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Le 27 octobre, le ministère de la Justice a publié un communiqué en réponse à la plainte déposée à la CPI contre le président Touadéra et certains membres du gouvernement. Le texte, long de plusieurs pages, rejette les accusations, accuse les auteurs de la saisine de “manipulation politique” et vante la justice nationale. Une position jugée “pathétique” par plusieurs juristes, qui y voient une tentative d’étouffer la vérité. Le politologue Dr Cyriaque Gazagbaya livre ici son analyse.
CNC: Bonjour, Dr Gazagbaya. Le ministère de la Justice a publié un long communiqué dénonçant la plainte déposée devant la Cour pénale internationale (CPI) par le collectif des Douze Apôtres. Quelle première impression ce texte vous laisse-t-il?
Dr Cyriaque Gazagbaya: Franchement, ce communiqué ressemble à une justification politique plus qu’à une réponse juridique. Le ministère tente de défendre l’indéfendable: il parle de souveraineté judiciaire alors que la justice centrafricaine ne peut, dans les faits, ni enquêter ni juger le président de la République et ses proches. C’est une manœuvre classique pour détourner l’attention, sans jamais répondre au fond des accusations.
CNC: Le gouvernement affirme que la justice nationale est “pleinement compétente” et que la Cour pénale spéciale suffit. Est-ce exact?
Dr Gazagbaya: Non, pas du tout. La Cour pénale spéciale (CPS) ne peut pas juger le chef de l’État, ni ses ministres en fonction. Elle est limitée à certains crimes commis par des groupes armés, pas aux crimes d’État. Or, la plainte à la CPI vise précisément des crimes commis par les autorités elles-mêmes, avec le concours de forces étrangères. C’est donc une affaire qui dépasse totalement la compétence de la CPS.
CNC: Le communiqué évoque une “cabale médiatique orchestrée depuis l’étranger”.
Dr Gazagbaya: C’est une expression politique, pas juridique. La CPI accepte les communications venant de tout individu ou organisation qui détient des informations crédibles sur des crimes graves. Parler de cabale, c’est chercher à intimider les plaignants et à diaboliser la diaspora. C’est aussi oublier que la majorité des victimes vivent encore dans la peur à Bangui et ne peuvent pas parler librement.
CNC: Le ministère assure que les juridictions nationales sont actives et que les crimes graves sont déjà poursuivis.
Dr Gazagbaya: C’est faux. Prenons un seul exemple: le cas d’Assane Bouba, arrêté en novembre 2021, poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, puis libéré quelques jours plus tard. Aujourd’hui, il est membre du gouvernement. Si la justice nationale était indépendante, cette situation serait impossible. Ce cas illustre parfaitement la protection politique accordée à certains responsables.
CNC: Le communiqué met aussi en cause l’avocat Philippe Larochelle, qu’il présente comme défenseur des groupes armés.
Dr Gazagbaya: Là encore, on détourne le débat. Me Larochelle agit en avocat, pas en chef de rébellion. Le droit international reconnaît à toute victime ou organisation le droit de mandater un avocat pour saisir la CPI. L’attaquer personnellement montre la nervosité du régime. Quand un gouvernement commence à insulter les avocats au lieu de contester les preuves, c’est qu’il n’a plus d’arguments.
CNC: Le ministère promet de “punir les auteurs d’incitation à la haine et à la révolte”.
Dr Gazagbaya: Ce passage est révélateur. Le pouvoir ne parle pas des massacres, des exécutions ou des disparitions forcées ; il parle d’“incitation”. C’est une inversion totale des priorités. En réalité, cette menace vise à faire taire toute voix critique. Dans un pays où la justice est sous contrôle du pouvoir et de ses alliés étrangers, ce genre de phrase annonce souvent des arrestations arbitraires.
CNC: Le gouvernement réaffirme sa “coopération exemplaire” avec la CPI.
Dr Gazagbaya: La coopération ne se mesure pas avec des mots mais avec des actes. Où sont les transmissions de dossiers, les demandes d’entraide, les procès des responsables? Aucun haut fonctionnaire ni ministre n’a jamais été inquiété. Les seules procédures visent des opposants ou des chefs rebelles. La justice nationale sert de bouclier, pas de garde-fou.
CNC: Certains estiment que la saisine de la CPI fragilise la paix sociale.
Dr Gazagbaya: La paix sans justice est une illusion. Tant que les auteurs des crimes les plus graves resteront protégés, aucune réconciliation n’est possible. Le rôle de la CPI, c’est justement de garantir une justice là où les tribunaux nationaux sont soumis au pouvoir exécutif. En Centrafrique, ce n’est un secret pour personne: la justice est sous tutelle politique et, désormais, militaire.
CNC: Vous voulez dire qu’il est impossible que la CPS juge un jour le président?
Dr Gazagbaya: C’est juridiquement et politiquement impossible. Le président Touadéra contrôle le Conseil supérieur de la magistrature, le parquet et la police judiciaire. Aucune procédure ne peut aboutir sans son aval. Parler de “justice nationale” dans ce contexte relève de la fiction. Le régime se cache derrière des institutions paralysées pour échapper à la justice internationale.
CNC: En conclusion, comment interprétez-vous cette sortie du ministère?
Dr Gazagbaya: C’est une réaction de panique. Le gouvernement sait que la plainte touche le cœur du système: les exactions commises sous couvert de sécurité nationale. Au lieu de répondre point par point, il brandit la souveraineté pour détourner le débat. Mais le droit international est clair: lorsqu’un État protège ses auteurs de crimes graves, la CPI devient compétente. Et c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui en Centrafrique.
CNC: Dr Gazagbaya , CNC vous remercie vivement de votre analyse jugée très pertinente pour les centrafricains.
Dr Gazagbaya: c’est à moi de vous remercie madame la journaliste.
Source: Corbeau News Centrafrique
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