque de crédit pour les paysans. Sans investissements massifs dans les infrastructures rurales – routes, entrepôts, unités de transformation – les nouvelles semences, même performantes, ne changeront rien. Le gouvernement préfère des solutions tape-à-l’œil à une réforme globale de la filière.
L’importation d’Irma Q302 est censée dynamiser la filière cotonnière, mais le compte rendu reste muet sur la manière dont la production sera écoulée. Le marché mondial du coton, dominé par des géants comme la Chine et l’Inde, est impitoyable pour les petits producteurs comme la RCA. Sans stratégie pour protéger les cotonculteurs des fluctuations de prix ou pour valoriser le coton local (par exemple, via une industrie textile naissante), cette relance risque de s’effondrer face à la concurrence. Le gouvernement semble croire que de nouvelles semences suffiront à ressusciter la filière, une naïveté qui frise l’irresponsabilité.
Le ministre des Finances est chargé de mobiliser un budget pour cette opération, mais dans un pays où les ressources publiques sont exsangues, cette injonction sonne creux. Les partenaires internationaux, souvent sollicités, ne peuvent financer indéfiniment les lacunes de l’État. En l’absence d’un plan clair pour rentabiliser la filière – via des coopératives, des subventions ciblées ou des contrats d’achat garantis –, les cotonculteurs resteront vulnérables, et l’investissement dans les semences, un gâchis.
Cette importation s’inscrit dans une longue série d’échecs agricoles, où les annonces triomphales masquent l’inaction. La réhabilitation des infrastructures routières, évoquée en passant, est un vœu pieux dans un pays où les axes ruraux sont impraticables six mois par an. L’appui aux cotonculteurs, mentionné sans détails, se limite souvent à des distributions sporadiques d’intrants, insuffisantes et mal gérées. Cette approche clientéliste, où les aides sont distribuées pour calmer les mécontentements, ne peut remplacer une politique agricole cohérente.
Le gouvernement, sous pression pour montrer des résultats avant les échéances électorales, mise sur des mesures visibles mais inefficaces. Les cotonculteurs, principaux concernés, n’ont pas été consultés sur le choix d’Irma Q302, une exclusion qui renforce leur sentiment d’abandon. Cette gouvernance autoritaire, où les décisions tombent d’en haut sans dialogue, est à l’image d’un État déconnecté des réalités rurales.
En réalité, l’importation de semences Irma Q302 est une capitulation face à l’effondrement de la filière cotonnière, un scandale qui trahit le potentiel agricole de la RCA. Pourquoi l’ICRA, capable sous Bokassa de prouesses, est-il aujourd’hui ignoré? Pourquoi importer ce que nous pourrions produire? Le gouvernement doit investir dans la recherche nationale, les infrastructures et les paysans, sous peine de condamner l’agriculture centrafricaine à une humiliation sans fin….
Source: Corbeau News Centrafrique
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