De la neige artificielle sur les pistes de ski : voici les secrets de sa fabrication

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De la neige artificielle sur les pistes de ski : voici les secrets de sa fabrication
De la neige artificielle sur les pistes de ski : voici les secrets de sa fabrication

Africa-Press – Comores. De la neige artificielle pour compenser une neige naturelle qui arrive avec retard et de manière plus parcimonieuse, c’est la solution choisie par les stations de ski françaises pour maintenir leur activité touristique dans un contexte de réchauffement climatique. Mais comment fabrique-t-on de la “neige de culture” ? Faut-il seulement deux ingrédients pour faire de la neige artificielle, de l’eau et de l’air ? Ce n’est pas si simple.

La nivoculture requiert bien plus et ses impacts environnementaux ne sont pas à prendre à la légère. Mais elle va devenir incontournable dans la décennie à venir, pour contrer le manque d’enneigement provoqué par le changement climatique. Avec des températures moyennes globales en hausse, et des températures en montagne qui ont augmenté de +2°C dans les Alpes depuis 1900, les différents scénarios de chercheurs imaginent un recours croissant à cette neige de culture. Et avec une météo se hissant à l’avenir régulièrement au-dessus de zéro, l’impossibilité de fabriquer celle-ci, c’est-à-dire permettre la cristallisation en glace de l’eau.

Qu’est-ce que la nivoculture ?

Le terme “nivoculture” n’est pas vraiment entré dans notre vocabulaire de tous les jours. Pourtant, les stations de ski américaines la pratiquent dès les années 50. En France, Flaine, en Haute-Savoie, est la toute première station à y avoir recours dans les années 1970. En 1979-1980, notre pays compte 10 stations équipées pour une surface totale de 19 hectares. 50 ans plus tard, le dérèglement climatique a rendu incontournable l’usage de cette neige dite de culture.

Comme l’explique France Nature Environnement en 2022, il s’agissait au départ de “rustines”, mais son usage est de “plus en plus systématique dans tout le domaine skiable, y compris en altitude, au-delà de 2500 mètres”. Le taux de couverture signalé par les Domaines skiables de France est de 40% en 2023. Ailleurs en Europe, il est plus important encore : en Italie, ce taux s’élève à 90%, en Autriche, à 70% et en Suisse, à 48%. Les investissements très lourds pour aménager et entretenir une station de ski ont peu à peu imposé comme un élément incontournable cette neige artificielle. Au point que lors du renouvellement des remontées mécaniques, l’installation d’un réseau d’enneigeurs est désormais systématiquement envisagée.

Une neige fabriquée sur les pistes ou au loin

Faire de la neige artificielle tout au long d’une saison de ski suppose l’emploi de près de “4000 m3 d’eau à l’hectare pour chaque couche”. Elle est fabriquée sur place ou bien par une “usine à neige”, ou encore provient d’un stock préservé en fin de saison précédente.

Une fabrication in situ : en mélange avec la neige naturelle chaque fois que celle-ci est insuffisante, ou bien, et c’est l’usage prépondérant, une sous-couche en guise de fondation. Dès la mi-novembre, avant les précipitations de neige, les canons à neige, ou enneigeurs, préparent les pistes en produisant cette couche qui fixera le futur manteau neigeux. Les canons produisent également en cours de saison pour renforcer le volume de neige naturelle.

Deux méthodes de fabrication et/ou stockage “hors pistes” : il est possible de fabriquer et de stocker de la neige, en fait de la glace, à des températures positives et loin des sites à enneiger. Ces usines à neige, ou “fermes à neige” dans le jargon du marketing, réunissent dans un container l’équivalent d’un énorme congélateur, alimenté en eau. Au terme d’un circuit, l’eau sera refroidie, transformée en glace, broyée et réduite en petites particules, et enfin projetée à l’extérieur du container. La neige artificielle produite sera ensuite transportée pour être déposée puis damée sur des pistes de ski de fond.

