Africa-Press – CentrAfricaine. Ne pas prendre sa voiture pour aller au travail provoque une baisse des émissions de gaz à effet de serre. Mais est-ce en proportion suffisante pour contrer le réchauffement climatique ? Une étude financée par l’Ademe s’est penchée sur la question.
Dans l’absolu, rester chez soi pour travailler au lieu de prendre la voiture pour aller au bureau devrait permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre. 75% des actifs utilisent leur véhicule personnel quotidiennement, soit 19 millions de personnes qui sont très souvent seules dans leur habitacle. Ces déplacements domicile-travail représentent 4% des émissions nationales totales, soit 17 millions de tonnes de CO2.
La stratégie nationale bas carbone (SNBC), qui alloue la part d’efforts par secteur pour atteindre l’objectif de réduction de 55% des émissions en 2030, prévoit que les émissions de ces migrations quotidiennes devront descendre à 10 millions de tonnes à la fin de la décennie. Le télétravail est présenté comme un des moyens qui permettraient d’y arriver, en complément d’autres solutions comme le covoiturage ou le remplacement des moteurs thermiques par l’électrique.
Le télétravail a fait irruption dans l’économie française à la faveur de la pandémie de Covid-19 en 2020. Une étude publiée en juillet 2024 par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) révèle qu’en 2022, 28% des salariés ont eu recours au télétravail. 8% le pratiquent pendant toutes leurs heures de travail, 16% au moins une fois par semaine et 4% plus occasionnellement. Si on leur donnait le choix, 49% des employés aimeraient télétravailler et 38% estiment que leur poste le permettrait.
Il y a donc une marge de progrès et le Credoc a calculé le potentiel de réduction des émissions à trois millions de tonnes, soit 40% de l’effort à accomplir pour réduire les émissions des trajets domicile-travail. Pour ce faire, il faudrait augmenter à la fois le nombre de télétravailleurs et le nombre de jours travaillés à domicile.
La baisse des émissions espérées est contrecarrée par des “effets rebonds”
Ceci est un calcul théorique. Dans la vraie vie, il en va tout autrement, et c’est bien l’intérêt de l’étude menée par le Laboratoire aménagement, économie transports (Laet, rattaché à l’université de Lyon et au CNRS) et le Citepa, l’organisme en charge du calcul des émissions de polluants dans l’atmosphère.
Selon leurs travaux de modélisation, sur les trois millions de tonnes espérées, une seule pourrait être réellement obtenue. “De très nombreux effets imprévus peuvent en effet contrecarrer le télétravail, explique Yves Crozet, économiste, professeur à Sciences-po Lyon et coauteur de l’étude. Ce peut être la plus grande utilisation de la voiture par les télétravailleurs le week-end ou pendant les vacances, ou encore le déménagement pour une résidence plus éloignée du lieu de travail.”
Pour vérifier l’impact de ces “effets rebonds”, les chercheurs se sont intéressés à quatre agglomérations de différentes tailles qui ont servi de cas d’école: Dijon (253.000 habitants), La Rochelle (170.000), Lyon (1,398 million) et Le Creusot (93.000). Y ont été croisés les parts modales de déplacement, le type de véhicule utilisé, la densité urbaine, le réseau routier (autoroutes ou non, embouteillages…), la distance parcourue quotidiennement.
Ces indicateurs ont beaucoup changé depuis la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, Lyon — à l’instar de l’ensemble des grandes villes françaises — a vu la densité des villes périphériques augmenter tandis que celle du centre diminuait. Et, partout, la distance parcourue entre domicile et travail a explosé. Les Rochelais parcouraient au total 510.000 kilomètres pour aller au travail en 1999. Vingt ans plus tard, cette distance est passé à 943.000 kilomètres.
Le télétravail incite à augmenter la distance entre le domicile et le bureau
Sur ces bases, les chercheurs ont établi quatre scénarios faisant varier l’ampleur de la pratique: un sans télétravail, un avec télétravail à 100% (tout ceux qui peuvent télétravailler 5 jours par semaine), un scénario sur la base de l’existence du télétravail avant le Covid, et le dernier sur les constats effectués après le Covid.
Ces scénarios ont été confrontés à trois hypothèses de déménagement des télétravailleurs en première ou deuxième couronne des villes. Les résultats montrent que la composition du parc roulant (âge du véhicule, plus ou moins grosse cylindrée, part de véhicules électriques) reste la principale cause du niveau d’émissions de gaz polluants et de gaz à effet de serre. Le télétravail n’influe qu’à la marge.
L’autre enseignement est que la relocalisation des télétravailleurs affecte de manière très importante la diminution de gaz à effet de serre espérée. “Le télétravail a toujours un impact positif sur les émissions de CO2, ce que l’on peut constater d’ailleurs en examinant les données du trafic routier les jours les plus télétravaillés comme le vendredi à Lyon, explique Yves Crozet. Mais l’effet est plus modeste du fait de l’éloignement des télétravailleurs de leur lieu de travail pour aller habiter à la campagne.” En l’état actuel, un million de tonnes de réduction via le télétravail est le mieux que les pouvoirs publics puissent espérer.
De plus, l’ampleur de ces relocalisations est difficile à quantifier. Mais de nombreux facteurs poussent à augmenter les déménagements. Selon l’étude du Credoc, la population des télétravailleurs est plutôt jeune. 40% des moins de 34 ans télétravaillent, contre 25% des plus de 35 ans. Et “plus le diplôme est élevé, plus le recours au télétravail est élevé”, note le Credoc. Cette partie de la population plus aisée que la moyenne est donc davantage encline à chercher la tranquillité des zones rurales, d’autant plus si cela s’accompagne de l’achat d’une voiture électrique.
La recharge à domicile permet en effet de réduire les coûts du déplacement. Enfin, dernier paramètre qui pourrait contrecarrer l’efficacité du télétravail à réduire les émissions de CO2: cette part de la population plutôt aisée pourrait augmenter son usage de la voiture le week-end et prendre plus souvent l’avion. “Nos voisins suisses empruntent plus souvent que les Français le train au quotidien, mais ils utilisent deux fois plus leur voiture et prennent trois fois plus l’avion”, prévient Yves Crozet.
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