Crédits biodiversité : ce dispositif de protection de la nature et de l’environnement est-il une fausse bonne idée ?

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Crédits biodiversité : ce dispositif de protection de la nature et de l'environnement est-il une fausse bonne idée ?
Crédits biodiversité : ce dispositif de protection de la nature et de l'environnement est-il une fausse bonne idée ?

Africa-Press – CentrAfricaine. La nature manque d’argent. Pour protéger et restaurer 30% des surfaces terrestres et maritimes d’ici à 2030 — objectif affiché par les États dans l’accord de Kunming-Montréal en décembre 2022 —, les besoins sont estimés à 200 milliards de dollars par an.

Les États développés se sont engagés à déployer 20 milliards de dollars en 2025 puis 30 milliards en 2030. Les banques publiques de développement et les instances dédiées comme le fonds pour l’environnement mondial ne combleront pas cet immense fossé. Aussi, les regards se tournent vers le secteur privé.

Les entreprises ont toujours été très présentes dans les négociations sur la biodiversité car leurs “emprunts” à la nature sont nécessaires à leur activité, du tronc des arbres aux molécules de la cosmétique et de la pharmacopée en passant par les cultures alimentaires ou industrielles. La convention sur le climat montre la voie. A la COP29 qui s’ouvre à Bakou (Azerbaïdjan) le 11 novembre prochain, les négociateurs devraient définitivement adopter les règles d’un marché mondial des crédits carbone.

La biodiversité est cependant bien plus complexe que le cycle du dioxyde de carbone (CO2). C’est le même gaz qui est émis partout sur la planète et on peut facilement évaluer les tonnages relâchés. En matière de nature, aucune métrique n’est possible.

La richesse d’une forêt équatoriale ne peut se comparer à celle de la toundra ou d’une forêt française. “C’est le principal écueil d’une démarche qui par ailleurs comporte de nombreux risques d’être contre-productive”, signale Arthur Pivin, chercheur au bureau d’études Carbone 4 et co-auteur d’un rapport intitulé “Certificats biodiversité: risques et opportunités”.

Ce travail mené conjointement avec la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) et le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) liste précisément les risques induits par la création d’une procédure qui paraît simple sur le papier. Une action de restauration ou de préservation est évaluée scientifiquement, les gains pour la biodiversité sont quantifiés amenant à la création d’un certificat qui peut alors être échangé sur un marché régi par un mécanisme et un encadrement juridique.

La nature est difficile à mesurer et il y a un risque que les crédits ne correspondent pas à grand-chose

La réalité est autrement plus complexe. Et les chausse-trappes nombreuses. Le rapport énumère ainsi pas moins de neuf “risques” que les certificats fassent plus de mal que de bien à la nature.

La méthode d’évaluation des écosystèmes est encore à créer. Elle devra être objective et surtout capable d’évaluer l’efficacité des actions entreprises pour restaurer ou préserver un milieu.

De bonnes pratiques anciennes ayant fait preuve d’efficacité pourraient être menacées par des méthodes qui seraient imposées par des organismes certificateurs. “Le greenwashing, l’effet de fuite qui verrait des espaces non protégés surexploités parce que ceux qui sont sous protection ne sont plus à la disposition des populations locales, des processus de contrôle non fiables, et surtout le fait que la compensation ne soit une bonne raison pour cesser les efforts de réduction des atteintes à la nature, tous ces phénomènes peuvent faire que les certificats aggravent la situation plutôt que l’améliorent”, énumère Arthur Pivin. Le chercheur préfère ainsi parler de certificat plutôt que de crédit, “car le terme de crédit implique qu’il s’agit d’une compensation pour des destructions qui auraient dû être évitées”.

Autre débat d’importance: faut-il encadrer ces certificats par une réglementation ? La question porte sur la demande en certificats: sera-t-elle assez élevée pour dégager suffisamment de revenus pour la protection de la nature ?

