« Comme couper du bois dans une oasis » : Bruno David dénonce la ruée vers les métaux des fonds marins

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"Comme couper du bois dans une oasis" : Bruno David dénonce la ruée vers les métaux des fonds marins

Africa-Press – CentrAfricaine. Quelques pourcents seulement. C’est la quantité des grands fonds océanique directement explorés par l’espèce humaine. Sans avoir tout visité, nous avons néanmoins repéré, dans cette immensité des abysses, des ressources minérales que certains pays et entreprises voudraient exploiter au profit de nos industries. Il y a là des métaux possiblement employables dans les batteries, téléphones portables, panneaux photovoltaïques ou éoliennes qui sont nécessaires à la transition énergétique. Mais est-il raisonnable d’aller miner le fond des océans pour les récupérer? Quel en serait le coût environnemental? Est-ce même intéressant économiquement? Bruno David, ancien président du Muséum national d’histoire naturelle, a dirigé les travaux constituant le rapport « Exploiter ou préserver les fonds marins »: il répond aux questions de Sciences et Avenir.

Sciences et Avenir: Découverts dès la fin du 19e siècle, les nodules polymétalliques ressemblent à des “patates” formées par la très lente accumulation de métaux contenus naturellement dans l’eau. Ils reposent à la surface de certaines zones du plancher océanique. Représentent-ils vraiment la manne dépeinte par certains?
Bruno David: Les nodules polymétalliques sont essentiellement composés de fer et de manganèse. D’autres métaux entrent dans leur composition – cuivre, cobalt, zinc, nickel… -, mais est-ce en proportion suffisante? Il y a quelques années, une estimation avait chiffré à environ 34 milliards de tonnes les nodules présents à Clarion-Clipperton (une zone de l’océan Pacifique, située entre Hawaï et la côte ouest du Mexique, NDLR). Sur cette quantité, le cuivre – métal dont l’approvisionnement sera le plus en tension dans les années à venir – ne représente que 275 millions de tonnes. En gros, 1%. Autrement dit en ramassant une tonne de nodules, vous allez retirer 10 kilos de cuivre. Le jeu n’en vaut pas la chandelle ! C’est la raison pour laquelle, d’un point de vue économique, nombre de spécialistes estiment qu’il n’est pas intéressant pour le moment d’aller exploiter les grands fonds marins.

« Qui aurait l’idée d’aller exploiter le bois des oasis du Sahara? »
Mais les nodules polymétalliques ne sont pas les seuls ciblés…

Effectivement, les ressources minérales vraiment originales ne sont pas au niveau des nodules polymétalliques mais dans les deux autres gisements identifiés: sur les sources hydrothermales – les sulfures hydrothermaux – et certains monts sous-marins (on parle d’encroûtements cobaltifères, NDLR). Les sulfures hydrothermaux sont riches d’un tas de minerais. En simplifiant au maximum, on peut les caricaturer comme “des téléphones portables au fond de la mer”. Mais est-il raisonnable d’aller prélever ces ressources? Cela demanderait une technologie bien plus complexe que la simple collecte des nodules. Ces environnements des grandes profondeurs sont relativement limités, très spécifiques, fragiles… Il y a là aussi une biodiversité étonnante, qu’on a longtemps méconnue, mise en danger par ces projets d’exploitation. Les premiers découvreurs les ont d’ailleurs appelés les oasis hydrothermales… Une expression très parlante: qui aurait l’idée d’aller exploiter le bois des arbres qui poussent dans les oasis du Sahara?


Les questions de gouvernances restent aussi à régler.

Les ressources du sol et du sous-sol des fonds marins ont été déclarées “patrimoine commun de l’humanité” (voir encadré). Mais qui va contrôler la répartition des bénéfices qui résulterait de l’exploitation de ces minerais? Qui règlera les litiges? Au rythme des déplacements des masses océaniques, imaginez qu’un nuage largué à 1000 mètres de profondeur refasse surface 5 ans plus tard sur une côte balnéaire, qu’est-ce qu’il se passe? C’est ce genre de question qu’il faut réussir à traiter avant de se lancer dans cette aventure hasardeuse.

A quand le code minier?

Les ressources du sol et du sous-sol des fonds marins ont été déclarées “patrimoine commun de l’humanité » par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, dite “convention de Montego Bay”. Celle-ci a conduit à la création en 1994 de l’Autorité des fonds marins (AIFM, ISA en anglais), organisation internationale installée à Kingston – également en Jamaïque, tout comme Montego Bay. Après des décennies de travaux, l’AIFM pourrait sortir à l’été 2025 le code minier régissant l’exploitation des fonds marins.

« Les nodules polymétalliques grandissent seulement de quelques millimètres en un million d’années »
Autre problème, nous ne sommes pas dans le registre du développement durable…

Le temps de formation des nodules est extraordinairement long: ils grandissent seulement de quelques millimètres en un million d’années. Une fois qu’un champ de nodules aura été exploité, c’est fini, ils ne reviendront plus. Les sulfures hydrothermaux ont, eux, l’avantage de se reconstituer plus rapidement. Leur formation est en effet liée à la circulation de fluides hydrothermaux: ils vont descendre dans l’épaisseur du plancher océanique, se réchauffer, dissoudre un certain nombre d’éléments minéraux qui remontent sur le plancher océanique pour s’y redéposer. C’est un cycle de l’ordre de la centaine d’années. Plus court que les nodules, mais cela reste incompatible avec une exploitation industrielle durable. Et plaide pour que ces écosystèmes fragiles demeurent préservés.

D’où la conclusion de ce rapport, qui appelle à un moratoire sur l’exploitation des fonds marins pouvant aller jusqu’à 15 ans. Pensez-vous que cette recommandation va retentir à l’UNOC?

Cet appel à un moratoire de 15 ans, je l’ai voulu comme un moyen d’inciter les scientifiques à s’engager au-delà du simple principe de précaution. Quant à savoir s’il trouvera un écho à l’UNOC, ce n’est pas à moi de le dire… Même si j’aimerais bien que ce moratoire chiffré soit repris et qu’un maximum de pays se rallie à cette proposition. Olivier Poivre d’Arvor (Envoyé Spécial du Président de la République pour l’UNOC3 et Ambassadeur des pôles et des enjeux maritimes, NDLR) estime à plus de 30 le nombre de pays déjà favorables à ce moratoire de 15 ans.

“Un travail qui émane de la France, pour tout l’océan”

Le rapport “Exploiter ou préserver les fonds marins” a été écrit à la demande du président de la République Emmanuel Macron, “mais il ne se limite pas à une simple réponse personnelle, insiste Bruno David. Ce travail émane de la France, ce qui est logique avec la tenue de l’UNOC 3 à Nice. Mais c’est bien un rapport pour tout l’océan. Cette perspective a convaincu des scientifiques prestigieux d’accepter de participer à notre comité scientifique, constitué de personnalités de très haut niveau, à l’instar de Lisa Levin de l’Académie des Sciences des Etats-Unis. Par ailleurs, ce travail a été mené à bien grâce à l’IPOS, la plateforme créée par François Gaill, et constitue une première démonstration concrète de son bon fonctionnement”.

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