Les crises sanitaires de la Centrafrique

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Africa-PressCentrAfricaine. Sept ans après le début d’un conflit meurtrier, la République centrafricaine votait pour les élections présidentielles et législatives il y a huit jours. Aucun incident n’a été signalé à Bangui, alors que, dans plusieurs localités du reste du pays, de nombreux électeurs n’ont pu aller aux urnes. Une nouvelle coalition de groupes armés a détruit du matériel électoral ou semé la peur parmi la population. Malgré un accord de paix signé il y a près de deux ans, l’insécurité persistante maintient les Centrafricains face à des difficultés d’accès aux soins de santé.
Ici, la COVID-19 est une maladie secondaire, avec seulement 4963 cas et 63 décès en date du 2 janvier. C’est un tueur médiocre comparé au paludisme, à la malnutrition, à la tuberculose, au VIH-sida, à la mortalité maternelle et néonatale. Dans la région de Ouaka, par exemple, le manque d’argent, les routes dangereuses ou l’absence de médecins pour pratiquer une césarienne sont responsables de bien plus de morts que le coronavirus.
Avec les nouvelles violences et l’avancée de la coalition de groupes armés dans le pays, les mouvements humanitaires sont très restreints et une nouvelle crise se profile à l’horizon. Même si Bambari a été proclamée « ville sans armes », elle a été attaquée et ses bâtiments administratifs pillés à quelques jours du scrutin. Le vote du dimanche 27 décembre y a aussi été partiellement interrompu. La photojournaliste québécoise Adrienne Surprenant était sur place pour Médecins sans frontières (MSF) au début du mois. Elle relate ses rencontres pour Le Devoir.
1. Awa Moussa, 30 ans et mère de huit enfants, s’occupe de Bilal, six mois, dans l’unité de malnutrition de l’hôpital de Bambari, le 5 décembre dernier. C’est la quatrième fois qu’elle vient à l’hôpital, et la deuxième pour soigner la malnutrition du bébé. Avec le conflit, sa famille a perdu tout le bétail qu’elle avait dans la ville d’Ippy et est maintenant forcée de vivre avec le peu d’argent qu’elle gagne. Son mari ramasse du bois pour le vendre. Depuis qu’elle a fui, elle a toujours été malade, avec un mal de gorge et des blessures à la bouche, vomissant parfois du sang, mais elle est incapable de se payer les traitements nécessaires. Les problèmes de santé de sa famille remontent à leur déplacement. Alors qu’ils étaient sur la route, un de ses enfants est tombé malade en toussant et en vomissant jusqu’à sa mort. Il était déjà grand, ce qui l’a attristée. « Nous avons tellement souffert sur la route », se souvient-elle. « C’est seulement en arrivant sur place que nous avons réussi à guérir un peu. Je me souviens que je me suis sentie heureuse d’arriver, même si nous avions perdu nos affaires et notre famille. »
2. Aboubakar Sidik dort dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital de Bambari. « Nous ne pensions pas que l’enfant survivrait », déclare sa tante, alors que le jeune garçon de neuf ans avait été hospitalisé inconscient, avec des spasmes et la langue sortie de sa bouche. Elle se souvient avoir pensé qu’il était mort sur la moto qui l’avait amené à l’hôpital ainsi que ses deux parents depuis leur village de Gotcheke, à plus de 60 kilomètres de Bambari. Lidi Fatimatou, la mère d’Aboubakar, avait déjà fait trois fausses couches et perdu deux enfants : l’un a disparu dans la forêt, le second à cause d’une maladie soudaine et brève. « Avant, nous n’avions pas de centre de santé dans le village. Il n’y avait que le bâtiment, mais pas de médecins, pas de médicaments. Je n’ai pas pu amener l’enfant ou obtenir une consultation pour moi-même », explique-t-elle. Si elle était enceinte, ou si ses enfants étaient malades, elle avait deux options : une marche de 7 kilomètres à travers la forêt dense, ou un voyage coûteux de 25 kilomètres à moto. Pourtant, elle avait connu le pire : « Pendant le conflit, c’était compliqué, il y a eu des pertes de vies humaines parce que les routes n’étaient pas accessibles. » Quand Aboubakar est tombé malade d’une malaria neurologique une semaine plus tôt, elle l’a amené au centre de santé local, mais il n’y avait pas d’examens possibles là-bas, et elle pensait qu’il irait mieux à l’hôpital de Bambari. Au bout de trois jours, l’enfant a repris connaissance. Après une semaine, il a pu marcher avec de l’aide et a été placé dans l’unité pédiatrique, où les soins sont pris en charge par Médecins sans frontières.
3. Marie Makossi, 19 ans, donne naissance à son premier enfant par césarienne. Elle a été opérée par le personnel de MSF le 8 décembre. Deux jours plus tôt, elle s’est mise à trembler au milieu de la nuit. Elle était enceinte de 8 mois et 3 semaines. Son petit ami l’a emmenée à l’hôpital sur une moto, craignant pour sa vie et celle de leur futur enfant. Dans cette situation, il est recommandé de provoquer un accouchement précoce afin de réduire le stress du bébé et de ne pas risquer la vie de la mère. Mais le 7, alors que Marie était hospitalisée, les tirs ont commencé à Bambari, gelant les activités de la ville. « Normalement, elle devait subir une césarienne. Avec les tirs, le personnel médical n’était pas présent. Ils s’étaient enfuis de chez eux ou n’étaient pas venus travailler, raconte la mère de Marie. J’étais inquiète, stressée, mais je ne pouvais pas faire grand-chose. Je n’ai pas fermé les yeux de toute la nuit, car ma fille avait des convulsions. » Le 8, Marie et le petit garçon ont survécu à la césarienne, plus complexe en raison des convulsions. Elle était entourée de sa famille lorsqu’elle a repris connaissance. Marie et son petit ami, tous deux étudiants, espéraient travailler dur pour que leurs enfants aient un bon avenir.
4. Aïssatou Adou, 20 ans, change de lit, le 5 décembre, dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital de Bambari. Elle a donné naissance à trois enfants. Elle en a perdu un sur la moto en route pour le faire soigner à l’hôpital, et est sur le point d’en perdre un deuxième : Ryana, sa fille de 9 mois a été hospitalisée pour une détresse respiratoire, et les médecins ont découvert une augmentation du volume de son cœur non guérissable avec les moyens dont ils disposent au pays. Bien qu’elle ait reçu deux séances de soutien psychologique, elle est toujours dans le déni : « Ça va un peu mieux, l’enfant n’a plus de fièvre, ne vomit plus comme avant, elle a grandi… c’est seulement à cause des troubles respiratoires qu’elle reste ici », énumère-t-elle. « Je veux seulement que l’enfant aille mieux pour qu’on puisse rentrer à la maison, je n’ai pas de soucis. » Du côté des médecins, il y a un autre pronostic. La cardiomégalie ne pourrait être traitée que si l’enfant était évacué vers un pays voisin pour une opération, mais l’ONG qui s’en occupait a abandonné ses activités. Les médecins ont traité toutes les maladies secondaires, mais la seule issue est de débrancher le bébé Ryana de l’oxygène, ce qui conduira l’enfant à une mort certaine.

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