Africa-Press – CentrAfricaine. Lydéric Bocquet est directeur de recherches CNRS, professeur à l’Ecole normale supérieure et titulaire de la chaire annuelle Innovation technologique Liliane Bettencourt au Collège de France en 2022-2023.
Les Dossiers de Sciences et Avenir: Dans le cadre de vos recherches sur les fluides, en particulier à l’échelle nanométrique, vous avez cofondé en 2015 une start-up, Sweetch Energy, qui développe une technologie destinée à créer une énergie renouvelable dite “osmotique”. De quoi s’agit-il ?
Lydéric Bocquet: L’énergie osmotique est libérée, sous forme de chaleur, par la différence de salinité entre les eaux douces et salées qui se rencontrent dans les estuaires et les deltas des fleuves. Dès les années 1950, on a tenté de capturer à travers une membrane une partie de cette énergie chimique, portée par les ions qui forment le sel. Ceci, afin de la transformer en électricité.
Sweetch Energy s’inspire de travaux publiés par mon équipe en 2013, lorsque nous avons découvert que, si elle est réalisée dans certains types de matériaux, une membrane percée de nanopores permet d’accélérer le transfert des charges électriques et de récupérer davantage d’énergie qu’une membrane classique. Sweetch Energy vient ainsi de dépasser une puissance électrique de cinq watts par mètre carré de membrane, avec des membranes à base de cellulose, donc biosourcées: c’est un seuil de rentabilité. Le point clef, c’est qu’on peut en compacter des millions de mètres carrés dans une installation.
Quel est le potentiel de cette source d’énergie ?
Pas du tout anecdotique, puisqu’on l’estime, à l’échelle mondiale, entre 1.000 et 2.000 gigawatts. L’équivalent de 1.000 à 2.000 réacteurs nucléaires ! C’est une énergie renouvelable, sans émission de CO2, et permanente, contrairement à l’éolien ou au solaire. En France, par exemple, le potentiel du delta du Rhône est estimé à 500 mégawatts.
Sweetch Energy s’est rapproché de la Compagnie nationale du Rhône et d’EDF pour construire cette année, sur l’écluse de Barcarin (Bouches-du-Rhône), un prototype qui montera progressivement en puissance, car les modules de membranes s’empilent comme des briques de Lego.
Vous travaillez aussi sur le dessalement de l’eau de mer. Dans ce domaine, le potentiel de la nanofluidique est loin d’avoir été exploré…
Prenons un exemple: le rein filtre 200 litres de sang par jour avec une efficacité extraordinaire. Il ne consomme pour ce faire que l’énergie d’un morceau de banane… Nous ne saurons pas recréer des objets aussi complexes, mais nous pouvons nous en inspirer pour des procédés nouveaux. Le dessalement exige aujourd’hui des quantités extraordinaires d’énergie, des pressions de 70 bars (70 fois la pression atmosphérique), et il n’est rentable qu’avec de gigantesques usines.
Mon équipe a montré qu’en utilisant des membranes percées de nanopores, il suffit de quelques volts, soit la tension d’une simple pile ! On pourra donc construire des installations beaucoup plus petites et faciles à entretenir, et néanmoins rentables. C’est le but d’Ilion Water, une start-up en cours de création.
Vous avez participé à la création de quatre start-up. Quel est le rôle de ce type d’entreprise en aval des recherches fondamentales ?
Transformer des recherches académiques en technologies utiles à la société peut être extrêmement long et compliqué. La start-up est un outil qui permet d’accélérer le processus. Elle oblige à respecter le principe de réalisme économique: c’est une condition nécessaire pour qu’une idée scientifique puisse avoir un impact réel sur le monde.
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