Les pionniers africains en Coupe du monde : le Zaïre de 1974

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Les pionniers africains en Coupe du monde : le Zaïre de 1974
Les pionniers africains en Coupe du monde : le Zaïre de 1974

Africa-Press – CentrAfricaine. Les Léopards du Zaïre (aujourd’hui RDC) furent la première équipe nationale d’Afrique subsaharienne à participer à une Coupe du monde de football. Les Zaïrois en 1974 champions d’Afrique espèrent marquer le tournoi qui se déroule en Allemagne de l’Ouest. L’équipe sera éliminée sans gloire dès le premier tour mais rentrera dans la légende du football africain. Récit.

Nous sommes le 18 juin 1974 dans le stade de Gelsenkirchen. Le gardien remplacant des Léopards du Zaïre, Dimbi Tubilandu, vient de s’incliner une septième fois, impuissant devant la frappe sèche de l’attaquant yougoslave, Branko Oblek. Les Léopards pour ce dernier match du premier tour de la Coupe du monde 1974 en Allemagne de l’Ouest perdront 9 à 0. La désilusion est immense.

La sélection nationale perdra ses trois matchs face à l’Écosse (0-2), le Brésil (0-3) et la Yougoslavie. Les Léopards sortent le 22 juin 1974 dépités de la compétition avec 14 buts encaissés et aucun marqué.

L’attaquant Branko Oblek vient de marquer le 7ème but de son équipe. Dimbi Tubilandu, gardien remplaçant des Léopards, ne cache pas sa frustration. AP Photo/ archives.

Les espoirs étaient pourtant grands. Le Zaïre était devenue la première équipe d’Afrique subsaharienne à participer à la Coupe du monde. La sélection à la fin des années 1960 et au début des années 1970 domine le football africain. Vainqueur de la Coupe d’Afrique des nations, les Léopards remportent le trophée à nouveau en 1974. En 1972, l’équipe avait terminé quatrième du tournoi. Le principal club de la capitale Kinshasa, le Vita Club, s’était adjugé la Coupe africaine des clubs champions en 1973.

L’ossature de l’équipe se compose alors de joueurs venant du Tout Puissant Mazembe de Lubumbashi et du Vita Club, formations habituées aux joutes continentales. “Nous avions donc une grande expérience du football international et notre sélectionneur avait lui aussi de la bouteille”, se souvient l’attaquant Kakoko Etepe, joueur majeur de la sélection, pour le site de la Fifa.

L’ancien joueur yougoslave Blagoje Vidinic avait enmmené le Maroc en 1970 au Mexique. Les Lions de l’Atlas sont alors la première équipe africaine présente dans un tournoi final de la Coupe du monde. Blagoje Vidinic fait pratiquer à son équipe un jeu direct porté vers l’offensive. Les qualifications ressemblent à un tournoi de phase finale.

L’attaquant brésilien Mirandinha est entouré par les joueurs du Zaïre après un choce avec le gardien Mwaba Kazadi ce 22 juin 1974. Le Brésil remportera le match 3 à 0 contre les Léopards.AP/Archives

Au premier tour les Zaïrois éliminent le Togo. Ils battent ensuite le Cameroun et se débarassent du Ghana. Le Zaïre affronte l’équipe du Maroc, seule sélection nationale capable de rivaliser sur le continent avec les Léopards. Ces derniers battent les Lions de l’Atlas à Kinshasa trois à zéro. Au match retour les Marocains déclarent forfait. Ce 13 décembre 1973, la liesse est totale dans les rues de Kinshasa. Les Léopards sont la première équipe africaine noire à être qualifié pour une Coupe du monde. Un peu plus de trois mois plus tard, le 14 mars 1974, les Léopard s’adjugent une deuxième Coupe d’Afrique des nations en battant la Zambie deux à zéro. Le football congolais se retrouve sur le toit de l’Afrique.

Jean Omasombo Tshonda est historien, spécialiste du Congo contemporain. Il travaille pour le Musée royal de l’Afrique centrale à Bruxelles. Enfant en 1974, il se souvient de la ferveur qui entoure alors l’épopée des Léopards.”Tout le monde était branché sur le poste de radio dans mon village. Les autorités avaient décrété que chaque village devait donner des présents, des cadeaux pour encourager et montrer son soutien aux Léopards. Nous avions, je me souviens, dans mon village, donné deux poules pour les joueurs. D’autres villages donnaient d’autres animaux aux joueurs. Les joueurs étaient adulés”, témoigne Jean Omasombo Tshonda. Des timbres et des billets, sont imprimés à l’éffigie des joueurs.

Un homme, véritable professionnel de la propagande, est derrière ce culte des Léopards, l’homme fort du régime, le colonel Mobutu Sese Seko, président de la République démocratique du Congo, devenu Zaïre, de 1965 à 1997.

“L’année 1974 est une année importante pour le régime de Mobutu. Celui-ci s’est lancé dans une politique en 1971 “d’authenticité zairienne”. Il s’agit de décoloniser culturement le pays. Il renomme le pays sous le nom de Zaïre. Il explusera ensuite au même titre qu’Amin Dada en Ouganda les entrepreneurs et travailleurs étrangers du pays. L’équipe nationale de football porte un nouveau nom, celui du nouveau nom du pays, le Zaïre, symbole de cette décolonisation culturelle. Les succès de l’équipe nationale incarnent les succès présumés du régime. Les Léopards deviennent de fait une vitrine du régime”, explique Jean Omasombo Tshonda.