L’autre option consiste à stocker de la neige artificielle ou naturelle en fin de saison, à l’entreposer à l’abri des températures positives sous un isolant, de la sciure de bois par exemple. Le procédé est désigné par le terme de carrières à neige ou snowfarming. Il vise à proposer un lieu d’entraînement ou de compétitions sportifs programmés avant les chutes de neige.

Quels ingrédients pour la neige de culture ?

La recette réunit des ingrédients en apparence très frustres : de l’eau, de l’air, du froid. Il faut, selon les évaluations par l’Office international de l’eau, 1m3 d’eau pour fabriquer 2 m3 de neige. Mais ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Le tour de main consiste ici à réunir les bonnes conditions météorologiques et des installations idoines. Il faut donc des températures entre – 3° et -7° Celsius et un air plutôt sec. Et de préférence en automne.

Mais ce que le public voit moins, ce sont les infrastructures, soit un réseau qui se mesure en dizaines de kilomètres. Faire de la neige de culture suppose donc d’aménager plusieurs retenues d’eau sur le domaine skiable, de terrasser pour enterrer conduites d’eau et câbles électriques, mais aussi pour permettre le défilé nocturne des lourdes dameuses, d’installer des pompes, des systèmes de filtration de l’eau, des gicleurs et des compresseurs, et bien sûr, des canons et des diffuseurs, partie visible de ce maillage parcourant la station de ski. Le tout commandé à distance. Dernier “ingrédient” de la recette : la modélisation permettant des projections d’enneigement à partir de données météorologiques et climatiques.

Aucun additif ?

Entre 1992, année des jeux olympiques d’hiver d’Albertville et 2005, les stations françaises ont recours à une protéine aux propriétés glaçogènes, extraite de bactéries Pseudomonas syringae inactivées ; son nom commercial, Snomax. Il se présente sous la forme d’une poudre lyophilisée à mélanger avec l’eau pressurisée. La présence de la protéine dans l’eau diffusée est capable d’initier la solidification de l’eau en glace à partir de la température de -2°C. Pendant près de 14 ans, a été fabriqué jusqu’à un peu moins de 5% du volume total de neige artificielle en France. L’impact sanitaire de cette protéine répandue dans la nature sur les nivoculteurs et les skieurs a été jugée “négligeable” par l’Anses en 2008. L’usage de cet additif cryogène a été abandonné en 2005 par les professionnels des stations de ski.

Quel processus pour obtenir de la neige artificielle ?

Les conditions météorologiques idéales se mesurent pour les nivoculteurs en “température humide” (ou “température du bulbe humide” prenant en compte à la fois la température de l’air ambiant, dite “température sèche” et le taux d’humidité de l’air). Le mécanisme d’évaporation nécessaire au refroidissement des gouttelettes d’eau et à leur congélation en cristaux de glace ne se met pas en route avec un excès d’humidité dans l’air.

Les canons et les lanceurs à neige mettent en présence deux flux : l’un d’air comprimé, l’autre d’eau. La pression de l’eau transforme celle-ci en brume quand elle est éjectée des buses. Cette eau rencontre dans une atmosphère froide et peu humide un air comprimé lui aussi projeté avec force. La compression de cet air puis sa détente a provoqué son refroidissement. Ces jets simultanés d’eau et d’air dans l’atmosphère froide amorce le phénomène de gel de l’eau. Plus le trajet de l’eau dans cet air froid est long, meilleur est son processus de cristallisation. Autour des particules de glace formées, viennent s’agglomérer d’autres gouttelettes d’eau qui gèlent instantanément. Ce qui sort des enneigeurs ne ressemble pas aux flocons de neige naturels, pas de délicats agrégats tridimensionnels qui caractérisent ces cristaux de neige, mais des grains arrondis de glace amorphe.

