Sur les traces d’un continent disparu : on a retrouvé Argoland

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Sur les traces d’un continent disparu : on a retrouvé Argoland
Sur les traces d’un continent disparu : on a retrouvé Argoland

Africa-Press – CentrAfricaine. La carte du monde n’est pas immuable. À cause de la tectonique des plaques, les continents bougent et évoluent. Il y a 600 millions d’années, l’Inde, l’Australie, l’Amérique du Sud et l’Afrique étaient tous collés ensemble et formaient un supercontinent appelé Gondwana.

440 millions d’années plus tard, Gondwana a commencé à se morceler et les masses continentales ont migré vers leur emplacement actuel. Lors de cette fragmentation, on sait qu’un continent s’est détaché du nord de l’Australie il y a 155 millions d’années ; on le nomme Argoland.

Les géologues ont découvert son existence à cause du « vide » qu’il a laissé derrière lui : la plaine abyssale d’Argo, une sorte de bassin au fond de l’océan Indien, à l’ouest de l’Australie.

Là-bas, la structure du plancher océanique indique que l’ancien continent a dérivé vers l’Asie du Sud-Est, dans la région de l’Indonésie actuelle. Pourtant, on ne trouve aucune trace d’un continent à cet endroit… Alors qu’est-il advenu d’Argoland ? Cette masse estimée à 4.800 kilomètres de long – soit presqu’autant que les États-Unis – ne peut pas simplement avoir disparu !

Des chercheurs de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas ont enfin levé le voile sur ce mystère avec une étude publiée dans la revue Gondwana Research.

L’énigme d’Argoland

Pour bien saisir le défi scientifique que pose Argoland, regardons d’abord le cas de l’Afrique et de l’Amérique du Sud : ces continents autrefois unis se sont séparés il y a 180 millions d’années.

Puisque leur coupure a été très nette, le phénomène est plus facile à comprendre. Pour preuve, il suffit de regarder une carte pour voir comment les deux continents s’emboîtent parfaitement, telles les pièces d’un casse-tête.

« Lorsque des continents se séparent, un océan se forme au milieu », a expliqué à Sciences et Avenir le géologue et auteur principal de l’étude Eldert Advokaat. Quand cela se produit, les plaques tectoniques divergent entre elles et une croûte océanique se forme entre les deux continents, à partir de la dorsale océanique située tout au centre. « Ainsi, on retrouve la plus vieille croûte terrestre océanique près des côtes de l’Amérique du Sud et de l’Afrique, et plus on se dirige vers le centre, plus la croûte est jeune », souligne le chercheur.

Cependant, ce n’était pas ce que les géologues observaient dans le cas d’Argoland. « On sait que ce continent s’est détaché du Nord de l’Australie et a dérivé encore plus au Nord, donc en Asie du Sud-Est. Mais là-bas, on ne trouve que des fragments de croûte continentale », explique Eldert Advokaat.

En effet, ceux-ci se retrouvent sous les îles de Bornéo, Java, Sulawesi et Timor en Indonésie. « Ces fragments sont beaucoup plus petits qu’ils ne le devraient, comme si des morceaux de continents avaient simplement disparu ! », ajoute-t-il.

En outre, les géologues ont découvert en 2019 que les morceaux de croûte océanique qui séparent ces fragments de croûte continentale sont plus anciens que sur la côte nord de l’Australie.

Ils sont tous datés à environ 200 millions d’années, alors qu’Argoland s’est détaché de l’Australie 45 millions d’années plus tard. « Comment les océans pouvaient-ils être plus vieux que les échantillons au nord de l’Australie ? Quelque chose clochait dans cette histoire, précise Eldert Advokaat. Ça ne collait pas aux théories scientifiques, alors il fallait qu’on essaie de comprendre ce qu’il s’était réellement produit. »

Mystère résolu : Argoland était en réalité un archipel

C’est justement cette incongruité de datation qui a mis la puce à l’oreille aux chercheurs. La seule explication possible était que les petits océans se soient formés avant qu’Argoland ne se détache de l’Australie.

L’équipe de recherche a testé son hypothèse grâce à des analyses paléomagnétiques. Cette méthode consiste essentiellement à lire l’orientation du champ magnétique dans des échantillons de roches pour savoir où elles étaient situées, ce qui permet de reconstituer l’histoire des continents. Après sept ans d’échantillonnage en Asie du Sud-Est et d’analyses en laboratoire, les chercheurs ont finalement compris.

« Il y a plus de 200 millions d’années, la marge au Nord de l’Australie a commencé à s’étirer, formant ainsi plusieurs microcontinents entrecoupés de petits océans, explique le géologue néerlandais. Puis, tout ce collage de petits continents et de petits océans s’est détaché de l’Australie il y a 155 millions d’années et a dérivé vers l’Asie du Sud-Est. » Ce n’est donc pas un continent qui s’est déplacé, mais bien un archipel ! Et c’est pourquoi on ne retrouve pas un morceau entier qui s’imbrique dans l’Australie, comme c’est le cas pour l’Amérique du Sud et l’Afrique. En ce sens, Argoland ressemble plutôt au continent englouti Zeelandia, qui a aussi subi un tel étirement.

Reconstruction de la dérive des masses continentales dont Argoland (en vert) depuis 215 millions d’années. Crédits : faculté des géosciences de l’Université d’Utrecht

Les continents laissent toujours une trace

Les analyses ont confirmé que l’Indonésie est bien située sur les fragments d’Argoland et ont enfin trouvé la pièce manquante du puzzle : il s’avère que l’ouest du Myanmar est aussi un fragment d’Argoland. Ainsi, tous les morceaux du continent sont identifiés et le scénario s’accorde finalement avec les théories scientifiques.

« Contrairement aux océans, les continents laissent toujours une trace ! », s’exclame le chercheur, soulagé d’avoir percé le mystère. Parce que la croûte terrestre continentale est moins dense que la croûte océanique, alors elle « flotte » et ne peut pas disparaître dans le manteau terrestre.

Elle est aussi beaucoup plus épaisse que la croûte terrestre océanique. « Alors, même en cas de subduction [quand une plaque se glisse sous une autre, ndlr], celle-ci ne disparaît pas complètement dans le manteau. La surface de la croûte continentale ne passe pas, alors c’est comme si elle était raclée par l’autre plaque, ce qui forme un relief », raconte le chercheur.

Il faut le voir mimer le phénomène avec ses bras, tout en empêchant une manche de sa chemise de glisser sous l’autre, pour illustrer la formation d’un relief lors d’une subduction. La manche toute pliée représente les montagnes formées par la surface de la croûte terrestre qui n’a pas réussi à se glisser sous l’autre plaque.

Des applications pratiques

« Nos recherches semblent très abstraites et fondamentales, mais elles donnent beaucoup d’information utiles », souligne Eldert Advokaat. Tout d’abord, elles renforcent les connaissances sur le fonctionnement des processus géophysiques.

Mais aussi, elles permettent de situer de potentiels gisements miniers, qu’on retrouve principalement dans les zones de subduction. « De plus, c’est nécessaire de bien comprendre la tectonique des plaques lorsqu’on essaie de reconstruire le climat passé », indique le chercheur.

Parce que la distribution de terres et d’eau influencent grandement le climat régional et mondial. Puis, ces études permettent de repérer les zones riches en biodiversité dans le passé, telles que les régions océaniques peu profondes et les montagnes. Des connaissances toutes applicables à divers champs d’étude. « J’espère que nos travaux vont encourager d’autres scientifiques à étudier cette région davantage », conclut le géologue.

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