La Centrafrique, un Etat sous perfusion de l’aide internationale

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La Centrafrique, un Etat sous perfusion de l’aide internationale
La Centrafrique, un Etat sous perfusion de l’aide internationale

Africa-PressCentrAfricaine. Des femmes qui font la lessive et des enfants qui pêchent. La scène, sur les bords de la rivière Belo, à 80 km au sud-ouest de Bangui, a un petit parfum d’éternité. Une atmosphère avec laquelle tranche le pont de facture moderne qui chevauche aujourd’hui le cours d’eau. Construit en juin 2019, cet ouvrage a tout d’un mécano géant, avec une structure préfabriquée métallique extrêmement solide qui peut être montée en trois jours à peine.

« C’est vraiment très pratique

, affirme Nancy, une habitante du village voisin. Avant nous devions traverser la rivière avec les véhicules, c’était long et l’eau était sale. En pleine saison des pluies, il était très difficile de passer. » Une autre villageoise se sent plus en sécurité : « Pendant le conflit, il y avait des groupes armés dans la région. Maintenant on sait qu’on peut partir rapidement avec la famille s’ils reviennent. »

Seize ponts de ce type doivent encore être construits et d’autres ouvrages réhabilités pour aider au désenclavement des régions en Centrafrique. Un programme mené en coopération étroite entre la France, qui fournit les structures, l’Union européenne (UE), qui le finance, et le gouvernement centrafricain, sous la supervision technique de l’agence publique Expertise France. Il s’agit d’un des nombreux exemples de projets de développement en cours dans ce pays qui, depuis 2013, peine à sortir d’une grave crise politico-militaire. La Centrafrique, où doivent se tenir le 27 décembre des élections présidentielle et législatives, est soutenue à bout de bras par la communauté internationale.

Des ponts, mais aussi des bâtiments administratifs, des dispensaires ou encore, plus récemment, un centre d’imagerie médicale à Bangui : les réalisations financées par l’aide internationale sont innombrables. Sans compter les programmes moins visibles de renforcement et de redéploiement de l’Etat dans le pays, même si la majorité du territoire est toujours sous le contrôle de groupes armés.

Cette manne tarde d’ailleurs à porter ses fruits. En 2013, au plus fort de la crise, les trois quarts de la population vivaient sous le seuil de pauvreté. Sept ans plus tard, ils sont toujours plus de 71 %. La Centrafrique ne parvient pas à décoller de l’avant-dernière place du classement selon l’indice de développement humain (IDH).

L’aide internationale est omniprésente dans l’économie centrafricaine. Sa part est même « passée de 46,6 % des revenus de l’Etat en 2018 à 52,6 % en 2019 », précise le représentant de la Banque mondiale dans le pays, Han Fraeters. « Si l’aide internationale devait se tarir, le pays se trouverait en grande difficulté pour assurer la continuité de l’Etat », poursuit-il, précisant que cette dépendance va bien au-delà des recettes publiques.

Tandis que le budget annuel moyen du pays, hors appui budgétaire, est d’environ 156 millions d’euros, la mission des Nations unies (Minusca) gère un budget annuel de quelque 800 millions d’euros et les acteurs de développement décaissent annuellement la même somme.

Mais cette assistance est souvent déployée pour des solutions de court terme. Pour Denis Vasseur, le directeur pays de l’Agence française de développement (AFD), « il y a beaucoup d’argent, mais c’est surtout de l’aide humanitaire : une réponse immédiate, utile, qui mobilise un certain nombre d’employés locaux mais qui n’est pas assez structurante. L’aide humanitaire donne le poisson, mais pas forcément la canne à pêche ».

Beaucoup, comme lui, appellent à dépasser cette logique – pourtant toujours vitale pour une bonne moitié de la population – et à engager des programmes de développement plus pérennes. « C’est le bon moment pour la Centrafrique », veut croire Natalie Boucly, la représentante locale du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), alors que le pays connaît une période de relative stabilité.

La multiplicité des acteurs et des mécanismes pose quant à elle des problèmes de traçabilité de l’aide, d’évaluation et de coordination. La France, par exemple, est impliquée dans le Fonds européen Bêkou pour la Centrafrique, tout en menant ses propres projets de développement via l’AFD, à hauteur de 30 millions d’euros. L’agence fournit également à l’Etat centrafricain une aide budgétaire (environ 10 millions d’euros en 2020). L’ambassade, enfin, finance elle-même des projets plus modestes. Et il ne s’agit ici que d’un seul partenaire bilatéral.

« Vous avez toutes les agences des Nations unies, les ONG de développement, les coopérations bilatérales, l’UE, les institutions financières internationales

, énumère la représentante du PNUD, chacune avec un programme qui lui est propre. » Coordonner les activités de tous ces acteurs est normalement du ressort du gouvernement, comme le prévoit un vaste plan cadre lancé en 2016, qui fixe les priorités de l’Etat centrafricain jusqu’en 2021.

Et ensuite ? Natalie Boucly plaide pour que le gouvernement prenne davantage la main dans ce domaine. Dans cette perspective, différents projets sont actuellement mis en place au plus haut niveau pour moderniser l’Etat et former les cadres des ministères à la gestion de budgets programmatiques.

Certains observateurs, comme Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI), dénoncent néanmoins une « captation » d’une partie de cette aide internationale par les élites du pays et les groupes armés. Une façon d’« acheter la paix », qui plus est jugée inefficace. Un bon nombre de partenaires interrogés évoquent, eux, des risques d’« évaporation » des fonds, mais s’empressent d’ajouter que leurs propres projets sont mis en place en toute sécurité financière et insistent sur le travail effectué au plus près des populations.

Mais toutes les administrations locales n’ont pas les capacités de répondre aux exigences administratives des bailleurs de fonds, rappelle Denis Vasseur, qui met en avant le faible niveau d’éducation et la formation insuffisante. Or, souligne-t-il, « l’aide au développement n’est utile que quand les gens sont en capacité de l’utiliser ».

Les perspectives ne sont pas bonnes. La crise internationale liée au coronavirus aura des répercussions économiques en Centrafrique, avec un risque de récession qui pourrait atteindre 1,2 % en 2020. Touchés eux aussi, les bailleurs de fonds ne semblent cependant pas vouloir baisser le volume de leur aide. « La pandémie a eu pour effet de ralentir la mise en œuvre de certains projets », précise Jean-Marc Grosgurin, l’ambassadeur de France, qui évoque des réaffectations de financements, mais pas de coupes.

Pourtant, s’agace le diplomate, « depuis 2018, plusieurs partenaires internationaux, dont la France, font l’objet en Centrafrique de campagnes de désinformation systématiques et structurées ». Après avoir proposé de régler la facture d’un serveur de secours destiné à l’Autorité nationale des élections (ANE), la France a ainsi été accusée par certains médias locaux de vouloir truquer le scrutin. L’ambassade a alors annoncé que « face à cette atmosphère délétère », elle n’apporterait pas « de nouveaux financements au processus électoral ». Une décision qui pourrait préfigurer un tournant dans la politique d’attribution des aides si ces attaques se poursuivaient.

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