Le volontariat implique par exemple que les entreprises s’engagent dans une “responsabilité sociale et environnementale” qui soit sérieuse, les seules motivations militantes ou philanthropiques ne pouvant a priori répondre seules à l’ampleur du défi financier. Construire une réglementation s’avère cependant complexe pour assurer la validité des certificats délivrés. Le risque de “monnaie de singe” est réel d’autant que les exemples de crédits carbone incitent à la méfiance. En 2023, des chercheurs avaient démontré dans Science que ces crédits ne représentaient pas toujours des tonnes de carbone réellement stockées dans les écosystèmes.

Le rôle des populations autochtones considéré comme primordial

La réflexion n’en est qu’à ses tout débuts. Les négociateurs de la convention biodiversité ne sont pas officiellement saisis du sujet qui ne fait donc l’objet d’aucune discussion multilatérale. Les crédits/compensation ne sont aujourd’hui traités qu’au sein d’un “groupe international de consultation sur les crédits biodiversité” (IAPB selon l’acronyme anglais) copiloté par la Britannique Amelia Fawcett et la Française Sylvie Goulard.

Créé en juin 2023 lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial à Paris, l’IAPB a publié lors de la COP16 ses premières conclusions. Selon l’organisme, le développement de crédits biodiversité “à haute intégrité” est possible et règle le débat sur le volontariat en appelant de ses vœux “des mécanismes réglementaires solides”.

L’intégrité signifie par ailleurs que “les crédits doivent être conçus de manière à apporter des bienfaits mesurables et vérifiés pour la nature, à garantir une participation et des revenus équitables pour les populations et à reposer sur des marchés bien encadrés”. Le rôle des peuples autochtones et des communautés locales est considéré comme primordial et le crédit biodiversité est enfin défini comme étant durable, mesuré, “adossé à des preuves tangibles et additionnelles”. L’IAPB a enfin conçu un “cadre” se composant d’un ensemble de ces grands principes sur lesquels pourraient s’appuyer les futures négociations internationales.

En France, des crédits pour sauver la tortue d’Herman

À quoi tout cela pourrait-il ressembler ? L’IAPB a recensé à ce jours une trentaine de projets pilotes partout dans le monde concernant des écosystèmes très divers. Ainsi, l’Association pour les services écosystémiques côtiers développe un premier projet de crédit autour de la restauration de mangroves dans les baies de Vanga et de Gazi au Kenya. Le producteur d’énergies renouvelables Amarenco associe l’implantation de ses centrales solaires à la régénération des écosystèmes où il s’implante et favorise la transition agroécologique chez les fermiers riverains des installations.

En France, les “sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation” (SNCRR) existent depuis la loi du 23 octobre 2023 sur l’industrie verte. Ces espaces ont été voulus par le législateur pour anticiper les besoins en compensation des atteintes à la biodiversité avec le risque d’une demande qui se soustrairait aux obligations d’éviter et de réduire en priorité les atteintes à la nature.

Cette stratégie ERC (éviter, réduire, compenser) est présente dans la loi française depuis 1976 mais pas toujours respectée. Une tentative d’instauration d’un marché de certificats biodiversité est en cours avec la proposition d’achat d’ “unités de restauration volontaire” (URV) par les industriels obligés de compenser des destructions.

Quelques sites sont aujourd’hui aptes à générer ces URV qu’ils soient dégradés et en cours de restauration ou préservés. Ainsi, la branche biodiversité de la Caisse des dépôts et consignations est-elle propriétaire depuis août 2022 de 150 hectares de pâtures sur la commune de Sainte-Maxime (Var). Le “Cros du mouton” est un écosystème favorable à la tortue d’Herman, un reptile endémique dont les effectifs sont en constante baisse. Les crédits générés serviront ainsi à réduire les risques d’incendie, à diversifier les habitats favorables à la tortue et à en augmenter la population.

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