Africa-Press – CentrAfricaine. Dans la nuit de samedi à dimanche, des coups de feu ont résonné dans Bangui. Presque la norme ces dernières nuits, et cela n’a pas empêché la capitale centrafricaine de se réveiller dans le calme ce 27 décembre, jour d’élections générales. Très tôt, les électeurs se sont rendus en groupe vers les bureaux de vote, pour choisir leur président et leurs députés. Un scrutin dont les résultats provisoires sont attendus le 4 janvier et les scores définitifs le 21 janvier pour le premier tour.
Au lycée Boganda, un des plus gros centres électoraux de la capitale, André, matinal, s’amuse de son doigt teinté de bleu à l’encre indélébile. Né sous la colonisation, le septuagénaire, qui a connu tous les régimes depuis l’indépendance, estime de son « devoir de Centrafricain » de glisser un bulletin dans l’urne. Il n’est pas le seul. Ici les files d’attente se sont vite allongées, d’autant que si le bureau a ouvert à l’heure, le matériel de vote, lui, a été livré à la dernière minute.
Toute la semaine dernière, un doute a plané sur l’organisation du scrutin, alors que les groupes armés donnaient de la voix et avaient bloqué une partie des routes du pays.
Depuis la crise politico-militaire de 2013, la Centrafrique est en grande partie occupée par des groupes armés et régulièrement secouée par des troubles sécuritaires. La signature d’un accord de paix entre quatorze groupes et le gouvernement en février 2019 a permis une période de relative stabilité, et laissé croire à la possibilité de vivre des élections apaisées. Mais en cette fin d’année, à l’approche du scrutin, une nouvelle Coalition des patriotes pour le changement (CPC) a vu le jour, fusionnant des groupes puissants autrefois ennemis qui tous rejettent l’accord de paix et voulaient le report des élections. De nombreux affrontements ont depuis eu lieu entre ces miliciens et les forces armées centrafricaines, la Minusca (la mission de maintien de la paix des Nations unies), ainsi que des renforts russes et rwandais arrivés ces derniers jours.
Loin d’effrayer Hervé, ce contexte a renforcé son envie de voter. Ce 27 décembre, il est aussi venu de bonne heure pour récupérer sa carte d’électeur biométrique. Cette nouveauté dans le pays permettra, espère-t-il, d’« éviter les doublons » et fera « la différence avec les autres scrutins ». Mais par-delà la technique, Hervé, André, et plus encore Nicole, une mère de famille présente elle aussi, n’ont qu’un mot à la bouche : « la paix ». C’est pour elle qu’ils votent, plus que pour des candidats, car comme les autres votants, ils veulent imaginent qu’elle sortira des urnes.
Un souhait largement partagé par les 5 millions d’habitants de ce petit pays d’Afrique centrale, qui savent les équilibres très précaires. Au lycée Boganda, c’est sous bonne protection, nationale et internationale, que le président Faustin-Archange Touadéra, candidat à sa succession, a voté en matinée, et rappelé l’importance de ce moment. « Je pense que la bonne voie pour le développement, pour l’épanouissement et le bien-être de notre pays et de nos populations, c’est le libre choix des dirigeants par le peuple », a-t-il déclaré après avoir glissé son bulletin.
Au PK5, un quartier à majorité musulmane, les électeurs n’ont pas non plus boudé les urnes et, durant la matinée, les files se sont allongées devant les bureaux. A l’école Koudougou, Oumar, un habitant du quartier, rappelle au passage qu’il est « contre l’anarchie et le complotisme ». C’est la raison de sa présence ici ce dimanche. Son quartier, toujours en partie sous la coupe de groupes d’autodéfense, a connu jusque très récemment de très fortes périodes d’insécurité, qui rendent le quotidien difficile. Mais ce matin, pas de trace de désordre. La sécurité est assurée et les blindés de la Minusca, bien visibles, patrouillent régulièrement.
D’ailleurs, le réseau d’observateurs postés dans Bangui et sa proche banlieue a lui aussi noté le bon déroulement du scrutin. Leur récapitulatif de mi-journée rapportait même « une affluence des électeurs à l’ouverture des bureaux » et une file d’attente devant les deux tiers des lieux de vote.
Si Hervé se dit rassuré par le calme qui règne dans la capitale, la situation dans le reste du pays le laisse plus dubitatif et il craint que de nombreux Centrafricains n’aient pu se déplacer. Depuis une bonne semaine, la CPC s’est en effet rendue maître de plusieurs villes, empêchant la mise en place du matériel électoral et provoquant des troubles suffisamment importants pour que les élections ne puissent pas se tenir.
« Les gens n’ont pas pu voter dans une bonne moitié du pays »
, résume Anicet-George Dologuele, un des principaux opposants à Faustin-ArchangeTouadéra, qui a toute la journée invité les Centrafricains à se rendre en masse aux urnes. De son côté, l’ancien président François Bozizé, dont la candidature a été invalidée par la Cour constitutionnelle, appelait lui au boycottage. Celui qui est désormais fortement soupçonné d’être derrière la création de la CPC et appelait depuis plusieurs jours à voter Dologuélé a donc changé tardivement de stratégie. Tôt ce dimanche matin, dans un message audio diffusé sur les réseaux, il a cette fois demandé aux Centrafricains de ne pas se rendre aux urnes. Un appel peu suivi si l’on en croit l’afflux dans la capitale.