L’attaquant brésilien Jairzinho marque le premier but contre les Léopard du Zaïre au stade de Gelsenkirchen le 22 juin 1974.AP photo /Archives Le président Mobutu avait clairement compris que le football est un réelle passion, une forme de religion en RDC selon Jean Omasombo Tshonda. “Encore aujourd’hui des supporteurs congolais se rendent au stade de Kinshasa en faisant 20 km à pied dans la journée ou préfèrent ne pas se nourrir pour se payer un billet pour le stade”, décrit l’historien Jean Omasombo Tshonda.

La sélection nationale foule le sol allemand début juin. La plupart des internationaux zaïrois rêvent alors de signer un contrat lucratif dans un club européen à l’issue de la phase finale.

Le premier match contre l’Écosse, perdu 2 à 0, restait encourageant pour la suite du tournoi se souvient l’attaquant Kakoko Etepe. “Nous avons bien joué contre l’Écosse et face à la Yougoslavie, nous étions tout simplement épuisés”, décrit Kakoko Etepe. Une classe d’écart, surtout sur le plan physique, existe encore entre les équipes européenne et les grandes nations d’Amérique du Sud, notamment sur le plan physique. “Pour nous, le football n’était pas une activité à plein temps”, rappelle Etepe. “Nous jouions avec notre cœur, c’était là notre qualité principale, mais cela ne nous permettait pas de gagner notre vie. Il fallait travailler à côté” se rappele la capitaine de l’équipe des Léopards pour Fifa.com. Malgré les “cadeaux” perçus dans les villages pour les Léopards, les joueurs ne vivent pas encore de leur passion.

“Nous manquions également d’expérience pour affronter ce genre de formations. Aujourd’hui, la plupart des joueurs africains qui disputent une phase finale de Coupe du Monde ont déjà joué dans des clubs européens. Ce n’était pas notre cas en 1974”, explique l’ancien attaquant international Kakoko Etepe pour le site internet de la Fifa.

Un retour au pays difficile

Le retour au pays est brutal. Personne ne vient chercher les joueurs à l’aéroport de Kinshasa. “Le régime s’en est pris au sélectionneur yougoslave Blagoje Vidinić. L’équipe nationale a perdu 9 à 0 contre la Yougoslavie, son pays d’orgine. Il était le seul responsable de la défaite après avoir oublié qu’il avait qualifié l’équipe à la Coupe du monde. Il avait remporté la Coupe d’Afrique des nations cette même année. L’erreur ne pouvait pas venir des joueurs zaïrois. Il a été rapidement expulsé du pays. Et la propagande du régime autour de l’équipe nationale s’est brusquement arrêtée du jour au lendemain”, indique l’historien.

“Mobutu Sese Seko, dans une logique très opportuniste, a jeté alors son dévolu sur un autre sport, moins populaire que le football mais capable de lui offrir une vitrine internationale, la boxe”, décrit Jean Omasombo Tshonda. George Forman est en 1974, le boxeur le plus puissant au monde. Il s’est emparé du titre mondial en ‘démolissant’ un autre grand champion Joe Frazier en moins de 10 minutes. Mohamed Ali, ancien champion du monde et militant de la lutte contre la guerre au Vietnam et des droits civiques, tente de refaire son retour au plus haut niveau.

Mohamed Ali, dans sa salle d’entrainement le 18 septembre 1974 en présence de l’organisateur de combats Don King, tient le portrait du président Mobutu. AP Photo/Horst Faas)

Le régime de Mobutu Sese Seko propose 10 millions de dollars aux deux boxeurs pour combattre à Kinshassa par l’intermédiaire de Don King, l’organisateur de combats. L’affiche “Rumble in the jungle (‘baston dans la jungle’ en français) attire le regard des grands médias internationaux. “Le match est présenté comme un retour aux sources, un retour vers l’Afrique, pour la communauté afro-américaine, incarné par le pays dirigé par Mobutu Sese Seko”, indique l’historien Jean Omasombo Tshonda.

Le 30 octobre 1974, Mohamed Ali bat George Forman dans un combat devenu légendaire. Le combat occultera un temps les déconvenus des Léopards à la Coupe du monde.

Les Léopards du Zaïre, pionniers du football africain, restent cependant présents dans le coeur des Congolais. Le maillot vert et jaune des Léopards du Zaïre est porté par les jeunes supporters des Léopards de la République démocratique du Congo. “Nous avions une expérience africaine, mais ça ne suffisait pas pour rivaliser à ce niveau. C’était déjà une très grande réussite pour nous d’avoir disputé la Coupe du Monde et de représenter le continent” reconnaît l’ancien attaquant des Léopards du Zaïre Kakoko Etepe. Selon l’historien Jean Omasombo Tshonda, cette nostalgie des Léopards du Zaïre renvoie au rêve perdu d’un Congo uni. “Les joueurs venaient de tous les horizons, du Katanga, de Kinshasa, de Goma, de Lumumbashi. Cette équipe au-delà du régime de Mobutu renvoyait l’idée d’un Congo uni, loin des divisions et des crispations actuelles.”

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