Panne d’internet : « L’Afrique a fait d’énormes progrès sur la résilience de ses réseaux depuis quinze ans »

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Panne d’internet : « L’Afrique a fait d’énormes progrès sur la résilience de ses réseaux depuis quinze ans »
Panne d’internet : « L’Afrique a fait d’énormes progrès sur la résilience de ses réseaux depuis quinze ans »

Quentin Velluet

Africa-Press – CentrAfricaine. Vice-président pour l’Afrique de l’association Internet Society, Dawit Bekele revient sur les récentes ruptures de câbles sous-marins qui ont ralenti l’internet ouest-africain ces derniers jours et mis en lumière la nécessité d’une meilleure résilience du continent.

Voilà un peu plus de 48 heures que le Léon Thévenin, navire câblier de la flotte d’Orange Marine, a largué les amarres et quitté le port du Cap, en Afrique du Sud, pour rejoindre les côtes ivoiriennes. En huit à dix jours environ, le bâtiment sera arrivé sur la zone où, le jeudi 14 mars, quatre câbles sous-marins de fibre optique qui nourrissent en capacité internet une dizaine de pays de la façade atlantique de l’Afrique ont été rompus par un éboulement sous-marin.

Ce dernier aurait, selon plusieurs experts, été provoqué par une secousse sismique intervenue au niveau du Trou-sans-fond, « un très vaste canyon qui débute au ras de la côte d’Abidjan et se termine 220 kilomètres plus loin, à 5 000 mètres de profondeur, dans la plaine abyssale de Guinée », comme le décrit le géologue Louis Martin dans un ouvrage publié en 1974. L’incident, qui a bloqué l’accès à internet à des millions d’internautes pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours dans certains pays, a pour sa part été repéré à une distance de 114 à 198 kilomètres des côtes, selon nos informations.

Quatre à cinq jours de réparation

Le Léon Thévenin aura besoin de quatre à cinq jours pour réparer le câble SAT3, dont il détient le contrat de maintenance. Son homologue britannique de Global Marine, se chargera quant à lui de la réparation des câbles ACE, WACS et MainOne.

De mémoire de spécialiste, jamais un tel événement ne s’était produit dans ce canyon, au contraire de celui formé à l’embouchure du fleuve Congo, qui malmène plus régulièrement ces autoroutes de l’information qui connectent le continent au reste du monde. L’Afrique serait-elle la région la plus touchée par ces ruptures de câbles ? Leurs conséquences sur la capacité des utilisateurs à se connecter y est-il plus important qu’ailleurs ?

Pour Jeune Afrique, Dawit Bekele, vice-président pour l’Afrique de l’organisation Internet Society, qui promeut et coordonne le développement des réseaux informatiques dans le monde, répond à ces questions qui touchent autant à la résilience numérique du continent, c’est-à-dire sa capacité à fournir une connectivité fiable indépendamment des soubresauts techniques, qu’à sa souveraineté.

Jeune Afrique: Les médias, dont Jeune Afrique, se font régulièrement l’écho d’incidents entraînant des coupures de câbles internet sous-marins au large de l’Afrique. Le continent est-il plus touché que les autres par ces incidents ?
Dawit Bekele: Ces coupures sont très fréquentes, de l’ordre d’une centaine par an dans le monde. Bien souvent nous n’en entendons pas parler parce que la résilience des réseaux dans les régions dans lesquelles ces incidents ont lieu est suffisante et ils donc sans effet sur les utilisateurs finaux.

En Afrique, la situation est différente. Je ne suis pas en mesure d’affirmer que le continent est le plus affecté par ces coupures, mais ce dont je suis sûr, c’est que nous n’entendrions pas parler de cela si la résilience des réseaux était suffisante. Plus on a de câbles reliant un pays, moins les problèmes de coupures font événement.

Selon vous, le continent est donc encore sous-équipé en matière d’infrastructure télécoms ?

Rappelons tout de même le caractère exceptionnel de ce récent incident qui a coupé quatre câbles desservant de nombreux pays et des millions d’utilisateurs, au même endroit, au même moment. Par ailleurs, le continent a fait d’énorme progrès en matière de résilience ces quinze dernières années. Je me souviens qu’en 2009, aucun câble ne reliait l’Afrique de l’Est à l’international. Aujourd’hui, une quinzaine de câbles relient l’Afrique de l’Ouest au reste du monde, et une douzaine en Afrique de l’Est.

Du reste, l’Afrique est encore insuffisamment équipée [avec 35 % de taux de résilience, elle figure à la dernière place de l’indice de résilience internet de l’Internet Society, NDLR]. Les récentes coupures ont néanmoins mis en lumière des différences selon les pays. Certains, comme la Côte d’Ivoire, ont retrouvé une situation normale très rapidement, tandis que d’autres, comme le Togo ou le Nigeria, ne comptaient que 25 % du trafic normal 24 heures après le début de l’incident. L’Afrique du Sud, qui est à la fois connectée aux câbles des façades ouest et est, n’a pour sa part ressenti pratiquement aucun effet de ces coupures.

Que faut-il à un pays pour être parfaitement résilient ?

La résilience est le fait de pouvoir maintenir un niveau de service acceptable face à des événements qui peuvent entraver le fonctionnement normal des réseaux. Trois ingrédients sont essentiels à sa mise en place. Il faut une multiplicité (plusieurs connexions internationales) et une diversité de connectivité.

Il faut aussi disposer d’un point d’échange internet local qui facilite l’interconnexion entre plusieurs opérateurs. Car un pays peut être doté de plusieurs opérateurs connectés chacun à un seul câble, mais si ces acteurs ne partagent pas entre eux leur capacité, une coupure peut affecter l’ensemble des utilisateurs d’un opérateur concerné par une coupure sans que ce dernier ne puisse emprunter de la capacité à ses concurrents.

Dans le cas qui nous intéresse, la Côte d’Ivoire a donné l’exemple avec deux de ses opérateurs [Orange et MTN] qui ont pu se brancher au câble de Moov grâce à un point d’échange qu’Internet Society a contribué à installer dans le pays.

Le troisième ingrédient est de disposer de compétences techniques locales. Elles permettent non seulement de répondre à des situations d’urgence, mais aussi de prévenir ces problèmes grâce à la mise en place de stratégies de réponse.

Les notions de résilience et de souveraineté numérique sont-elles finalement compatibles ?

Je ne sais pas si les deux notions peuvent s’allier parfaitement. Le fait, pour un État, d’accepter que plus de câbles puissent atterrir sur son territoire peut contribuer à la résilience, mais ces câbles peuvent aussi être contrôlés par d’autres pays. Une chose est sûre, c’est que les pays plus ouverts, donc plus connectés, sont plus résilients que les pays fermés, qui sont peut-être plus souverains.

Les nouvelles offres satellitaires de basse orbite comme Starlink peuvent-elles constituer un nouvel élément de résilience pour les États ?

Oui, bien qu’elles comportent des limites. Leur latence et leurs débits sont acceptables. Et ces satellites peuvent être très utiles lors de catastrophes naturelles et autres situations d’urgence. Mais je ne pense pas qu’elles puissent remplacer des câbles sous-marins et absorber un trafic normal.

Source: JeuneAfrique

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