Cancer Comme Outil Évolutif Pour Réguler Populations

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Cancer Comme Outil Évolutif Pour Réguler Populations
Cancer Comme Outil Évolutif Pour Réguler Populations

Africa-Press – CentrAfricaine. Il semble que, dans la nature, les probabilités d’induction du carcinome (survenue du cancer, ndlr) chez les souris et chez les humains ne soient pas très différentes », malgré notre espérance de vie 30 fois supérieure et un nombre de cellules dans l’organisme multiplié par mille, s’étonnait en 1977 le statisticien et épidémiologiste Richard Peto. Pourtant, l’exposition au cancer chez l’humain devrait être un million, voire un milliard de fois celle de la souris, si chaque cellule a autant de probabilité de devenir cancéreuse sur un temps donné. Pour la première fois, de nouveaux travaux, publiés dans la revue Science Advances, éclairent ce Paradoxe de Peto sous un nouveau jour, en utilisant le concept de « l’hydra effect » (« effet de l’hydre » en français). Et si, plutôt que d’être un sous-produit de l’évolution qu’il faudrait expliquer par d’autres facteurs comme la taille ou la longévité, la prévalence de cancer au sein d’une espèce était précisément un outil sélectionné et ajusté par le processus évolutif?

L’hydra effect, quand la mort d’individus cause l’augmentation de la population

A chaque fois qu’une des têtes de l’Hydre de Lerne était tranchée, il en repoussait deux, est-il narré dans la mythologie grecque. De ce monstre imaginaire est tiré le nom de l’hydra effect, selon lequel « la perte de certains individus (souvent les plus âgés ou les moins productifs) libère des ressources pour les autres, favorisant ainsi la survie ou la reproduction de l’ensemble du groupe », explique à Sciences et Avenir le physiologiste et biologiste cellulaire Matias Blaustein, qui a dirigé ces travaux à l’Université de Buenos Aires (Argentine).

Très étudié en écologie pour comprendre la dynamique des populations de poissons, d’insectes ou de plantes, ce concept se révèle pour la première fois également pertinent quant à l’incidence des cancers. « Nous montrons que chez certaines espèces de mammifères compétitives, une mortalité plus élevée due au cancer chez les individus plus âgés pourrait paradoxalement augmenter la santé de la population, ce qui aiderait à expliquer pourquoi le cancer persiste dans l’évolution », résume Matias Blaustein.

Autopsies des zoos du monde entier, bases de données des causes de la mort et des caractéristiques des mammifères, ces travaux se basent sur l’analyse par un modèle mathématique de près de 300 espèces de mammifères. « Des éléphants et dauphins aux chauves-souris et rongeurs, nous avons comparé la prévalence du cancer avec des caractéristiques telles que la taille corporelle, la durée de vie, la reproduction et le comportement social », détaille le biologiste. Le modèle mathématique teste les effets du cancer sur la taille des populations et leur aptitude évolutive en simulant la croissance et les interactions de la population d’individus en fonction d’une caractéristique cruciale de l’espèce: son caractère compétitif ou coopératif.

Les espèces coopératives souffrent moins du cancer

« Chez les espèces compétitives comme les grands carnivores, les individus se livrent souvent à une concurrence intense pour des ressources limitées, telles que la nourriture, le territoire ou les possibilités d’accouplement », explique Matias Blaustein. Le décès prématuré des individus âgés, par cancer par exemple, libère donc des ressources aux membres plus jeunes et plus fertiles, et peut donc augmenter le nombre total d’individus, comme le veut l’hydra effect. « En revanche, chez les espèces coopératives comme le rat-taupe ou certains dauphins, où les membres plus âgés aident à prendre soin des jeunes ou à les nourrir, leur perte est néfaste, de sorte que la sélection naturelle tend à favoriser des taux de cancer plus faibles. »

De fait, les chercheurs montrent pour la première fois que les mammifères coopératifs présentent systématiquement une prévalence du cancer et un risque de mortalité inférieurs à ceux des mammifères compétitifs. « Ces chiffres montrent que le risque de cancer varie énormément d’un mammifère à l’autre et que le mode de vie social, et pas seulement la taille ou la durée de vie, joue un rôle clé dans cette variation », souligne Matias Blaustein. De presque nulle chez les rats-taupes ou certains petits primates comme le tamarin, espèces hautement coopératives, la prévalence des cancers peut dépasser 20 à 30% chez les rongeurs ou les grands carnivores, espèces les plus compétitives.

Les humains, l’anomalie

Et nous, dans tout cela? Hautement sociaux et plutôt coopératifs, « les humains se situent quelque part au milieu de cette fourchette, avec une prévalence du cancer au cours de la vie estimée entre 10 et 20 %, selon le pays et le mode de vie », estime Matias Blaustein. Un taux élevé pour une espèce aussi coopérative que la nôtre. Pour le chercheur, il est très probable – bien que cela ne soit pas démontré par l’étude – que ce décalage soit dû à nos progrès médicaux et technologiques. En nous protégeant de la mortalité due aux prédateurs, aux infections ou accidents, nous nous maintenons en vie bien plus longtemps que nous n’étions programmés pour le faire dans les conditions d’origines, il y a 200.000 ou 300.000 ans.

Or, le cancer est le plus souvent une maladie des populations âgées. « Nous sommes une espèce coopérative qui présente aujourd’hui un taux de mortalité par cancer moyen à élevé, mais il est probable qu’à l’origine de notre évolution, la mortalité par cancer était beaucoup moins importante que d’autres facteurs déterminants de notre mortalité », raisonne Matias Blaustein.

« Surprenants et instructifs », rapporte le chercheur, ces résultats réfutent l’idée répandue selon laquelle le cancer est une conséquence malheureuse du vieillissement ou d’une grande taille corporelle. « Cela signifie que le cancer n’est pas seulement une maladie aléatoire, mais qu’il peut agir comme un mécanisme qui aide à réguler la dynamique des populations et les stratégies de cycle de vie. Nos conclusions suggèrent que nous devrions considérer le cancer comme un processus biologique que l’évolution peut affiner, plutôt que comme quelque chose de purement pathologique », conclut Matias Blaustein

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