Africa-Press – CentrAfricaine. Une délégation centrafricaine, conduite par le ministre des Transports et de l’Aviation civile, Gautron Djono Ahaba, s’est rendue en Ouganda pour négocier des liaisons aériennes directes entre Bangui, Djouba (Soudan du Sud) et Kampala.
Ce projet, présenté comme un levier pour l’intégration régionale et le développement économique, inclut un accord avec Uganda Airlines et des plans pour moderniser des aérodromes dans l’Est de la Centrafrique. Si l’ambition est louable, l’histoire des initiatives similaires dans la région et les réalités économiques nationale invitent à un scepticisme prudent.
Lors de cette mission tripartite, le ministre Djono Ahaba a signé un accord de coopération aérienne avec l’Ouganda, ouvrant la voie à des vols d’Uganda Airlines vers Bangui, avec des escales possibles à Djouba ou Kinshasa. L’objectif: simplifier les déplacements régionaux, souvent compliqués par des itinéraires aberrants via Addis-Abeba ou Lomé. « Nous voulons réduire les coûts et les temps de trajet pour les voyageurs et les commerçants », a déclaré le ministre, selon des propos rapportés par la Radio-Centrafrique.
Pourtant, ce type de projet n’est pas nouveau, et les échecs passés incitent à la prudence. Kenya Airways a suspendu ses vols vers Bangui en août 2024, invoquant une demande insuffisante et des pertes financières. Ethiopian Airlines, qui opère sporadiquement dans la région, lutte pour rentabiliser ses lignes, même avec des escales stratégiques. D’autres compagnies, comme Air Gabon ou South African Airways, ont également déserté Bangui après des tentatives infructueuses. Le point commun de ces échecs? Un manque criant de passagers capables de payer des billets d’avion. Rien ne garantit qu’Uganda Airlines, une compagnie encore modeste, parviendra à surmonter cet obstacle structurel.
Le projet inclut également la construction ou la réhabilitation d’aérodromes dans l’Est de la Centrafrique, notamment dans des régions comme la Vakaga ou la Haute-Kotto, pour désenclaver ces zones et stimuler les échanges avec le Soudan du Sud et l’Ouganda. Éric Rokosekamo, ministre des Travaux publics, a évoqué une feuille de route et des études techniques déjà réalisées. Mais la faisabilité de ce volet soulève des doutes.
Ces régions, parmi les plus isolées du pays, sont marquées par l’insécurité, avec des groupes armés toujours actifs, et un réseau routier quasi inexistant. Construire des aérodromes dans un tel contexte représente un défi technique et sécuritaire majeur, sans parler des coûts élevés. Surtout, la question de la demande reste centrale: qui utilisera ces infrastructures? Avec plus de 70 % de la population centrafricaine vivant sous le seuil de pauvreté (Banque mondiale, 2024), les habitants de ces zones n’ont pas les moyens de voyager par avion. Les commerçants locaux, quant à eux, privilégient les motos ou les camions pour acheminer leurs marchandises vers le Soudan du Sud, où le commerce informel domine.
Les promoteurs du projet mettent en avant l’intégration régionale, avec des promesses de commerce dynamisé, de tourisme d’affaires et de coûts logistiques réduits. Mais ces arguments peinent à convaincre. Les échanges commerciaux entre la Centrafrique, l’Ouganda et le Soudan du Sud sont marginaux. La RCA exporte principalement via le corridor Douala-Bangui, et ses partenaires régionaux, confrontés à leurs propres crises économiques et sécuritaires, ne représentent pas des marchés prioritaires. Le tourisme d’affaires, quant à lui, reste anecdotique dans des capitales comme Bangui ou Djouba, loin des hubs régionaux comme Nairobi.
Pour que des vols réguliers soient viables, il faudrait une demande soutenue, or celle-ci est quasi inexistante. Les rares voyageurs d’affaires ou fonctionnaires internationaux préfèrent les compagnies établies ou les routes terrestres, malgré leurs contraintes. Sans un volume significatif de passagers, les vols risquent de voler à perte, comme l’ont appris à leurs dépens d’autres compagnies.
Face à ces ambitions aériennes, une question s’impose: ce projet répond-il aux besoins réels des Centrafricains? Dans un pays où l’accès à l’eau potable, à l’éducation ou à la santé reste un défi pour des millions de personnes, investir dans des aérodromes ou subventionner des vols semble déconnecté des priorités. Améliorer les routes, par exemple, permettrait aux agriculteurs d’écouler leurs produits plus facilement, avec un impact direct sur l’économie locale. De même, renforcer les infrastructures de base dans l’est du pays serait plus utile que des aéroports qui risquent de rester déserts.
Le Soudan du Sud, en pleine crise humanitaire, et l’Ouganda, focalisé sur ses propres dynamiques économiques, ne semblent pas non plus prêts à faire de ce projet une priorité. Sans une stratégie claire pour stimuler la demande et garantir la rentabilité, cette initiative pourrait n’être qu’un mirage de plus.
L’accord avec Uganda Airlines et les discussions sur les aérodromes témoignent d’une volonté de coopération régionale, mais les obstacles sont redoutables. L’histoire des liaisons aériennes en Centrafrique est jalonnée d’échecs, et ce projet, malgré ses bonnes intentions, risque de suivre le même chemin. Pour réussir, il faudrait non seulement une stabilité accrue, mais aussi une transformation économique profonde, capable de créer une classe de voyageurs et de commerçants prêts à prendre l’avion. En l’état, ces conditions semblent loin d’être réunies….
Source: Corbeau News Centrafrique
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