Africa-Press – CentrAfricaine. Le morse moderne, Odobenus rosmarus, n’arrive dans l’Atlantique Nord qu’il y a 200.000 ans. Avant lui, une autre espèce, aujourd’hui disparue, a colonisé ce milieu: Ontocetus emmonsi. C’est à elle que sont attribués de nombreux restes fossiles découverts dans tout l’hémisphère Nord. A tort peut-être ? En effet, parmi eux, des fossiles découverts sur trois sites européens différents ont été réanalysés par une équipe franco-japonaise, qui conclut à une erreur. Les restes n’appartiendraient pas à cette espèce, mais à une nouvelle espèce du même genre éteint Ontocetus, encore jamais identifiée. Ils la nomment Ontocetus posti. Leurs résultats ont été publiés dans la revue PeerJ Life & Environnement.
La redécouverte de trois fossiles
“Lors de mon mémoire de Master, à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique, j’ai été intrigué par les différences entre plusieurs fossiles, qui ont pourtant été attribués, un peu plus tard, à la même espèce: Ontocetus emmonsi”, se souvient Mathieu Boisville, premier auteur de l’étude, lors d’une interview pour Sciences et Avenir. “Certains n’avaient pas été bien analysés.” Le chercheur fait allusion à trois fossiles qui lui paraissaient très différents des autres.
Le principal a été découvert par les amateurs Ian James et Allister Cruickshanks en 1993, à Norwich en Angleterre. Le second a été découvert au 19ème siècle, probablement dans les années 1860 par un collectionneur inconnu, dans le bassin d’Anvers en Belgique. Et le dernier a été collecté près de Domburg au Pays-Bas, en 1961.
“Il existe une controverse historique au sein du genre éteint Ontocetus, car des centaines de restes fossiles ressemblant à Ontocetus ont été trouvés dans tout l’hémisphère nord, du Japon au Maroc, en passant par les Etats-Unis et la Mer du Nord”, alerte Mathieu Boisville. “Depuis les années 1870, plusieurs paléontologues ont découvert des fossiles similaires mais les ont très peu comparés entre eux. Les attribuant parfois à tort à de nouvelles espèces”, déplore-t-il. Les paléontologues successifs aboutissent ainsi à au moins cinq genres différents, et pas moins de huit espèces…
Comparer les mandibules
La comparaison est difficile et pour cause, les espèces sont décrites en fonction de différents types d’os. L’une en fonction du crâne, l’autre, de sa mandibule, la suivante de l’humérus… Il faut attendre 2008 pour que des chercheurs japonais parviennent à regrouper toutes ces caractéristiques en une seule et même espèce: Ontocetus emmonsi. Mais d’après les chercheurs, tous les fossiles ne pourraient pas être attribués à cette dernière.
“Pour être plus précis, il faut se concentrer sur les différences entre les mandibules”, révèlent Mathieu Boisville et son équipe. L’analyse détaillée des mandibules des trois fossiles et la comparaison avec celles d’Ontocetus emmonsi leur donnent raison. Les auteurs révèlent une combinaison unique de caractéristiques sur les trois fossiles étudiés. “Nous sommes arrivés à la conclusion qu’elles sont suffisamment différentes pour considérer ceci comme une espèce nouvelle”, déclare-t-il. Les chercheurs la nomment Ontocetus posti.
D’où vient le nom de cette nouvelle espèce ?
Le nom “posti” est un hommage à un paléontologue amateur néerlandais, du nom de Klaas Post, encore actif aujourd’hui. Ce dernier a largement contribué à la collecte d’innombrables fossiles de mammifères marins, principalement, au cours de ces 30 dernières années. “Nous pensions que ce serait un bel hommage pour sa grande contribution”, sourit Mathieu Boisville.
“L’alimentation d’Ontocetus posti ressemble beaucoup à celle du morse moderne”
Parmi les caractéristiques de cette nouvelle espèce de mammifère disparu: quatre dents post-canines, une canine inférieure plus grande et une symphyse mandibulaire fusionnée et courte. En d’autres termes, Ontocetus posti est tout à fait adapté à l’alimentation par aspiration, un peu comme son parent moderne, le morse. Mais de quoi s’agit-il ? Tous deux fouillent le sol marin à la recherche de mollusques, comme les bivalves. Puis, ils en aspirent la chair en reculant rapidement la langue dans leur bouche. C’est la voûte de leur palais qui rend cette aspiration particulièrement efficace. “Ontocetus posti était donc spécialisé dans la même niche écologique, l’alimentation par aspiration, que le morse moderne”, analyse Mathieu Boisville.
Après la disparition d’Ontocetus posti, vers 1,7 million d’années, la niche écologique de l’alimentation par aspiration est restée vacante. Ce n’est que bien plus tard, vers 200.000 ans avant notre ère, que le morse moderne a colonisé la mer du Nord et rempli cette niche écologique. Une question reste toutefois en suspens: comment ces deux espèces sont-elles liées ? Pour l’heure, les chercheurs pensent qu’il existerait deux lignées différentes, l’une menant à Ontocetus, aujourd’hui éteinte, et l’autre conduisant à Odobenus rosmarus, le morse moderne.
Le morse moderne est adapté au froid
Si la lignée d’Odobenus rosmarus a persisté, c’est sans doute grâce à son adaptation au froid. Le refroidissement du climat mondial s’est intensifié au cours des cinq derniers millions d’années, entraînant des changements dans la salinité et les courants et des fluctuations rapides et brutales du niveau de la mer. Ces modifications ont eu un impact certain sur la flore et la faune marines de l’époque.
Une extinction majeure de la mégafaune marine s’est produite entre le Pliocène et le Pléistocène, il y a environ 2,6 millions d’années. “En conséquence, les morses, en raison de leur niche écologique spécifique, ont été affectés par ce phénomène”, explique Marthieu Boisville. Tous les morses tolérants aux températures plus chaudes et vivant à des latitudes plus basses ont disparu et seul le morse moderne Odobenus rosmarus, tolérant aux températures plus froides, a pu bénéficier de ce refroidissement climatique mondial et se disperser, atteignant finalement l’Atlantique Nord.
“Davantage de travail sur l’arbre phylogénétique des morses est à venir et nous apportera sûrement de nouveaux éléments de réponse”, conclut Mathieu Boisville. L’histoire évolutive des morses est d’autant plus intéressante pour les chercheurs que ces mammifères marins peuvent nous renseigner sur les changements climatiques passés. En effet, s’il n’existe aujourd’hui qu’une seule espèce de morse, les 20 derniers millions d’années en ont connu une grande diversité, et leur répartition géographique était alors très étendue. Ces atouts font des morses des indicateurs clés du changement climatique.
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