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L’Inspection générale d’État, ce rouage censé huiler la machine centrafricaine, rouille dans l’oubli. Elie Oueifio, dans son livre coup de poing, s’interroge: peut-elle encore débloquer les barrages qui strangulent la paix, ou n’est-elle qu’un vestige inutile?
Dans un pays comme la République centrafricaine (RCA), où chaque jour ressemble à une marche sur un fil au-dessus d’un ravin, on pourrait espérer un vigile, un gardien des rouages, qui veille à ce que la machine ne s’enraye pas. L’Inspection générale d’État (IGE) aurait dû être cet œil d’aigle, ce tournevis magique pour dégripper les blocages qui maintiennent le pays dans une valse sans fin de crises. Mais à en croire Elie Oueifio, dans son livre qui remue les tripes, Quand la politique des mains tendues du président Touadéra soulève des interrogations et réflexions, cet outil est plus un fossile qu’un levier. « Si cette institution avait conservé son autorité, sa rigueur et son efficacité jadis, elle aurait déverrouillé la situation de la politique des mains tendues plongée dans le noir », écrit-il, amer. Alors, partons fouiller dans ce tiroir poussiéreux: l’IGE peut-elle encore jouer les sauveurs, ou est-elle condamnée à rouiller dans un coin?
Remontons le fil. À ses heures de gloire, l’Inspection générale d’État était une sentinelle qui faisait trembler les bureaux. Oueifio se souvient d’un temps où « les sorties et missions officielles de cette institution faisaient trembler les administrations publiques, les entreprises et sociétés d’État ». Sous des figures comme Galen Douath, paix à son âme, , elle avait du mordant: elle traquait les dérives, alignait les fonctionnaires au cordeau, veillait à ce que les décrets du président ne restent pas des mots jetés au vent. C’était une époque où un inspecteur débarquant dans un ministère, c’était comme un orage qui s’annonce, tout le monde se mettait au pas, cravate bien nouée, dossiers en ordre.
Mais ce temps-là s’est évaporé. Aujourd’hui, l’IGE traîne des savates, réduite à un rôle de figurant. Oueifio la décrit sans pitié: « Réduite à un simple service de réformes des véhicules d’État, et dépourvue de moyens humains, matériels et financiers adaptés aux exigences de l’institution ». Plus de missions qui claquent, plus de regards qui fouillent. À la place, une coquille vide, un vieux marteau sans manche, incapable de taper là où ça fait mal. Et pendant ce temps, les blocages: corruption, incompétence, sabotages, s’empilent comme des épaves sur une route déjà encombrée.
Ces blocages, Oueifio les nomme sans détour: ce sont les « mauvaises pratiques de l’administration », les « nominations de complaisance », la « commercialisation des services » qui ont transformé les ministères en bazars où les incompétents paradent pendant que les capables ravalent leur sueur. Prenez la politique des mains tendues de Touadéra, ce grand dessein de réconciliation lancé en 2016. Elle aurait dû être une vague qui emporte les rancunes, mais elle s’est heurtée à des murs. Les ministères, censés la porter, ont trébuché: l’Administration du territoire n’a pas su rallier les provinces, les Affaires étrangères ont laissé les exilés dans le brouillard, la Justice a cogné là où elle aurait dû apaiser.
Et l’IGE dans tout ça? Elle aurait pu être la clé pour ouvrir ces cadenas. « Sa mission première consiste à suivre, à contrôler et à évaluer la mise en œuvre effective de toutes les décisions prises au sommet de l’État », rappelle Oueifio. Vérifier si les décrets deviennent des actes, si les ministères marchent droit, si les promesses ne s’évaporent pas en fumée. Mais sans moyens, sans nerf, elle regarde passer le train du chaos, les bras ballants. Les parasites – ces « manipulateurs » qu’Oueifio fustige – s’en frottent les mains: pas de vigile, pas de comptes à rendre. Résultat? Les routes restent coupées, les villages à l’abandon, et la paix, un mirage qui s’éloigne.
Pourtant, tout n’est pas perdu. Oueifio ne jette pas l’IGE au feu: il y voit encore un éclat, une braise qu’on peut raviver. « Elle aurait déverrouillé la situation en aidant le président à prendre des grandes décisions suites à de bons renseignements », insiste-t-il. Imaginez un instant: une IGE remis sur les rails, avec des inspecteurs qui débarquent dans les bureaux comme des vents frais, qui traquent les embrouilles, qui s’assurent que les mains tendues ne restent pas un slogan mais deviennent des ponts solides. Une IGE qui fait trembler les profiteurs, qui remet les compteurs à zéro, qui donne au président des yeux pour voir là où les flatteurs le rendent aveugle.
Mais pour ça, il faut du muscle. Des moyens, d’abord – pas des miettes, mais un vrai budget pour envoyer des équipes dans les provinces, pour fouiller les placards. Des hommes, ensuite – pas des copains placés là pour faire joli, mais des gars carrés, des incorruptibles, comme ces « hommes capables » qu’Oueifio appelle de ses vœux, puisant dans Exode 18:21. Et une volonté, surtout: celle de Touadéra, de couper les cordes des « sirènes » qui le bercent de mensonges et de remettre cet outil au travail.
Car l’enjeu, il est là, brut et simple: sans une IGE qui cogne, la RCA reste coincée. Les mains tendues de Touadéra, si belles sur le papier, s’enlisent dans un marais où les blocages – corruption, divisions, inertie – s’entassent comme des vieux pneus. Oueifio le dit avec des mots qui piquent: « Les populations ne peuvent pas librement aller au champ, à la pêche ni à la chasse ». C’est pas juste une phrase, c’est un uppercut: un pays où les gens ne vivent plus, ils survivent, parce que l’État, censé les protéger, est grippé jusqu’à la moelle.
Raviver l’IGE, c’est plus qu’une réforme: c’est un sursaut. Un moyen de faire tomber les murs, de libérer les ministères de leurs chaînes, de redonner au peuple un peu d’air. Ça veut dire des routes qui s’ouvrent, des écoles qui respirent, des champs qui reverdissent. Ça veut dire une RCA qui ne soit plus un musée de promesses rouillées, mais un atelier où les choses avancent. Oueifio y croit, et il nous défie d’y croire aussi: l’outil est là, grippé, oui, mais pas cassé. À nous de le dégripper.
Il est à noter que l’Inspection générale d’État, bijou terni de la RCA, dort dans un coin pendant que les blocages étouffent le pays. Elie Oueifio, avec sa voix qui secoue, nous met au pied du mur: cet outil peut-il encore décoincer la machine? Peut-être, si Touadéra le sort de la naphtaline et lui redonne des griffes. Sinon, les mains tendues resteront un geste vide, et la RCA, une promesse qui s’effrite dans le vent.
Source: Corbeau News Centrafrique
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