Africa-Press – Comores. Une équipe dirigée par Yosuke Kondo du Tokyo Institute of Technology (Japon) a observé pour la première fois un isotope rare de l’oxygène, l’oxygène-28. La détection a eu lieu dans un accélérateur de particules du Riken, célèbre institut de recherche nucléaire à Wakô, au Japon. Le noyau de O-28 se compose de 8 protons, et de 20 neutrons. Deux chiffres qui résonnent d’une manière particulière aux oreilles des physiciens nucléaires, car cela fait de l’oxygène-28 un noyau doublement “magique”. En tout cas en théorie…
Un noyau est dit magique lorsqu’il contient un nombre de protons ou de neutrons (des nucléons) particulier : 2, 8, 20, 28, 50, 82 ou 126. Si l’on se représente un noyau comme un oignon composé de plusieurs couches empilées d’épaisseur variable, ils correspondent au nombre maximal de nucléons que l’on peut disposer sur une couche. L’oxygène-28, avec ses 8 protons et ses 20 neutrons, est donc bien doublement magique sur le papier. Cette structure confère normalement une grande stabilité au noyau en question. C’est là que cela se complique, car la durée de vie de O-28 n’est que de l’ordre de 10^-22 seconde. Alors, magique ou pas ? La question est posée…
Un noyau trop fugace pour être “vu”
En attendant, cette observation est déjà un exploit. “Cela fait plus de trente ans que l’on tente de voir cet isotope, explique à Sciences et Avenir Olivier Sorlin, physicien au Ganil (le Grand accélérateur national d’ions lourds) de Caen, et cosignataire de l’étude. Nous l’avons notamment cherché ici, au Ganil, sans succès. Nous espérions le voir directement, parce qu’on le croyait d’une durée de vie suffisamment longue pour l’observer. Comme il nous échappait, nous en avons déduit qu’il ne l’était pas, ce que confirme sa très courte durée de vie. A peine formé, il se désintègre en un noyau d’oxygène-24, et 4 neutrons…”
Les chercheurs du Riken n’ont ainsi pas directement observé le fameux isotope, mais ils ont déduit sa présence à partir des trajectoires et de l’énergie de l’oxygène-24 et des neutrons émis lors de sa désintégration. “La traque de l’oxygène-24 a été longue car la détection simultanée de ces quatre neutrons est délicate : ce sont des particules qui laissent peu de traces lors de leur passage dans la matière et sont diffusés dans de multiples directions”, souligne Olivier Sorlin. La production de l’O-28 est aussi toute une aventure. Les chercheurs ont utilisé un faisceau de calcium-48 dirigée une cible de béryllium. La collision a généré une collection d’atomes plus légers, dont le fluor-29 (9 protons et 20 neutrons), produit à presque la moitié de la vitesse de la lumière. Cet isotope du fluor a ensuite été sélectionné et a bombardé une cible d’hydrogène liquide, le transformant ainsi en vol en oxygène-28 (8 protons donc, et 20 neutrons) lorsqu’un proton du Fluor-29 entre en collision avec un proton de la cible d’hydrogène.
Autant de prouesses expérimentales pour finalement observer un noyau que l’on pensait magique, et qui ne l’est peut-être pas tant que cela. “Cela confirme ce dont on se doutait : le noyau n’est pas lié. L’interaction forte, responsable de la cohésion du noyau, peine à retenir les neutrons des couches les plus externes. C’est une première remise en cause de sa « magicité ». Une manière plus probante encore de tester son caractère magique serait de déterminer l’énergie qu’il faut pour l’exciter, elle devrait être faible si le noyau n’est pas magique. Cependant, on ne connait pour l’instant que l’énergie de son état fondamental.”
Une fenêtre ouverte sur les étoiles à neutrons
Derrière ces recherches autour des noyaux magiques, il s’agit pour les chercheurs de mieux comprendre l’interaction forte, au cœur de l’édifice nucléaire. “C’est la plus méconnue des quatre grandes forces de la physique. Quelles sont ces différentes composantes ? Jusqu’à combien de nucléons peut-on ainsi assembler grâce à elle ? s’interroge ainsi Olivier Sorlin. L’intérêt du sujet dépasse la physique microscopique au niveau du noyau atomique pour rejoindre l’astrophysique et l’abondance des éléments chimiques produits dans l’Univers par ces forces. La fusion de deux étoiles à neutrons forme beaucoup d’atomes très lourds et très riches en neutrons qui se désintègrent pour produire les éléments lourds stables qui existent sur Terre. Ces études d’isotopes très riches en neutrons comme l’O-28 dans les collisionneurs de noyaux atomiques ouvrent ainsi une fenêtre sur les mécanismes en jeu dans ces astres extraordinaires, et inatteignables, et qui ont ensemencé l’Univers en éléments chimiques qui sont aujourd’hui essentiels dans les technologies modernes.”
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