Russie en Afrique: Puissance Économique Illusoire

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Russie en Afrique: Puissance Économique Illusoire
Russie en Afrique: Puissance Économique Illusoire

Louise Margolin

Africa-Press – CentrAfricaine. À l’offensive sur les plans diplomatique et sécuritaire en Afrique, la Russie investit aussi l’économie pour asseoir son influence. Avec des résultats contrastés.

« Nous avons vraiment l’intention de développer de manière globale notre interaction avec les pays africains, en nous concentrant principalement sur l’économie et l’investissement », affirmait Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, le 9 juin dernier. De fait, ces derniers mois, la Russie multiplie les annonces d’investissements: Rosatom enchaîne les accords avec les gouvernements africains pour la construction de centrales nucléaires et lorgne l’uranium nigérien, un projet d’oléoduc au Congo, le blé russe inonde le continent et les « flottes fantômes » livrent du carburant malgré les sanctions.

En fait, cette offensive économique remonte à une dizaine d’années. « En 2012, Vladimir Poutine redevient président et il décide d’orienter sa diplomatie vers les territoires non occidentaux », notamment l’Afrique, explique Igor Delanoë, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Pour réaliser son dessein – refaire de la Russie une grande puissance et affaiblir l’Occident –, le Kremlin use de tous les moyens: politique, militaire, médiatique, mais aussi commercial.

Les relations entre Moscou et l’Afrique ne datent toutefois pas d’hier. Pendant des décennies, l’Union soviétique a soutenu militairement des mouvements d’indépendance, accueillis des élites dans ses universités et construit des infrastructures sur le continent. L’effondrement du bloc soviétique en 1991 et le marasme économique qui a suivi mettent un coup d’arrêt à cette implication. En 2010, le pays s’est relevé. Il sort d’une décennie de croissance, permettant aux entreprises de suivre, voire, pour certaines, de devancer les ambitions du Kremlin.

Extractif et exportations

La Russie reprend alors pied en Afrique au travers des secteurs qu’elle maîtrise le plus: les hydrocarbures et les mines. Ces secteurs sont contrôlés par des entreprises d’État ou des oligarques proches du pouvoir. Lukoil investit dans des champs pétrogaziers au Ghana, au Cameroun, au Nigeria puis au Congo ; Rosneft signe dans le gaz mozambicain ; Rostec et Vi Holding entrent dans le platine au Zimbabwe… Tandis que ceux déjà présents en Afrique se renforcent, tel Alrosa qui a augmenté sa participation dans la mine de diamants angolaise de Catoca. Ou encore Nordgold qui, après la Guinée, acquiert un deuxième projet d’or en Afrique de l’Ouest, au Burkina Faso, en 2016. Quant à Rusal, le groupe relance pour de bon la raffinerie d’alumine de Fria, en Guinée, achetée dès 2003.

La relation commerciale s’appuie également sur l’exportation de produits russes vers le continent: armes, blé, engrais, hydrocarbures, machines. Mais pas uniquement, puisque des acteurs de la tech se sont déployés ces dernières années sur le continent. En témoigne, en 2018, le VTC Yango, filiale du conglomérat russe Yandex, qui s’est implanté en Côte d’Ivoire avant de conquérir une dizaine de marchés supplémentaires sur le continent.

Le premier sommet Russie-Afrique, qui se tient à Sotchi, en 2019, doit marquer un tournant et le début d’un assaut majeur sur tout le continent. L’événement est un succès: les 54 pays africains sont représentés et 92 accords sont signés, d’une valeur de 1 004 milliards de roubles (10 milliards d’euros). Vladimir Poutine affirme à l’époque que les échanges avec l’Afrique ont doublé en cinq ans, dépassant les 20 milliards de dollars, et qu’ils doubleront dans les cinq années suivantes.

Aujourd’hui, force est de constater que l’objectif n’a pas été atteint. En 2024, les échanges plafonnent à 24,5 milliards de dollars, dont 21,2 milliards d’exportations russes. L’essentiel du commerce est réalisé avec trois pays: l’Égypte, l’Algérie et l’Afrique du Sud.

L’impact des sanctions

Ceci s’explique en partie par les sanctions à l’encontre de la Russie à la suite de son invasion de l’Ukraine. Dans son rapport « Les effets contradictoires des sanctions occidentales sur les relations économiques russo-africaines », Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations internationales, explique que « les sanctions ont entravé l’expansion des investissements russes » dans l’extractif. « Privées des financements nécessaires à leur expansion, les compagnies extractives russes ont dû adopter des stratégies de repli ». Leurs partenaires ont parfois préféré se séparer d’elles, car « faire des affaires avec des entreprises russes est devenu à la fois plus compliqué et plus coûteux », ajoute-t-il dans son rapport. Alrosa a ainsi dû quitter le capital de la mine de Catoca, en Angola.

Cependant, les exportations se poursuivent. Malgré les besoins sur le front ukrainien, des armes sont encore envoyées en Afrique. Les hydrocarbures à bas coût affluent vers de plus en plus de pays. Moscou a également recours à une « diplomatie de la céréale« , fournissant du blé à prix compétitifs, et parfois gratuitement, pour prendre des parts de marché aux Occidentaux et aux Ukrainiens mais aussi renforcer son influence.

Les sociétés russes continuent néanmoins de miser sur le continent, terre accueillante avide de diversification de ses partenariats. Ainsi, « la Russie cherche à ouvrir des corridors logistiques vers l’Afrique subsaharienne, explique Igor Delanoë. La société A7 Holding vient de lancer une nouvelle route maritime depuis Novorossiisk vers Lagos, en passant par Dakar ». Il évoque aussi l’implantation de la chaîne de restauration rapide Dodo Pizza au Maroc et au Nigeria, la présence du spécialiste de la cybersécurité Kaspersky et le succès de Yango.

Un intérêt pour le continent qui s’explique aussi, selon Ebenezer Obadare, senior fellow au Council on Foreign Relations, par le fait que « la Russie a besoin de l’Afrique, notamment de son or et de ses diamants ». L’or, exploité entre autres par les mercenaires de Wagner en Centrafrique, soutient les revenus et la monnaie russes. En parallèle, Moscou recrute des Africains pour travailler dans ses usines de drones.

Géant politique, nain économique

Malgré tout, la Russie reste un nain économique. En 2024, quand l’Afrique échangeait à hauteur de 24,5 milliards de dollars avec la Russie, le niveau était de 104,9 milliards avec les États-Unis, 295,56 milliards de dollars avec la Chine et, 355 milliards avec l’Union européenne.

« La Russie est un géant politique dépourvu de capacités économiques. Elle promet beaucoup, mais que peut-elle faire concrètement? », s’interroge Ebenezer Obadare. Avec des finances limitées, encore plus du fait de la guerre en Ukraine, la Russie et ses entreprises ne peuvent pas toujours financer les projets annoncés. Sa présence économique tient beaucoup de l’affichage. Elle négocie et signe des accords pour « projeter l’image d’une grande puissance économique capable d’exporter son savoir-faire, d’en faire profiter les nations pauvres qui subissent le joug de « l’Occident collectif » », explique Thierry Vircoulon dans son rapport. De quoi, avant tout, servir sa stature géopolitique.

Source: JeuneAfrique

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