Comprendre la surfusion et la nucléation, à l’origine de la neige

A l’origine d’un délicat flocon de neige, il y a la surfusion, un état particulier de la matière, dans lequel un liquide extrêmement pur, soumis à une température en dessous de laquelle il est censé geler, reste liquide. L’eau très pure des nuages prend les formes de vapeur ou d’un liquide en surfusion, elle peut rester liquide jusqu’à des températures négatives jusqu’ici difficilement mesurables mais loin de leur température théorique de congélation, 0° C ! Il suffit ensuite que notre nuage rencontre de microscopiques poussières, des pollens, des bactéries en suspension, soit autant de “perturbations” pour notre goutte ou vapeur d’eau très pure, pour voir apparaître les premiers germes cristallins ou noyaux de nucléation. Ce moment-clé est appelé nucléation ou germination. Sur ce noyau de glace, viennent s’agréger d’autres gouttelettes : le flocon en formation adopte une forme cristalline différente selon la température ambiante : aiguilles, plaquettes, étoiles, hexagones. En prenant du poids, il tombe.

Pour quels impacts environnementaux ?

Le recours à la neige artificielle a mauvaise presse. Plusieurs reproches lui sont fait, résumés par l’association France Nature Environnement (FNE) dans un livret technique à destination de ses bénévoles salariés.

Consommation énergétique

C’est une facture salée quand on considère toutes les étapes nécessaires à la fabrication de neige artificielle : captage, fabrication, damage. Cependant, note le livret de la FNE, les améliorations apportées aux techniques d’enneigement (automatisation des installations, collecte de données par les dameuses) ont permis de maintenir le même niveau de consommation électrique pour un volume de neige en augmentation.

Ressource en eau

L’industrie du ski met en avant un cercle vertueux de prélèvement en été quand l’eau est abondante puis de restitution en fin de saison quand la neige a fondu. Dans les scénarios de hausse des températures, la grande majorité des stations de ski en Europe seront très vulnérables au manque de neige, selon une étude de modélisation parue en août 2023 dans la revue Nature Climate Change. Elles auront donc un recours plus systématique à la nivoculture. Les stations de ski ont aménagé des retenues d’altitude avec des travaux de terrassement conséquents.

Ces lieux de stockage de l’eau prennent place dans des dépressions naturelles, qui s’avèrent être des zones humides rendant plusieurs services écosystémiques. Les sources d’alimentation de ces bassins sont diverses : lacs naturels, cours d’eau, forages d’eau souterraine, abduction d’eau potable, eaux de ruissellement et précipitations. Bien des projets de retenues imaginent un modèle “durable” “multi-usages”, rappelle le livret de FNE. Mais un calendrier des besoins agricoles, des usages récréatifs, une infrastructure de potabilisation sont-ils vraiment compatibles avec la production de neige artificielle ?

Autre point crucial, des ponctions irrémédiables s’effectuent sur le système hydrique d’un territoire local. Deux exemples de bouleversement :
– l’évaporation : lors du stockage, jusqu’à 30% de l’eau des retenues peut être perdu, puis près de 21%, lors de la fabrication de neige et en fonction des conditions météorologiques, des quantités qui ne retourneront pas dans le cycle de l’eau local.

le système hydrologique d’un bassin versant privé d’eau au profit d’un autre : une retenue d’altitude sur un bassin versant alimente en neige sur les pistes de ski d’un autre bassin versant ; une fois fondue, cette neige s’additionne à l’ensemble des apports en eau de ce dernier.

Sol et biodiversité

La neige artificielle en sous-couche se transforme en plaques sous l’effet des damages journaliers de chasse-neige pesant plusieurs tonnes. Cette couche imperméable, moins isolante qu’une couche de neige naturelle, limite les échanges d’oxygène entre la surface et le sol et la soumet aux variations de températures, avec des conséquences sur les équilibres de la flore et des micro-organismes présents dans ce sol. Autre problème, la fonte différée de plusieurs semaines de ces neiges artificielles compactées par rapport à un manteau neigeux naturel, qui prolonge le stade végétatif des plantes. Ces bouleversements mettent à mal des sols habituellement plus fragiles qu’en plaine. Flore et faune ne peuvent plus prospérer dans ces sols compactés et ravinés.

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